Frédéric Mitterrand

Vous venez d’être nommé ministre de la Culture. Aujourd’hui, nous aimerions avant tout entendre parler le directeur de la Villa Médicis, poste que vous avez occupé depuis septembre 2008. Comment cette fonction s’est-elle inscrite dans votre chemin artistique et «passionnel» ?Comme si j’avais refermé la parenthèse ouverte quand j’avais 23 ans en créant les salles de cinéma, de répertoire et d’avant-garde, où je voulais faire voir, de manière thématique pour en souligner l’importance, les films qu’on ne voyait pas souvent ailleurs. Les films de Ozu, Fassbinder et Wim Wenders, Syberberg ou encore Werner Schroeter. Avec mon équipe, nous avons montré de nombreux films patrimoniaux, de grandes rééditions de films américains, avec Bette Davis par exemple, Women de Georges Cukor, des films d´histoire, on est allé jusqu’à présenter La force de la volonté de Leni Riefenstahl, ce que personne n’osaitfaire, toute la série de Louis Malle sur l’Inde ou les comédies musicales arabes, qui ont valu à L’Entrepôt une certaine notoriété. Si j’y réfléchis, je n’ai cessé de présenter des œuvres artistiques, et pas seulement empruntées au cinéma. J’ai été commissaire de l’Année du Maroc, de l’Année de la Tunisie, de l’Année de la République Tchèque, travail pluridisciplinaire puisque je révélais le patrimoine artistique de ces pays-là dans toute la France, à travers des musées et toutes sortes d’expositions et de représentations théâtrales. Par ailleurs, une grande partie de mes émissions télévisées avaient ce caractère pédagogique, dans la mesure où je faisais des émissions sur le cinéma mais aussi sur les...

Vous venez d’être nommé ministre de la Culture. Aujourd’hui, nous aimerions avant tout entendre parler le directeur de la Villa Médicis, poste que vous avez occupé depuis septembre 2008. Comment cette fonction s’est-elle inscrite dans votre chemin artistique et «passionnel» ?Comme si j’avais refermé la parenthèse ouverte quand j’avais 23 ans en créant les salles de cinéma, de répertoire et d’avant-garde, où je voulais faire voir, de manière thématique pour en souligner l’importance, les films qu’on ne voyait pas souvent ailleurs. Les films de Ozu, Fassbinder et Wim Wenders, Syberberg ou encore Werner Schroeter. Avec mon équipe, nous avons montré de nombreux films patrimoniaux, de grandes rééditions de films américains, avec Bette Davis par exemple, Women de Georges Cukor, des films d´histoire, on est allé jusqu’à présenter La force de la volonté de Leni Riefenstahl, ce que personne n’osaitfaire, toute la série de Louis Malle sur l’Inde ou les comédies musicales arabes, qui ont valu à L’Entrepôt une certaine notoriété. Si j’y réfléchis, je n’ai cessé de présenter des œuvres artistiques, et pas seulement empruntées au cinéma. J’ai été commissaire de l’Année du Maroc, de l’Année de la Tunisie, de l’Année de la République Tchèque, travail pluridisciplinaire puisque je révélais le patrimoine artistique de ces pays-là dans toute la France, à travers des musées et toutes sortes d’expositions et de représentations théâtrales. Par ailleurs, une grande partie de mes émissions télévisées avaient ce caractère pédagogique, dans la mesure où je faisais des émissions sur le cinéma mais aussi sur les archives et sur l’histoire, qui relevaient de la même démarche. Enfin, en tant que président de la Commission d’avance sur recette1, je favorisais la création d’un certain nombre de films.

À travers toutes ces activités, j’ai eu le sentiment – en dehors de mon travail personnel – de m´être consacré à faire connaître l’œuvre des artistes et des créateurs. Aller à la Villa Médicis, alors que j’avais 61 ans, c’était en quelque sorte refermer ce cycle qui aura occupé 40 ans de mon existence.Quel était le statut de la Villa Médicis à votre arrivée, et dans quelle mesure estimez-vous, après une année, l’avoir modifié ?La Villa Médicis a eu des directeurs remarquables ; tous ont apporté quelque chose. Évidemment il y a eu Balthus mais aussi les autres, et mon prédécesseur Richard Peduzzi a fait beaucoup pour cette maison – la bibliothèque, la décoration – mais je pense que les controverses qui ont entouré la nomination de son successeur ont révélé à la fois l’attachement de l’opinion publique à l’idée de la Villa Médicis et une très grande méconnaissance de ses missions. Je souhaitais parvenir à les accomplir de mon mieux et m’étais fixé comme tâche de faire connaître la Villa pour que l’on ne se demande plus à quoi elle sert: accueillir des pensionnaires, historiens d’art ou artistes, parfaire leur formation, pour une durée d’une année en moyenne, et organiser des expositions. Je souhaitais remettre mieux en perspective le jeu entre les expositions patrimoniales et les expositions d’art contemporain, dans un équilibre plus facile à appréhender pour le public.Dans une programmation déjà établie, entre Bertrand Lavier, Marina Cicogna, FrançoisMarius Granet, comment avez-vous construit votre politique ?Granet c’est moi. L’idée était d’alterner patrimoine et contemporain. Granet et Cicogna, Villa Aperta et Garouste, suivront Beatrice Caracciolo puis les tapisseries de Nicolas Poussin. Je disposais en outre de l’espace de l’atelier Balthus, laboratoire qui permet des expositions plus ciblées, comme les photos de Youssef Nabil, les premières séries de photos de Richard Avedon ou les dessins d’Ettore Scola.

Cette programmation, est-ce le lieu qui la suscite ?Le rôle de la Villa est d’établir un lien fort entre la culture française et la culture italienne, mais aussi de montrer qu’elle est au cœur de la Méditerranée et qu’elle doit être ouverte aux cultures étrangères: au fond elle est un instrument efficace pour cette politique culturelle méditerranéenne que tout le monde appelle de ses vœux et que l’on peine à mettre en œuvre. Une grande exposition sur l’art contemporain dans le monde arabe est en projet.Mais venons-en aux relations avec les pensionnaires. Comme on est loin des prix de Rome ; avez-vous été amené à repenser pleinement l’encadrement des pensionnaires, leur statut ?On n’est pas si loin de l’idée initiale de l’Académie; on travaillait avec un enjeu autre, qui était d’enrichir les constructions et les aménagements royaux. Si les pensionnaires actuels travaillent à parfaire leur propre construction artistique, cela rejaillira sur l’image de la France, et ce n’est pas très différent.J’ai repensé la sélection, parce ce que je souhaitais ouvrir le Collège à des pensionnaires qui ne sont pas uniquement français – il n’y a en général qu’un étranger par promotion et il y en aura cinq dans la prochaine – et je voulais que le niveau fût de plus en plus élevé: beaucoup de candidats ne se présentent pas parce qu’ils ne perçoivent pas l’enjeu et l’intérêt d’être à la Villa Médicis, d’où la nécessité, une fois de plus, de la faire connaître, et je voulais essayer de ne me priver d’aucune école. La sélection actuelle est tributaire d’une conception un peu académique de l’avantgarde – il n’y a pas de compositeur de musique de films, ou encore, parmi les stylistes, certains maîtrisent la sociologie du style mais peu s’interrogent sur ce que l’Italie a pu apporter au monde de la mode.L’idée est d’ouvrir le Collège à des gens qui viennent d’horizons plus divers, mais cela ne signifie pas pour autant que la Villa Médicis devienne une sorte de Luna Park.Mais comment garder la mémoire de cette création ? Faut-il imposer des contraintes ? Les pensionnaires sont au fond livrés à eux-mêmes: sur la durée, pourrait-on réfléchir à leur statut pour constituer dès maintenant une autre mémoire ?Il n’y a pas de mémoire, et quand on fait Villa Aperta, on est surpris qu’il ne reste presque aucune œuvre témoignant du passage des pensionnaires. Il y a une vraie réflexion à engager sur le thème «pourquoi va-t-on à la Villa Médicis, que va-t-on y faire et y laisser ?». Le poids des habitudes y est tel que l’on ne se pose plus ces questions; une des missions est pourtant de rétablir une plus grande exigence dans la relation qui unit l’institution et les pensionnaires. Je ne sais ce qu’il faut souhaiter, d’autant que cela dépend des pensionnaires. Certains sont très conscients de ce que représente la Villa, d’autres n’y attachent pas grande importance. Ils ont plus tendance à prendre la Villa comme récompense que comme une obligation mais je dis cela en termes généraux parce que les individualités sont très différentes.

