Matisse s’expose à la fondation Beyeler, à Riehen (Bâle). Montée en collaboration avec Pia MüllerTamm de la Kunstsammlung NordleinWesfalen à Düsseldorf, cette rétrospective (plus de cent soixante pièces) présente des aménagements substantiels organisés par l’œil créatif d’Ernst Beyeler.La légèreté de Matisse vient de la couleur. Le poisson rouge éclaire le bocal et la pièce parce qu’il est vie. Les papiers peints, les tentures et les bibelots semblent issus de l’univers d’un Bonnard vieilli et brouillon, vitalisé par une touche de vie: c’est une plante verte, la nudité d’une femme, un violon posé sur une commode comme un signe de la musique qu’on a en tête et qui viendra tout de suite après qu’on aura regardé par la fenêtre ouverte la mer qui, à Nice, retient tant la lumière. Les dessins et les collages font danser les formes: les deux dernières pièces de l’exposition sont des bals de courbes et de couleurs.Les photos de Matisse dans son atelier, ou dans son intimité, ont fait le tour du monde. Elles laissent imaginer un homme à la voix de fausset, au verbe forcément coloré. On le voit avec des colombes, un bandeau blanc autour de la tête, attendant la mort et ne se laissant plus aller qu’à ses humeurs; qu’à chaque moment qui passe et dont il ne retient non plus la lumière, comme Cézanne, mais le mouvement, la forme qui bouge, la couleur qui jaillit, les pigments qui se meuvent pour s’inscrire sur la toile au cœur des objets familiers.L’accrochage met en évidence des toiles de même époque qui se confrontent ou s’éclairent l’une l’autre, et que jamais sans doute on ne reverra côte à côte. Ainsi, Les tapis rouges et la Nature morte à la statuette ou encore ces odalisques; Odalisque à la culotte rouge faisant face à l’Odalisque au fauteuil turc. Ces mélanges définissent sans théorie le chemin de l’artiste, ses doutes, ses nouveautés, parce qu’il s’agit d’exposer un Matisse total, marqué par Picasso, bien sûr, mais aussi par Modigliani; capable d’emmener vers l’abstraction (Les Jardins d’Issy) ou vers l’éclatement structuré de la forme (Buisson). Les quatre bronzes (Nus de dos) montrent en un clin d’œil le parcours saisissant vers le dépouillement.Ernst Beyeler, dont la collection se fonde sur l’abstraction (Kandinsky) et le cubisme (Picasso), aime les couleurs, les courbes et «la joie de vivre» de Matisse. Il livre un regard généreux, parce que pédagogue autant qu’amateur. D’une toile à l’autre, on est mené et tout devient évident, naturel. Au détour d’un mur, on est surpris par le Portrait de Mademoiselle Yvonne Landsberg et surtout ce Nu au bracelet au visage modigilaniste, noir sur fond gris. Quel incroyable tableau où la nature du personnage, et sa décontraction permettent à la sensualité de s’effacer sous la liberté.Surpris, ému, par ce tableau, je m’en ouvre à Ernst Beyeler qui me glisse qu’il l’a eu entre ses mains et qu’il l’a malheureusement vendu il y a longtemps. «Sans regrets ? – A l’époque, non. Mais aujourd’hui, j’en ai beaucoup». L’exposition à Riehen permettra de tout posséder en un regard.