JONATHAN WATERIDGE LE THEÂTRE DE L’ABSURDE

Another Place. Entre réalité et fiction. Sept grands formats du peintre anglais sont exposés à Londres avant de rejoindre le Palazzo Grassi, à Venise.À la question: «Aimez-vous Vélasquez ?»,Jonathan Wateridge répond sans hésiter, posément et d’un ton réfléchi:«À cause de lui, j’ai cessé de peindre pendant une quinzaine d’années ». Sa trajectoire est, il est vrai, assez ahurissante. Dès l’adolescence, subjugué par le réalisme baroque du maître espagnol, il tient déjà le pinceau. Mais il le dépose à vingt ans, certain désormais qu’il est impossible de tenter de réaliser des œuvres de ce genre, y compris celles de Goya, Manet, Van Dyck ou Rembrandt, sans tomber dans l’anachronisme. «J’ai fini par comprendre que le “hors-temps” peut être désuet sur la toile, mais que la théâtralité du support permet de faire résonner d’autres thèmes et d’autres références.» Aux prises avec une énigmatique façon de travailler, totalement innovante et qui ne doit rien à l’histoire de l’art, il raconte ses scénarios sur de larges film de fiction. Des scènes sur un plateau de tournage d’autant plus dérangeantes qu’elles révèlent la construction sous-jacente de l’œuvre comme les mouvements des lèvres d’un ventriloque. Ses acteurs racontent plus qu’ils n’incarnent, suscitent la réflexion plutôt que l’identification et cette rupture volontaire entre la narration et le mécanisme de mise en scène engendre le trouble. La peinture de Jonathan Wateridge établit une curieuse relation d’éloignement et d’étrangeté entre le spectateur et le tableau. Et c’est bien le principe brechtien de la distanciation qui confond le spectateur. L’attraction...

Another Place. Entre réalité et fiction. Sept grands formats du peintre anglais sont exposés à Londres avant de rejoindre le Palazzo Grassi, à Venise.
À la question: «Aimez-vous Vélasquez ?»,Jonathan Wateridge répond sans hésiter, posément et d’un ton réfléchi:«À cause de lui, j’ai cessé de peindre pendant une quinzaine d’années ». Sa trajectoire est, il est vrai, assez ahurissante. Dès l’adolescence, subjugué par le réalisme baroque du maître espagnol, il tient déjà le pinceau. Mais il le dépose à vingt ans, certain désormais qu’il est impossible de tenter de réaliser des œuvres de ce genre, y compris celles de Goya, Manet, Van Dyck ou Rembrandt, sans tomber dans l’anachronisme. «J’ai fini par comprendre que le “hors-temps” peut être désuet sur la toile, mais que la théâtralité du support permet de faire résonner d’autres thèmes et d’autres références.» Aux prises avec une énigmatique façon de travailler, totalement innovante et qui ne doit rien à l’histoire de l’art, il raconte ses scénarios sur de larges film de fiction. Des scènes sur un plateau de tournage d’autant plus dérangeantes qu’elles révèlent la construction sous-jacente de l’œuvre comme les mouvements des lèvres d’un ventriloque. Ses acteurs racontent plus qu’ils n’incarnent, suscitent la réflexion plutôt que l’identification et cette rupture volontaire entre la narration et le mécanisme de mise en scène engendre le trouble. La peinture de Jonathan Wateridge établit une curieuse relation d’éloignement et d’étrangeté entre le spectateur et le tableau. Et c’est bien le principe brechtien de la distanciation qui confond le spectateur.

L’attraction de l’extrêmeL’artiste choisit souvent une histoire très crue, comme dans ses quatre scènes épiques («On a clear day, You can see») présentées en 2006 par la galerie David Risley, centrées sur les situations extrêmes, la jungle profonde, les naufrages et les catastrophes aériennes, dans la veine d’un Courbet ou du Frank Capra des «Horizons Perdus».Wateridge n’a décidément pas froid aux yeux. La litanie du cadavre souriant et les lendemains de drame qu’il déroule dans «Another Place» sont glaçants. Choc de l’inattendu et suspense s’y succèdent, inspirés par l’effondrement, une nuit de 1928, du barrage SaintFrancis, à Los Angeles, qui avait fait plus de quatre cent cinquante victimes et qui mit un terme à la carrière de son constructeur, l’ingénieur William Mulholland. Il est question de l’assassinat de l’architecte dans sa maison californienne. Une fiction totale, évidemment. Mullholland est mort de sa belle mort à un âge avancé, mais «les seules personnes que je puisse envier dans cet accident, ce sont les morts» dit l’artiste. Il peint aussi l’atmosphère avant le drame, sur l’aqueduc où l’ingénieur apparaît assis sur le siège arrière de la voiture du sénateur interviewé par un journaliste; après la catastrophe, il peint l’inventaire des dernières richesses d’une vieille femme, déployées sur le gazon devant sa maison. On surprend l’intrusion de l’imprévu dans une modeste cuisine où les jouets terrorisés par un dinosaure de plastique évoquent le désastre qui n’apparaît explicitement que sur un seul tableau. Et puis, cet agent de la sécurité tombé à terre entre les étranges mannequins d’un magasin, ébranlé par un choc invisible qui remet en question le pouvoir du grand «L» – de la loi – face aux tragédies foudroyantes. «Je ne cherche pas à produire des images ironiques ou complices» dit le peintre. La liberté d’établir une relation authentique et singulière avec une œuvre aussi complexe que déstabilisante, voilà précisément le type de provocation que cherche à susciter le créateur qui présente, parailleurs, tous les atours sociaux d’un artiste accompli. Né en Zambie en 1972, étudiant à la Glasgow School of Art, ses œuvres présentées aujourd’hui par All Visual Arts sont entrées dans les prestigieuses collections de François Pinault, Zabludowicz, Benedikt Taschen. Sélectionné parmi les artistes réunis par la galerie Saatchi pour l’exposition «Newspeak: British Art Now», le voilà donc à l’affiche londonienne avec son exposition en solo, bientôt présentée au Palazzo Grassi. Wateridge ne revendique pas la notoriété à tout prix. «La percée est venue par hasard» dit-il, trop occupé d’abord par son travail. S’il lui faut cinq semaines pour peindre une toile, c’est qu’il utilise des modèles et des petits ensembles qu’il construit minutieusement durant des mois, à une échelle réduite, que ce soient les personnages, les structures ou le costume des acteurs. Ce lent processus finit par nous plonger dans la confusion des temps, des faits, dans l’indistinction entre vrais et faux environnements. Les images de Jonathan Wateridge sont à expérimenter comme une plongée dans la parfaite illusion. On en ressort un peu chancelant et fasciné de l’être.


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