Pour représenter les hommes de couleur, les Anciens ont créé un type fixe, sans distinguer les caractères somatiques correspondant aux différentes races, car ils manquaient de connaissances exactes du continent africain. Le Noir se trouve donc caractérisé par sa peau sombre, son nez court, large et épaté, ses lèvres épaisses et proéminentes, ses cheveux crépus, à l’exclusion de tout autre signe particulier. Les Grecs parlaient des Noirs sous le nom d’Ethiopiens, qui signifie étymologiquement «Hommes à la face brûlée par le soleil».
Les premiers contacts avec les Noirs se firent, semble t-il, par l’intermédiaire de la colonie deNaucratis, fondée par les Milésiens au VIIe siècle avant J.-C. Ce port, établi dans le delta du Nil, était le point de contact entre l’Egypte pharaonique et le monde égéen. Et les premiers Africains qu’on vit à Athènes provenaient donc de Naucratis, où ils avaient été achetés sur le marché des esclaves. Une autre occasion de rencontre fut les guerres médiques. En effet, l’historien Hérodote rapporte que Xerxès, le Grand Roi, qui envahit la Grèce en 480 avant J.-C., avait dans son armée des Ethiopiens aux cheveux laineux.Mais c’est la fondation d’Alexandrie, aux portes de l’Egypte (332 avant J.-C.) qui va populariser dans le monde hellénisé la figure du Noir, dont le caractère exotique était un attrait puissant pour les artistes.Ceux-ci représentent le Noir avec objectivité, sans dérision ni mépris. D’ailleurs, on aurait de la difficulté à trouver dans la littérature antique des propos franchement racistes à l’égard de ces hommes différents, même si la société ne leur accordait qu’une place marginale et inférieure. Ce qui n’était pas toujours vrai, d’ailleurs, certains Africains ayant occupé des positions éminentes sous l’Empire romain. Par exemple, Hérode Atticus, rhéteur renommé et richissime, qui fut aussi précepteur de Marc Aurèle, comptait parmi ses collaborateurs et amis un Noir nommé Memnon.Les représentations de Noirs sont plutôt rares dans l’art antique, mais il y en a de très remarquables. En voici quelques exemples:
1. Flacon du genre aryballe, pourvu d’uncol en entonnoir, renforcé par deux petites anses. La panse est modelée en formede tête, celle d’un Noir aux traits raciauxcaractéristiques. Les lèvres sont rouges.Rouges aussi les petits cercles (effacés) surla calotte servant à reproduire la chevelurecrépue. A l’origine, les yeux étaient probablement peints en blanc.
2. Vase à boire, en forme de bol à ansevertical (oenochoé). Comme dans le casprécédent, la panse affecte la forme d’unetête de Noir, avec son cou. Le visage aune expression figée, comme si le personnage prenait la pose. Le fond des yeuxet les lèvres sont relevés de rouge. CetAfricain typique porte un bonnet, nouésous le menton, dont la couleur jaune etles petites taches indiquent qu’il est faiten peau de léopard. Ce genre de couvrechef, qu’on appelait «phrygien» (les Anciens en faisaient l’attribut des Amazones,autre peuple exotique), suggère qu’on setrouve devant un soldat, comme ceux quiservaient d’écuyers aux hoplites grecs. Lecol du vase, peint selon la technique dite«à figures rouges», fait allusion au culte deDionysos. On en déduit que ce récipientétait destiné au service du vin.
3. Petite sculpture, entièrement creuse, faisant office de flacon. Elle représente un jeune Noir endormi, appuyé sur une amphore. Celle-ci est soutenue en position inclinée par quatre gros cailloux. On peut voir dans ce garçon un esclave affecté au déchargement d’un navire, rempli d’amphores. Epuisé, il sommeille pendant la pause, à l’abri du soleil de midi.Ce vase miniature, originellement muni d’un bouchon, contenait du parfum, sous forme huileuse. Le sujet de la représentation, typiquement alexandrin, avait valeur d’étiquette, de marque d’origine, Alexandrie étant réputée pour son industrie cosmétique.
4. Gobelet en verre, transparent, à reflets bleutés. Il a été soufflé et moulé en trois parties: base, face et revers de la panse. Les raccords sont presque invisibles. La panse a la forme d’une tête, celle d’un jeune Africain, caractérisé par les traits négroïdes et la coiffure en mèches torsadées, qui tombe en frange sur le front.Ce vase, à ranger dans les produits de luxe, date de l’Empire romain. Dérivé d’un modèle oriental, il a probablement été exécuté en Italie, d’autres exemplaires ayant été trouvés à Herculanum et à Pompéi.
5. Plaquette en ivoire ou en os, ayant décoré une pièce d’ébénisterie, boîte à cosmétiques ou coffret à bijoux. L’objet esten forme de tête, figurée de trois quartset exécutée en bas-relief. Le personnagequ’on a devant les yeux est clairement désigné comme un Africain: joues rondes,nez aplati, lèvres épaisses, cheveux drus. Ilporte une couronne de fleurs, car dans lesbanquets et les fêtes religieuses les serviteurs aussi avaient droit à cet ornement.
6. Petite sculpture en marbre représentantune femme noire. Ses traits sont rendusavec une telle précision qu’un ethnologue pourrait à coup sûr identifier la tribuà laquelle elle appartenait. Le visage estmassif, le menton carré, les yeux légèrement obliques, l’expression plutôt virile.Le cou, très large, représente des plis horizontaux, que les Anciens (qui y voyaient la marque de la beauté féminine dans toute sa plénitude) qualifiaient d’«anneaux de Vénus». Sa chevelure crépue est disposée en tresses, qui s’enroulent autour du crâne et se rassemblent sur l’occiput, où il y avait probablement un chignon, exécuté en plâtre peint. Pour cette étonnante représentation, le sculpteur a tout naturellement employé un marbre noir, tacheté de blanc.Cette sculpture est partiellement creuse. Une planchette coulissante, à la base du cou, faisait office de fermeture. L’objet servait donc de cachette, pour des bijoux ou des pièces de monnaie. Mettre ainsi sous la garde d’une Africaine son petit trésor n’a rien d’étonnant: les Noirs passaient pour porter bonheur.