John Baldessari entarteur pop

Le Musée d’Art Contemporain de Barcelone présente la plus grande rétrospective jamais organisée en Espagne autour de l’artiste californien, l’un des pionniers de l’art conceptuel. Son credo artistique ? Ne pas ennuyer le public !En 1970, John Anthony Baldessari (1931) brûle tout ce qu’il avait peint de 1953 à 1966. Les cendres de ce happening humoristique et inquiétant, conservées dans une urne en forme de livre (The Cremation Project), symbole d’une conception circulaire de l’art qu’il s’invente pour la circonstance, devaient marquer sa mort en tant que peintre. Ce geste se voulait aussi le signe d’une renaissance en qualité d’artiste multidisciplinaire, au domaine élargi à la photographie, au détournement d’images photocopiées, à l’art vidéo, à l’utilisation récursive du langage… et de l’humour. Deux vidéos de 1971 marquent en effet le ton des productions à venir: I Will Not Make Any More Boring Art (Je ne ferais plus d’art ennuyeux), le montre accumulant des lignes de cette phrase écrite de sa main de gaucher, tel un écolier puni. Dans I’m Making Art (Je fais de l’art), il se limite à répéter cette même courte phrase en faisant de petits mouvements de robot avec les bras… Des vidéos aujourd’hui mythiques, de même que Baldessari Sings LeWitt (1972), où il chantonne sans sourciller des réflexions de Sol LeWitt sur l’art conceptuel. Ou Teaching a Plant the Alphabet (1972), où il tente littéralement d’apprendre à lire à une plante verte… Baldessari, visage rond de lutin à barbichette, perché sur un corps de deux mètres...

Le Musée d’Art Contemporain de Barcelone présente la plus grande rétrospective jamais organisée en Espagne autour de l’artiste californien, l’un des pionniers de l’art conceptuel. Son credo artistique ? Ne pas ennuyer le public !
En 1970, John Anthony Baldessari (1931) brûle tout ce qu’il avait peint de 1953 à 1966. Les cendres de ce happening humoristique et inquiétant, conservées dans une urne en forme de livre (The Cremation Project), symbole d’une conception circulaire de l’art qu’il s’invente pour la circonstance, devaient marquer sa mort en tant que peintre. Ce geste se voulait aussi le signe d’une renaissance en qualité d’artiste multidisciplinaire, au domaine élargi à la photographie, au détournement d’images photocopiées, à l’art vidéo, à l’utilisation récursive du langage… et de l’humour. Deux vidéos de 1971 marquent en effet le ton des productions à venir: I Will Not Make Any More Boring Art (Je ne ferais plus d’art ennuyeux), le montre accumulant des lignes de cette phrase écrite de sa main de gaucher, tel un écolier puni. Dans I’m Making Art (Je fais de l’art), il se limite à répéter cette même courte phrase en faisant de petits mouvements de robot avec les bras… Des vidéos aujourd’hui mythiques, de même que Baldessari Sings LeWitt (1972), où il chantonne sans sourciller des réflexions de Sol LeWitt sur l’art conceptuel. Ou Teaching a Plant the Alphabet (1972), où il tente littéralement d’apprendre à lire à une plante verte… Baldessari, visage rond de lutin à barbichette, perché sur un corps de deux mètres et encadré de longs cheveux filasse dans le grand style hippy californien, offre un look qui renforce nettement l’autodérision. Critiqué plus tard par d’autres artistes qui ne voyaient dans Teaching a plant the Alphabet qu’un gag, Baldessari ne les détrompa pas vraiment, précisant qu’il s’agissait d’une simple activité dominicale menée avec ses étudiants pour se moquer précisément de la pédanterie distillée par l’art conceptuel lui-même… «J’aime pousser les choses jusqu’à leur extrême logique, quand elles deviennent à un certain moment ridicules. Teaching a Plant the Alphabet a été réalisé à l’époque hippie. On trouvait des livres expliquant comment communiquer avec les plantes. J’ai pensé, OK, je suppose que l’on commencera par l’alphabet, et ensuite on parlera…».

