Isa Barbier le poids du rien

Voyageuse sans bagages, elle sculpte l’apesanteur dans le va-et-vient du souffle, entre la fragilité du monde et son éternité, entre sa présence et son absence.Silence. En 1992, une jeune femme s’attarde sur une plage sauvage de l’Estérel entre Canneset St-Raphaël. Elle s’appelle Isa Barbier. Elle dessine, elle est peintre. Elle y vient comme à son habitude cueillir des plumes de goélands virevoltant sur le sable et le vent de la mer. Elle le faisait déjà dans son enfance, aux côtés de son père. Mais ce jour-là, le pas léger, elle s’en va vers son destin, pressentant qu’elle tient dans le creux de sa main, comme un souffle imperceptible, l’apesanteur de l’espace; comme une respiration dans sa paume, le bruissement du temps qui nous échappe. La plume, un presque rien, un presque tout: la matrice de toute une œuvre sculpturale qui va, à jamais, l’émanciper de la peinture et de ses limites. Transgressions d’atomes Déjà, lorsqu’elle se maintenait dans le cadre du tableau, elle s’était mise progressivement à travailler ses compositions à traits fins, acérés, «comme pour user la toile, trouer le papier, passer à travers». Puis les lignes et images dépasseront les frontières, s’étireront sur le mur en pluie d’atomes végétaux, pétales de roses, feuilles d’eucalyptus, aiguilles d’épicéa; la forêt d’épingles qu’il aura fallu pour les fixer jouera aussi de sa présence artistique dans cette quête de la liberté.Sur la plage de l’Estérel, ce jour-là, avec l’idée de jeter ces envols de plumes sur des fils ténus, presque invisibles, va...

Voyageuse sans bagages, elle sculpte l’apesanteur dans le va-et-vient du souffle, entre la fragilité du monde et son éternité, entre sa présence et son absence.
Silence. En 1992, une jeune femme s’attarde sur une plage sauvage de l’Estérel entre Canneset St-Raphaël. Elle s’appelle Isa Barbier. Elle dessine, elle est peintre. Elle y vient comme à son habitude cueillir des plumes de goélands virevoltant sur le sable et le vent de la mer. Elle le faisait déjà dans son enfance, aux côtés de son père. Mais ce jour-là, le pas léger, elle s’en va vers son destin, pressentant qu’elle tient dans le creux de sa main, comme un souffle imperceptible, l’apesanteur de l’espace; comme une respiration dans sa paume, le bruissement du temps qui nous échappe. La plume, un presque rien, un presque tout: la matrice de toute une œuvre sculpturale qui va, à jamais, l’émanciper de la peinture et de ses limites.

Transgressions d’atomes Déjà, lorsqu’elle se maintenait dans le cadre du tableau, elle s’était mise progressivement à travailler ses compositions à traits fins, acérés, «comme pour user la toile, trouer le papier, passer à travers». Puis les lignes et images dépasseront les frontières, s’étireront sur le mur en pluie d’atomes végétaux, pétales de roses, feuilles d’eucalyptus, aiguilles d’épicéa; la forêt d’épingles qu’il aura fallu pour les fixer jouera aussi de sa présence artistique dans cette quête de la liberté.Sur la plage de l’Estérel, ce jour-là, avec l’idée de jeter ces envols de plumes sur des fils ténus, presque invisibles, va s’amorcer la création d’un univers pointilliste en trois dimensions qui, depuis lors, la mène jusqu’au bout d’elle-même. Il y a une très belle phrase de Nietzsche sur la sagesse de l’oiseau qu’Isa Barbier, dans son atelier de Marseille, aime serappeler. «Voici, il n’y a pas d’en haut, pas d’en bas. Jette-toi çà et là, en avant, en arrière, toi qui es léger. Chante, ne parle plus». Offertes au mouvement, à la lumière, ses structures aussi précises et minimalistes qu’un haïku palpitent au moindre frémissement de l’air, à la vibration d’un pas, d’un son, à la caresse d’une onde de froid ou de chaleur. Elles parlent de la folie de penser que l’on est sur un sol fixe, se mettent en suspension dans l’instant entre l’inertie terrestre et la fuite à la recherche de l’au-delà du ciel. «N’être plus qu’un souffle, disent-elles, pour être partout à la fois, comme devant la vie vulnérable et par là, si précieuse».Au fil des années, l’oeuvre se fait de plus en plus fine, de plus en plus légère, tel un voyageur sans bagages. Telle Isa Barbier qui, avec une poignée de plumes, du fil nylon et un peu de cire, déploie ses installations dans les espaces privés et publics.

