Exigeante utopie ou explorations futuriste dans le champ des prouesses technologiques ? Dotés d’un imaginaire hautement rationnel, bénéficiant d’une plate-forme scientifique hors pair, les deux visionnaires de la Chaux-de-Fonds scellent dans la perfection du temps le double défi horloger du XXIe siècle en proposant des inventions majeures.
La Haute Horlogerie est bel et bien entrée dans une nouvelle ère, celle des prouesses technologiques. LeDouble Tourbillon 30° de Robert Greubel et Stephen Forsey qui revisite avec une précision absolue le dispositif inventé au XVIIIe siècle par Abraham-Louis Breguet, est l’un des emblèmes de cette nouvelle génération d’horlogers à la recherche constante de nouveaux défis. À cette montre d’exception, présentée avec un succès retentissant à «Baselworld 2004», succéderont chaque année des pièces inédites qu’ils vont développer avec une rigueur toute scientifique. Du Double Tourbillon au Quadruple Tourbillon à Différentiel Sphérique, dont les premières livraisons sont prévues pour 2008, la fascination pour cette complication qui n’avait pas connu de notable évolution durant deux siècles, porte les deux créateurs aux limites d’eux-mêmes.Leur philosophie bousculant radicalement la manière usuelle de travailler, ils puisent dans le passé magistral, mais résistent à l’idée que tout a été inventé. Le tourbillon passe certes pour le sommet de l’art horloger, étant donné la complexité de sa réalisation, mais il reste toutefois problématique dans les montres-bracelets. Cette petite cage mobile enfermant l’échappement, le balancier et le spiral avait alors été créée pour compenser les effets de la gravitation des montres de poche. Il restait à prouver qu’il est possible de l’adapter aux garde-temps modernes. «Nous étions persuadés de pouvoir aller au-delà de ce qui avait été tenté jusqu’ici.»La science du temps est devenue réalitéLe défi est devenu la référence première du parcours des deux créateurs. Le fil rouge essentiel qui allait les mener de la recherche pure au lancement d’une marque. Tous deux venus en Suisse pour œuvrer aux sources mêmes de l’univers de la haute horlogerie, l’Alsacien Robert Greubel et l’Anglais Stephen Forsey se rencontreront, en 1992, dans l’atelier spécialisé « Renaud & Papi ». De leur obsession commune pour les grandes complications et de leur façon inventive de les appréhender, vont naître leurs premières avancées révolutionnaires. Installés en indépendants depuis 1999 dans l’Ancien Manège de la Chaux-de-Fonds, refusant toute approche empirique, ils vont mettre au point, à l’instar des plateformes technologiques des avionneurs, un laboratoire EWT (Experimental Watch Technologie). Une structure capitale pour créer et valider les inventions dans toutes les phases de la réalisation, de la recherche fondamentale au développement, de la mise au point jusqu’aux procédures d’homologation. L’ingénierie en horlogerie est devenue réalité. Que ce soit un engrenage inédit, un nouvel alliage performant ou une construction complexe, ici, on est plus inventeur qu’horloger, et plus horloger que rêveur. Ainsi, le purisme du grand art horloger s’unit à la science d’avant-garde: la puissance des calculateurs numériques n’est que le prolongement de l’idée, et le geste reste maître des outils comme des claviers.
Quatre inventions majeuresDe cette méthode de travail originale sortira, après quatre ans d’obstination, le fameux Double Tourbillon 30°. Le concept: une petite cage inclinée à 30 degrés tournant en une minute dans un deuxième tourbillon plus grand à quatre minutes. Fort de son angle de positionnement, le mouvement représente une percée technologique majeure par rapport au tourbillon classique, en permettant de diviser par trois les écarts de marche de la montre portée au poignet.C’est en fondant, en 2001, puis en oeuvrant pour «Compli Time», société spécialisée dans le développement de calibres pour d’autres marques, que les deux horlogers ont pu assurer financièrement la montée en puissance de leurs explorations dans l’univers du tourbillon.Avec le Quadruple Tourbillon à Différentiel Sphérique, présenté en 2005 sous forme de prototype, les deux horlogers gagneront un nouveau défi hors normes. Celui de valider le système central du Différentiel Sphérique et de placer quatre cages tournantes à l’intérieur d’une montre-bracelet, grâce une architecture asymétrique qui offre de surcroît une vision spectaculaire de tous les mécanismes-clés sur le cadran et latéralement, sur un côté du boîtier.
On retrouve la pureté du design, conçue pour habiller au plus près le mouvement, dans leur troisième invention, le Tourbillon 24 Secondes Incliné. Centrée sur la grande vitesse de rotation de la cage et l’inclinaison du régulateur afin d’améliorer de manière significative les performances d’un système à tourbillon unique, cette création démontre, une fois encore, que les ressources des mathématiques et de la micromécanique sont loin d’être épuisées. En comptant la dernière découverte en date, le Balancier-Spiral Binôme qui associe les deux éléments avec de nouveaux matériaux «isochroniquement stables» et les audacieuses déclinaisons du modèle 2004, le label «Greubel Forsey» est bien lancé pour marquer de sa forte empreinte le développement de la Haute Horlogerie Technique du XXIe siècle.
Toujours plus loinDe deux personnes en 1999, l’entreprise autonome, soutenue par le groupe Richemont – qui détient 20% du capital – est passée aujourd’hui à plus de trente collaborateurs capables de maîtriser le produit. 70% des composants sont fabriqués à l’interne. La création, l’assemblage, le contrôle et la validation sont entièrement faits maison garantissant la qualité des calibres d’exception jusqu’aux écrins, pensés dans les moindres détails, avec des finitions exclusives. Demain, assurément, les deux créateurs parviendront à réunir sous un même toit, leurs cinq ateliers pour l’instant dispersés. Après s’être lancés dans une démarche des plus passionnées et des plus opiniâtres, sans véritablement savoir si elle allait aboutir, ils se plaisent à constater que l’évolution de leur entreprise, bien plus qu’une réussite commerciale, est un moyen toujours plus performant d’aller au bout de leurs idées. Et de leurs exigences: engagement ultime d’horlogers passionnés, «l’indépendance qui permet de défricher des terrains sans limites» va de pair avec le refus d’entrer dans une logique de grandes séries qui porterait atteinte à la qualité. «Greubel Forsey» ne peut produire que quelques Double Tourbillon 30° par mois et a fabriqué, à ce jour, moins d’une centaine de garde-temps, tous portant le sceau du privilège absolu.