Décrié par beaucoup, Baldessari a pourtant marqué profondément des générations de jeunes artistes et de critiques, enchantés avec raison, par sa capacité de remettre les choses à leur place avec intelligence et humour, et d’innover sans cesse dans l’utilisation de nouveaux langages et de nouveaux supports – qui ont fait école depuis. Son ironie, il l’emploie à démystifier les absurdités de la société de consommation et de l’image ou les processus créatifs eux-mêmes. À l’aide de collages de photos, il disloque le corps humain, efface les visages sous des aplats de couleurs primaires en ne gardant que les oreilles ou le nez. Des manipulations récurrentes qui bousculent autant les standards esthétiques et comportementaux, que nos esprits déboussolés et nos corps littéralement mixed up par ces incessants bombardements médiatiques. Les visages qu’il masque sous des pastilles aux couleurs vives, comme des nez de clown géants, sont les victimes d’un entartage pop perpétré sans pitié, lancé contre l’asservissement aux niaiseries des ripolinages télévisuels. Il récupère des photos d’actes officiels en couvrant les visages «pour les rendre moins irritants», comme dans Fissures and Ribbons (2004), où les visages d’un militaire et de personnes qui le portent sur leurs épaules sont escamotés sous d’insolentes pastilles colorées. Une censure qu’il appose aussi sur des objets de consommation, comme pour annihiler le fardeau qu’ils représentent dans nos existences: une voiture, ou la vitrine d’un magasin.En jouant avec la juxtaposition de photos – des Combined Photographs – Baldessari se veut un «collagiste» dont la créativité dépend de la subtilité du choix d’images qu’il agence parfois dans des cadres irréguliers, comme des bouts de mécanos accrochés au hasard (Bloody Sundae ou Planets, 1987). Par la tension visuelle et idéologique ainsi engendrée (Kiss / Panic, 1984), il aime mettre le doigt sur un sujet, pour «nous arrêter et regarder, au lieu de consommer juste passivement des images». Et pour montrer que l’idée doit passer avant le support lui-même, il commande carrément dans ses Commissioned Paintings à d’autres peintres locaux la reproduction de photos, montrant une main qui pointe quelque chose du doigt…Critique désopilante du processus créatif, le tableau Tips for Artists who want to sell – (Trucs pour artistes qui veulent vendre, 1966-68) – avait sans doute tout dit très tôt. Baldessari y donnait quelques conseils par écrit: préférer les couleurs claires aux sombres, favoriser certains sujets comme les Vierges à l’enfant, les paysages, les fleurs, les natures mortes non morbides, (i.e. sans oiseaux morts), les nus, les marines, l’art abstrait ou surréaliste… Et au lieu des vaches ou des poules (qui tendent à accumuler la poussière), il recommandait de représenter plutôt des taureaux et des coqs… Une ironie toute dalinienne sur l’absurdité du processus créatif, et la complaisance de ceux qui veulent voir de l’art là où l’artiste propose avant tout une farce.

La récupération de photos et de bouts de films est certes dans l’air du temps des années 1970, mais c’est aussi une démarche liée à son enfance. Fils d’immigré, il a dû lutter pour survivre à la grande crise: son père (autrichien) est un self-made man qui revend d’abord le tabac de mégots de cigarettes avant d’ouvrir un négoce de recyclage de matériaux de construction. John travaillera avec lui, héritant d’un rituel qu’il transpose dans le monde des images. Quant aux formules lapidairesde ses peintures, elles sont à mettre en relation avec une mère (danoise) fervente lectrice, qui lui donne le goût du langage écrit, y compris celui de la simplification dans les explications données à un père qui maîtrise mal l’anglais. Écrire dans ses tableaux, c’était aussi pour qu’on ne lui dise plus «mes enfants pourraient très bien faire ça»…John Baldessari est considéré aujourd’hui comme un artiste pivot de l’art nord américain. Basé à Santa Monica où il enseigne depuis 30 ans, il a été un modèle pour Cindy Sherman, David Salle, ou Barbara Kruger, et a gagné en 2009 le Lion d’Or à la Biennale de Venise, en reconnaissance de l’ensemble de sa carrière. L’exposition Pure Beauty de Barcelone, réunit plus de 130 pièces, de ses premiers travaux mélangeant photos et textes, à la fin des années 1960, jusqu’aux images récupérées de séquences de film, dans ses Combined Photographs des années 1980, ou aux cadres irréguliers et repeints des années 1990, avec des vidéos dans ses travaux les plus récents.





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