Qu’a apporté le projet de Villa Aperta ? Le fait de réveiller la mémoire de la Villa, et de lui avoir donné un écrin fixe, puisque beaucoup d’installations restent sur place, telles les Niobides de Balthus (voir page 30) ou la collection des plâtres; le projet a-t-il modifié l’image de ce lieu fermé ?Une meilleure connaissance du lieu, que les gens ont enfin visité. Il y a tout ce que j’ai fait à côté: recevoir des colloques, organiser des concerts, il n’y a pas eu une semaine sansun événement dans la maison. Les Romains ne venaient plus mais ouvrir la Villa n’était pas seulement destiné à attirer les Romains. La maison vivait; cela n’est pas une critique à l´égard de mes prédécesseurs, les temps avaient changé. On ne peut garder cette maison comme elle l’était au temps de Balthus, sorte de symbole hiératique d’une culture admirable et intimidante, mais tout est une question de mesure, la Villa ne peut devenir une autostrada où personne ne regarde rien. En vérité, qu’y a-t-il à voir à la Villa sinon son esprit servi par son architecture, ses jardins, ses allées, ses parcours, avec suffisamment de références littéraires que l’on peut consulter si l’on veut en savoir plus ?

Le directeur est là pour quelques années seulement. Ses impulsions durent un certain temps ou sont balayées par son successeur. Mon but n’était pas d’imprimer ma marque, je n’ai aucune mégalomanie, je voulais simplement qu’on ne se pose plus la question « à quoi sert-elle ?». Par ailleurs faire fonctionner cette maison, c’est un processus de création artistique. Je mettais mes petits pieds dans les bottes de sept lieues de Balthus. Balthus avait fait de la Villa un Balthus, Peduzzi un de ses décors, moi je voulais en faire un récit historique que tout le monde pourrait consulter. Je tenais à renouer tous les fils de l’histoire, à la fois protéger ce qui reste de l´héritage de Balthus mais aussi, en ressortant les plâtres, l´héritage du XIXe; et à renouer tous les liens qui rattachent cette maison à l´histoire de l´Académie de France à Rome. Cela implique de mettre en œuvre la mission de la faire connaître : comment accompagner, voire conduire, la restauration, les lieux, les collections permanentes, comment assurer l’agrément des lieux pour les visiteurss, comment donner l’impression que la maison est ouverte. La mission de transmission de la Villa est très importante, elle va des relations publiques jusqu’à l’organisation des expositions. Moi j’ai un côté austère et contemplatif, c’est cet aspect-là qui a été le plus valorisé par le travail à la Villa. Cependant, j’ai entretenu des relations merveilleuses avec le personnel, dont la capacité de dévouement est incroyable.Pour en venir à vous désormais, quel a été le moment de la métamorphose, par l’art, de l’adolescent à l’adulte ? Quelles ont été les œuvres qui ont joué un rôle sur votre sensibilité ?La lecture avant tout des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, et Terre lointaine de Julien Green. Les livres de Christopher Isherwood, découverts à 18 ans. Je parle de préférences personnelles parce que, adolescent, j’ai beaucoup lu et beaucoup de livres m’ont fait pleurer mais sur mon île déserte, ce sont des films que j’emporterais.Quelle est selon vous la fonction première de l’image ?Pour moi, vu l’état dans lequel j´étais, le plus important, pour être honnête, était ce qui accompagnait mon désir sexuel. Donc le cinéma avait une très grande importance, et notamment le grand cinéma romanesque américain des années 50 et 60, d’après Tenessee Williams par exemple, le mélodrame autour de genres qui n’étaient pas toujours les plus appréciés par la critique dominante. Ce qui ne m’empêchait pas d’aimer Godard ou Truffaut. Pareil pour la littérature, avec des titres qui ne sont pas forcément les plus culturellement établis.Parmi les livres et les films que vous citez, c’est donc la narration qui prime ? Le «conteur inspiré» n’est-ce pas l’image que les gens retiennent de vous ?Oui, je suis un narratif, j’aime raconter des histoires, je me suis toujours vu comme un héros de roman. Je m’en suis toujours tiré comme cela, c’est-à-dire que je me vois vivre. Il y a une part de moi, dans cette difficulté, qui souffre, qui peut être blessée, et une autre part de moi qui la regarde, croit s’en détacher et la transforme.Je crois que l’œuvre d’art se reçoit, se lit, se déchiffre. Elle est l’abolition ou au contraire l’affirmation de la notion de distance. Qu’est ce qui fait qu’une œuvre nous touche, et par là nous éclaire sur nous même, ou au contraire nous laisse indifférent ?Il n’y a pas de hiérarchie dans les œuvres, tout me touche de près. La chanson, Edith Piaf en particulier, les tableaux de Géricault, ceux que je voyais au Louvre, la découverte du cirque d’Olympie à 19 ans, par un jour de soleil et entouré d’oliviers, la découverte de l’Italie et de Rome; je suis particulièrement sensible aux ambiances, aux atmosphères. Quand je vais dans un musée, je regarde tout puis j’oublie tout, sauf deux ou trois œuvres. Je ne peux faire étalage d’œuvres, et serais un poseur en dressant un catalogue.

