Retour à la source du mouvement moderne dont la puissance ne cesse d’inspirer les créateurs contemporains. Sous le titre «La révolution de l’espace», le Vitra Design Museum consacre une importante rétrospective à Gerrit Rietveld, designer emblématique du début du XXe siècle.
«Ce n’est pas vraiment une chaise, c’est un manifeste», notera le designer et architecte néerlandais Gerrit Rietveld. Conçue en 1918, sa chaise rouge et bleue, telle une composition de Mondrian en trois dimensions, va s’affirmer comme une icône du design, tout comme la petite demeure familiale de Mme Truus Schröder, bâtie à Utrecht en 1924, expression majeure de ce courant d’avant-garde qui inspirera les idéaux de l’art moderne et de l’architecture. Véritable chef-d’œuvre du néoplasticisme, la maison, avec ses façades géométriques et son organisation spatiale ouverte, flexible et transparente, représente un tournant décisif dans l’art de bâtir. Conçue comme un agencement d’éléments distincts, elle a la particularité d’être à la fois parfaitement organisée et absolument déstructurée par le jeu maîtrisé des volumes, des surfaces et des couleurs.
En portant une attention toute particulière à l’œuvre personnelle et professionnelle de Gerrit Rietveld, l’exposition tente de répondre à quelques interrogations: de qui s’est-il inspiré, par qui a-t il été influencé ? Une première réponse surgit rapidement: Il n’a pas attendu pour se distancier de toutes les certitudes conventionnelles. Encore étudiant aux Beaux-Arts, il ouvre son propre atelier de menuiserie, réfute la voie tracée par son père, vendeur de meubles prisé par la bourgeoisie rangée d’Utrecht et rejoint le mouvement De Stilj, à peine fondé par Theo van Doesburg et Piet Mondrian et dont il sera un protagoniste marquant. Imprégné par la philosophie de Spinoza et par le mouvement théosophique, alors répandu en Hollande, le courant De Stilj est adepte d’un art total, transdisciplinaire, dont la plastique constitue un équilibre possible entre l’individu et la collectivité, le rationnel et le sensible, l’esprit et la matière. Pour les artistes, mais aussi les graphistes, designers et architectes qui partagent cette vision utopique, il s’agit en priorité d’inventer un langage qui réponde aux enjeux de la société industrielle au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Sommets d’abstraction C’est par l’usage strict du noir, du blanc et des couleurs primaires, appliqués en aplat, des lignes droites et de la géométrisation des volumes, que naîtra finalement une esthétique de l’essentiel, projetée comme universelle. Sous le regard de Rietveld, objets et bâtiments se transforment en puissantes compositions abstraites. Expressions radicales d’une nouvelle manière de vivre ensemble, ses maisons structurées rigoureusement selon la pureté des concepts qui les sous-tendent, ont profondément influencé le Bauhaus et, par voie de conséquence, le style international.
Toujours à la recherche de nouvelles possibilités, Rietveld quittera le mouvement en 1928 pour s’intéresser à la Nouvelle Objectivité. La même année, il rejoint les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) qui viennent de se constituer en Suisse sous la houlette d’une trentaine de membres fondateurs, dont Le Corbusier, Pierre Jeanneret ou encore Alberto Sartoris. Designer d’avant-garde, Rietveld sera l’un des premiers à s’intéresser à la production industrielle. Ses expérimentations avec des matériaux novateurs, tels le bois lamellé-collé et l’aluminium, donnent naissance à des pièces étonnantes, parmi lesquelles la chaise Zig-Zag, entrée au MoMA de New York et fulgurante d’actualité. Il devancera encore une fois les tendances du Do it-yourself et de l’Open Design avec des projets de meubles à réaliser soi-même. Dans les années cinquante, Rietveld se concentre essentiellement sur l’architecture et signe plusieurs projets primordiaux, dont le pavillon néerlandais pour la Biennale de Venise.
Parcours croisés En s’arrêtant sur cet instant crucial qui vit naître la modernité, la rétrospective invite aux parcours croisés de l’artiste et de ses contemporains, à travers les œuvres significatives de Theo van Doesburg, Bart van der Leck ou encore Marcel Breuer. Celle de Rietveld n’a pas dit son dernier mot, à voir son influence sur les concepteurs contemporains, tel le fameux collectif Droog Design ou Maarten Baas, dont la collection Smoke – apologie décalée de la renaissance et du recyclage – n’est autre qu’une série d’icônes du design du XXe siècle livrées à la crémation. Un espace parallèle présente, en outre, les travaux de jeunes designers néerlandais. Aucune scène muséale germanophone n’avait consacré à Rietveld une exposition d’une telle envergure. En collaboration avec le Centraal Museum d’Utrecht et l’Institut d’architecture des Pays-Bas, le Vitra Design Museum met en valeur près de 320 pièces – une centaine de dessins et plans originaux, des meubles, maquettes, photographies et films – qui offrent une immersion complète dans la trajectoire de ce révolutionnaire au génie créatif.