Oubliez les téléfilms ou la familiarité, – «la Pompadour» comme on le dit trop souvent –: la marquise est au Louvre. C’est dans son portrait par Quentin de La Tour qu’elle est la plus belle: ici la virtuosité le dispute au naturel, et puis, songez: l’artiste a rendu la soie par le pastel ! En général, on ne s’attend pas assez à rencontrer les célébrités d’antan dans les images qui les ont fixées de leur vivant – et pourtant, combien est savoureux cet enjambement des doctes ou vulgarisateurs ! Si les musées ne devaient avoir qu’une fonction, ne serait-ce pas d’ouvir des fenêtres, non pas tant sur le monde d’aujourd’hui, que sur le monde d’hier ? Ainsi, apercevoir à Versailles Louis XIV par le Bernin, et lire dans ce buste presque toute la personnalité du monarque: l’obstination, la fougue, l’intelligence, la séduction… L’impression d’abondance est la même en face du portrait de la marquise de Pompadour. Née Virginie Poisson, elle devint duchesse mais n’usa pas de ce titre (marquise rime avec exquise), jouissant néanmoins des privilèges qu’il confère. Pour souligner encore si besoin est combien le personnage est passionnant, ajoutons qu’elle prit en grande estime le projet de l’Encyclopédie; qu’elle fut artiste aussi (elle gravait); qu’elle fut la maîtresse, la pourvoyeuse, l’amie de Louis XV et le fit pleurer quand il aperçut, de son bureau, son corbillard s’éloignant. Enfin, rappelons qu’une duchesse ne cédait le pas qu’à un membre de la famille royale.Autre moyen d’approcher les gloires d’antan: le vide, tel une silhouette fantomatique que chacun d’eux a laissé dans les lieux qui lui furent familiers; le souvenir d’une voix, d’un craquement habituel sous les pas ou du frôlement d’une dentelle contre une rampe, le souvenir encore des sourires, des bouderies. Une sorte de plénitude dans la présence caractérise sans doute les destins d’exception qui devait imprégner jusqu’aux lambris. Peu importe alors si ces lieux sont aujourd’hui dépourvus de meubles ou l’ont toujours été: j’ai senti ces fantômes avec tant de force dans les couloirs blancs de Versailles… De même, dans la tribune de la marquise à la chapelle.
«Madame de Pompadour supplie très humblement Votre Majesté de vouloir bien accorder une tribune dans la Chapelle de Versailles, conformément au plan ci-joint.» La demande fut faite en 1753. La tribune, si accueillante avec son «tapis de peauxd’ours» et sa «chaise en prie-Dieu couverte de velours ciselé cramoisi», donne par une fausse baie sur le bascôté gauche de la chapelle. On s’interroge délicieusement: était-elle destinée à se cacher dans la faiblesse de la prière ou à se montrer ? Quelle élégance dans l’idée même d’une tribune comme une loge de théâtre, dans un lieu si pur et si constamment animé (une vingtaine de messes ou offices y étaient célébrés chaque jour).Une exposition consacrée à la chapelle se tient au château de Versailles. On y découvre l’histoire des quatre chapelles palatines précédentes, celle de la chapelle telle que nous la voyons aujourd’hui et surtout des études pour le décor de sa voûte. Offrant actuellement à voir la Trinité trônant parmi maints anges et putti séduisants, elle est le chef-d’œuvre de trois artistes majeurs: Jean-Baptiste Jouvenet y peignit au-dessus de la tribune royale La Pentecôte; Antoine Coypel, au centre, Le Père éternel dans sa gloire, et Charles de la Fosse, dominant le buffet d’orgue et le maître-autel, La Résurrection du Christ. J’ai rarement aussi bien compris qu’en contemplant cette voûte – sinon en arpentant Saint-Pierre de Rome ou en rêvant à ses tombeaux –, cette phrase du Cardinal de Bérulle citée par Marguerite Yourcenar dans La Voix des choses: «Qu’est l’homme ? […] Un ange, un animal, un vide, un monde, un rien entouré par Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu, rempli de Dieu s’il en éprouve le désir.»Si vous vous rendez à Versailles pour cette exposition vous ne manquerez pas d’y voir l’impressionnante clef de la grande porte de la chapelle. Son anneau porte le chiffre du roi et son panneton la découpure d’une fleur de lys. Je rêvais enfant de disposer des clefs de beaucoup de châteaux – ouvrir et fermer, enfermer, s’enfermer, lier et délier, ou selon la terminologie alchimique, coaguler et dissoudre… L’infinitif est le mode de la clef. Que de pouvoirs et de perspectives dans un si petit volume ! Dieu est dans les détails, paraît-il. Le roi aussi.