Dans la Mauvaise vie, on trouve la litanie des êtres qui auraient pu jouer un rôle dans nos vies et qui laissent une trace plus ou moins importante par leurs œuvres. Quel lien entretenezvous aujourd´hui avec les œuvres ? Avez-vous l’esprit d’un collectionneur, où bien ne font-elles que passer ? Aimez-vous les posséder ou préférezvous qu’elles vous échappent ?J’ai plein d’objets, auxquels s’attache un souvenir, dont je pourrais parler pendant des heures, et par ailleurs, je n’ai rien de valeur. Pourles maîtres que j’aime, comme Kandinsky, je me contente aisément de reproductions. Je n’ai aucunement l’esprit du collectionneur et j’ai même le complexe judéo-chrétien de celui qui posséderait quelque chose. Je suis possédé par mille petites choses mais je ne possède rien. Je suis très surpris de voir tout ce que j’ai pu accumuler.L’écriture, le fait de se livrer, a-t-elle contribué – même s’il y a beaucoup de lumière dans tout ce que vous guettez – à dévoiler votre part d’ombre, votre mélancolie ?Rien changé. Écrire n’est pas une thérapie, j’avais simplement envie de faire le point. Cela m’a permis de classer, non même pas, de faire quelque chose. Disons que le livre, c’est le moment où le Frédéric qui est dans l’action et le Frédéric qui le regarde se rejoignent. Après avoir donné beaucoup d’énergie dans des œuvres cinématographiques – je pense à la poésie des Lettres d’amour de Somalie ou à l’engagement dans une structure plus rigide telle que Madame Butterfly – avez-vous eu le sentiment que quelque chose a été accompli ?Oui. Mais y a trois ou quatre choses que je voudrais encore faire, parfaire, pour donner une cohérence à ma démarche.Quel est aujourd’hui, compte tenu de vos nouvelles fonctions de ministre de la Culture, votre rôle au jury Médicis, et comment vivez-vous le fait d’être appelé à juger ?Je le vis comme la Commission d’avance sur recette. Si je me trompe, je me trompe, et ne reviens pas sur mes jugements. Il y a des choses personnelles auxquelles je tiens beaucoup. Il n’y a pas à les remettre en cause. En revanche, dans ma vie professionnelle, intellectuelle, j’écoute ce que l’on me dit. J’ai mes préférences, mes choix mais j’ai même parfois tendance à trop écouter, à être trop désireux d’un consensus, d’une entente. On me croit alors faible, c’est parce que je m’épuise souvent à peser le pour et le contre.

Parcours
Frédéric Mitterrand, né en 1947 à Paris, est licencié d’histoire et de géographie et diplômé de l’Institut d’études Politiques de Paris (Sciences-PO).Sa carrière repose sur deux de ses passions: le cinéma et la télévision. Il est tour à tour acteur – il apparaît à douze ans dans le film Fortunat aux côtés de Michèle Morgan et Bourvil – et directeur des salles de cinéma d’Art et Essai, Olympic Palace, Entrepôt et Olympic-Entrepôt, de 1971 à 1986. Il s’illustre comme producteur et animateur à la télévision, dont Étoiles et toiles (1981-1986), Acteur Studio (1986-1987), Caravane de nuit (1994) ou encore Fairouz, un reportage diffusé sur Arte en 1998. Il est le réalisateur, en 1981, des Lettres d’amour en Somalie et, en 1995, de Madame Butterfly, une adaptation de l’opéra de Puccini. Enfin, il a été président de la Commission d’avance sur recettes auprès du Centre national de la cinématographie (CNC).Il a signé, en tant qu’écrivain, Une Saison tunisienne (1995), Mémoires d’exil (1999), et en 2005, La Mauvaise vie, une autobiographie passionnée et sensible.En juin 2008, il est nommé directeur de l’Académie de France à Rome. «La Villa Médicis, c’est un ministère de la Culture en modèle réduit», disaitil. Passant du modèle réduit à la Rue de Valois, Frédéric Mitterrand entre au gouvernement comme ministre de la Culture et de la Communication en juin 2009.




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