Œuvre de nomade Repérée par Rosa Turetsky qui depuis le tournant du siècle lui ouvre régulièrement sa galerie genevoise, acclamée pour ses créations accueillies par maints centres d’art européens, et qui viennent de créer l’événement au Musée Gassendi de Digne, l’artiste se révèle nomade à plus d’un titre. Ses créations qui parlent de l’ici et de l’ailleurs, jouent simultanément le paradoxe de la disparition et de la continuité. Ses sculptures de l’air, aussi évanescentes soient-elles, n’ont pourtant qu’une fragilité d’apparence et vivent le temps que l’on veut bien leur concéder. Ephémères, mais indestructibles, elles peuvent exister dans la durée ou tramer l’espace le temps d’un silence, le temps d’une pause. On peut aussi les défaire, les mettre en attente et plus tard les faire renaître en utilisant la «partition» qui, comme une musique, contient les indications pour rejouer l’œuvre.Mais à chaque fois, c’est le lieu où elles interviennent qui décide. À la fois traversée spatiale et réceptacle, elles se laissent habiter par les environnements, les volumes, une histoire ou une couleur, une qualité architecturale. Isa Barbier visite les galeries, les musées, le domicile des clients privés. «Je me sens comme une éponge. Mêlées à mon propre désir, ces rencontres laissent surgir des alchimies qui m’étonnent à chaque fois».Pour le lavoir de Lacoste, elle réveille le souvenir des femmes qui venaient y laver leur linge, interprète la barre audessus du bassin, suspend une pluie de plumes fuselée comme une barque qui se réverbère dans le miroir de l’eau. Dans la grande chapelle baroque du Sacré-Cœur, à Aix-en-Provence, elle transfigure, magnifie cet espace de cathédrale en couronnant le Christ d’une structure magistrale. A Digne, elle a choisi tout récemment d’intervenir dans deux lieux. Au Musée Gassendi, dans la salle d’art ancien, elle œuvre en contrepoint des peintures classiques, installe sur le mur rouge et sombre d’immenses ailes d’ange blanches de 2,35 mètres de haut.

Avec ce même regard libre et large, ce désir de regarder le soleil et les étoiles en face et, en même temps, ce refus absolu de l’excès et de l’excessif, elle rend hommage, avec sa deuxième œuvre, à la lunette astronomique de Pierre Gassendi. Au Cairn, centre d’art informel de recherche sur la nature, elle accroche ainsi une spirale toute en volume. Un rêve d’élan vers le ciel qui vient ajouter une dimension à cet espace voué à la terre, au sol, à la géologie.D’abord rêvées, conçues, élaborées, minutieusement orchestrées dans la solitude de l’atelier, les installations d’Isa Barbier se mettent en scène in situ avec précision, rapidité, sans retouches, «dans l’euphorie de la mise en danger, dit-elle. Tout doit fonctionner dans l’instant».Insaisissables, ces œuvres qui se soumettent à l’espace et qui pourtant le déterminent par ses points et ses vides, ses visibles et ses invisibles, ne sont rien d’autre finalement que cette offrande faite au spectateur, et qui lui donne de considérer autrement le monde. «Une volière», écrivait Alessandro Barrico dans Océan Mer, «tu la remplis d’oiseaux, le plus que tu peux, et le jour où il t’arrive quelque chose d’heureux, tu ouvres la porte en grand et tu les regardes s’envoler». Isa Barbier, elle, continue à arpenter les plages de l’Esterelle, la Camargue, les îles du Frioul au large de Marseille, ramassant une à une ces plumes d’oiseaux superbes. Elle part d’un pas léger. Parfois, elle s’en va en voilier pour sentir le va-et-vient de la respiration du monde au plus proche du vent.

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed