Célèbre pour son combat dénonçant la décadence del’Occident, véritable icône dont la vie fut traversée decataclysmes, Frida Kahlo a laissé une œuvre picturalepuissante, empreinte d’une beauté singulière. La plusimportante collection privée de ses œuvres, venue du Museo Dolores Olmedo (Xochimilco – Mexique), est présentée pour la première fois au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
Dans sa chambre éclate un énorme bouquet de tournesols, safleur préférée. Frida Kahlo,étendue sur son lit à baldaquin,le corps emprisonné dans un corset, ressemble à un astre mort. En août dernier, on l’a amputée de sa jambe droite, touchée par la gangrène. Frida n’a plus de larmes, mais trouve la force de plaisanter. «Et alors! On m’a coupé une jambe, mais il me reste l’autre !» Frida regarde les neuf marches de pierre grise qui descendent au jardin de sa maison bleue de Coyoacan. C’est là qu’elle est née le 6 juillet 1907. Tout bouge autour de Frida. «Mais moi, pense-t-elle, je suis clouée dans ce maudit lit». Par la fenêtre ouverte, Frida suit le vol des papillons géants qui se posent comme ces fleurs mexicaines en papier de toutes les couleurs parmi les avocatiers, les bougainvillées et les cactus candélabres. Cet écrin de beauté magique ne soulage pas Frida. Malgré les bouteilles de tequila et de cognac qu’elle vide chaque jour, elle souffre le martyre. «Je noie mes chagrins, mais ces satanés trucs ont appris à nager.» Sur le ciel de son lit repose son «amoureux», un squelette en papier mâché. Mais le sien, Frida voudrait le jeter à ses chiens pour qu’ils dévorent les os qui ont torturé sa vie. À l’âge de six ans, Frida a eu la poliomyélite. Sa jambe droite est devenue toute maigre. Pour ne plus entendre ses camarades de classe hurler «Frida jambe de bois», elle porte des pantalons. Le 17 septembre 1925, sa vie bascule dans la tragédie. Frida se trouve dans un autobus à Mexico lorsque le petit train de Xochimilco arrive à grande vitesse et le percute de plein fouet. Frida a le corps transpercé par l’accoudoir métallique de la banquette. Sa colonne vertébrale est brisée. Ses parents frappés de mutisme et persuadés que leur fille va mourir n’iront la voir à l’hôpital qu’un mois plus tard. Pendant un an Frida reste couchée à la maison. Sa mère, pour la distraire, fixe un miroir au ciel de son lit et lui achète des pinceaux, des couleurs et un petit chevalet qu’elle peut caler sur ses genoux. Frida peint son visage. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle ne cesse de se représenter sur ses toiles elle répond: «Parce que je me sens très seule».
Dès qu’elle peut marcher à nouveau, Frida se précipite au ministère de l’Éducation, où le peintre Diego Rivera, dont elle est amoureuse depuis l’âge de trois ans, réalise une fresque. Du pied de son échafaudage, elle lui crie : «Diego, descends, je ne suis pas venue pour flirter avec toi, je veux juste te montrer mes peintures.» Diego surpris par tant d’aplomb tombe sous le charme de Frida. Et très vite demande sa main à son père, le photographe Guillermo Kahlo. Le 21 août 1929, ils se marient à Mexico. Des noces mouvementées, se souvient Lupe, la fille de Diego Rivera.«Ma mère qui s’était remariée avec un poète, se proposa pour préparer le repas de noces. Avant même les entrées, maman a laissé exploser sa jalousie. Elle s’est précipitée sur Frida, lui a soulevé sa longue jupe en hurlant: “Regardez les jambes décharnées dont Diego se contente après les miennes !” Frida l’a giflée. Elles se sont battues et mon père a eu beaucoup de mal à les séparer. Il a même tiré au pistolet puis s’est saoulé à mort. Frida s’est sauvée en larmes. Mon père n’a jamais été fidèle. Au bout de quelque temps il se fatiguait de n’importe quelle femme. Frida a essayé de le changer. En vain. Chaque fois que mon père s’éloignait d’elle pour une autre femme, Frida tombait malade. Lorsqu’elle a compris que Diego ne renoncerait jamais à ses aventures, elle a décidé d’en faire son enfant. Mon père a ainsi connu l’amour que ne lui avait jamais donné sa mère, une femme dure, qu’il haïssait.»
Les commentaires sur le couple Diego Rivera – Frida Kahlo vont bon train dans la société mexicaine bien-pensante de l’époque. Diego, quatre ans après leur mariage, séduit Cristina, la sœur de sa femme. Frida elle, devient la maîtresse du photographe Nickolas Muray, la star de «Vanity Fair». Puis celle de Trotski. C’est Cristina avec laquelle elle s’est réconciliée qui lui prêtera sa maison pour abriter ses amours révolutionnaires. En janvier 1939, Frida débarque seule à Paris à l’invitation d’André Breton. Le marchand de tableaux Pierre Colle vient d’épouser une jeune Mexicaine, Carmen Corcuera et décide d’organiser en son honneur une exposition «Mexique». Dix-huit tableaux de Frida sont présentés dans sa galerie du Faubourg SaintHonoré. Dans le catalogue, André Breton écrit: «L’art de Frida Kahlo est un ruban autour d’une bombe.» Le Louvre lui achète un autoportrait de 1938 peint sur verre. Picasso, fasciné, offre à Frida des mains en ivoire en guise de boucles d’oreilles. Elle en fera un tableau. Et Pablo ns son hôtel particulier de la Place des États-Unis, et Frida rêve d’emporter l’horloge en cristal posée sur la cheminée d’où chaque quart d’heure, un petit oiseau multicolore surgit en sifflant. «Vogue» met la main chargée de bagues de cette étrange Mexicaine en couverture et Schiaparelli crée la robe «Madame Rivera». Frida porte son parfum «Shocking». De retour à Mexico, Frida réalise qu’elle ne peut plus supporter les infidélités de son mari. Le couple décide de divorcer. Mais un an plus tard, ne pouvant vivre l’un sans l’autre, ils se remarient le 8 décembre 1940 et scellent un pacte. Diego peut avoir autant de maîtresses qu’il le veut, mais il n’a plus le droit de la toucher et doit accepter qu’elle ait aussi de son côté des aventures. Leur véritable amour, c’est la peinture. Les tableaux de Frida sont des blasons violents où se bousculent les signes de son calvaire et de ses passions. Ses trente-deux opérations du dos, les huit corsets qui soutiennent son corps, ses six fausses couches, son amour secret pour le peintre catalan Bartoli qui m’avouera que Frida a été l’unique femme de sa vie.Ce 6 juillet 1954, Frida vient de fêter ses 47 ans et n’a plus la force de peindre. Elle peut tout juste encore tenir son journal intime, posé sur sa table de nuit au milieu des ampoules de morphine. Il lui reste une semaine à vivre. Frida écrit: «Tu es en train de te tuer… J’espère que la sortie sera joyeuse et j’espère ne jamais revenir.» Frida gardera intact son amour indestructible de la vie. Sa dernière toile s’intitule: «Viva la vida !»