LA COLLECTION JONAS NETTER UNE SPECTACULAIRE DISCRÉTION

Jonas Netter naquit à Strasbourg en 1867. Son père tenait une petite industrie de traitement de la plume pour oreillers et couettes. Avec la défaite de la guerre de 70, ils devinrent allemands et durent se faire naturaliser Français pour s’installer à Paris, 68, boulevard de Strasbourg. Quand le père quitte la famille pour une autre femme (ce qui ne se faisait jamais, surtout pas dans les milieux juifs de l’époque), Jonas travaille comme commercial chez un agent de marques. En 1892, il crée sa propre affaire, l’agence Netter. Il a vingt-cinq ans et va découvrir l’art à la manière d’un personnage de Marcel Aymé. Il avait une amie très chère qu’il visitait régulièrement. Dans cet immeuble, la concierge était mariée à un agent de police. Chaque fois que Jonas empruntait l’escalier, il se faisait insulter par le couple. Las, il alla se plaindre au auprès du préfet de police, M. Zamaron. En entrant dans le bureau du fonctionnaire, il regarda longuement un tableau accroché au mur et remarqua qu’il était fort beau. Le préfet le félicita: «Vous êtes le premier à apprécier cette toile. Le peintre est italien, il s’appelle Modigliani. Voulez-vous le connaître ? Je vous emmène chez son marchand, Zborowski». Chez ce dernier, Jonas acheta trois toiles: deux Utrillo et un Modigliani. Début de la collection. Il est évident que ces toiles étaient en rupture avec le goût de l’époque. Très vite le collectionneur et le marchand se lient et s’associent pour soutenir des peintres. Utrillo a...

Jonas Netter naquit à Strasbourg en 1867. Son père tenait une petite industrie de traitement de la plume pour oreillers et couettes. Avec la défaite de la guerre de 70, ils devinrent allemands et durent se faire naturaliser Français pour s’installer à Paris, 68, boulevard de Strasbourg. Quand le père quitte la famille pour une autre femme (ce qui ne se faisait jamais, surtout pas dans les milieux juifs de l’époque), Jonas travaille comme commercial chez un agent de marques. En 1892, il crée sa propre affaire, l’agence Netter. Il a vingt-cinq ans et va découvrir l’art à la manière d’un personnage de Marcel Aymé.

Il avait une amie très chère qu’il visitait régulièrement. Dans cet immeuble, la concierge était mariée à un agent de police. Chaque fois que Jonas empruntait l’escalier, il se faisait insulter par le couple. Las, il alla se plaindre au auprès du préfet de police, M. Zamaron. En entrant dans le bureau du fonctionnaire, il regarda longuement un tableau accroché au mur et remarqua qu’il était fort beau. Le préfet le félicita: «Vous êtes le premier à apprécier cette toile. Le peintre est italien, il s’appelle Modigliani. Voulez-vous le connaître ? Je vous emmène chez son marchand, Zborowski». Chez ce dernier, Jonas acheta trois toiles: deux Utrillo et un Modigliani. Début de la collection.

Il est évident que ces toiles étaient en rupture avec le goût de l’époque. Très vite le collectionneur et le marchand se lient et s’associent pour soutenir des peintres. Utrillo a besoin de vin et de soins, Antcher – le peintre moldave de l’École de Paris – a besoin de tout. Modigliani – au contraire – est aidé par sa famille et vend aisément son travail. Il faut aussi aider Soutine, personnage antipathique, un rustre, un fruste, mais… un peintre! Dont les voisins se plaignent: il garde une viande en putréfaction au moment où il peint un écorché de bœuf!

Zborowski témoigne d’un sens esthétique indiscutable. Netter a de l’argent. Il paie non pas de façon dispendieuse ou inconséquente mais avec rigueur et compréhension. Il trouve une maison de soins pour Utrillo et l’encourage à peindre, rembourse les désordres: «Objets cassés par Monsieur Utrillo: marbre de table de nuit et vase, deux vitres»… Zborowski, Polonais et poète, n’est pas si rigoureux. Il ne tient ni comptes ni catalogues. Et finit par confondre ce que Netter donne aux artistes et ce qui pourrait lui revenir… L’association se termine par une brouille. Antcher, en effet, vend la mèche: Zborowski ne paie pas les artistes comme ils en étaient convenus et garde des toiles revenant au mécène. Chez les Netter, la dette est une trahison. Le ponctuel Netter envoie un recommandé: «Monsieur, je vous ai attendu mercredi matin à dix heures comme convenu – mais naturellement vous n’êtes pas venu». Merveilleuse phrase pour le début d’un roman ! Mais, plus loin, les comptes sont sans appel: «Vous me devez le surplus de mon versement […] somme que j’exige que vous me versiez immédiatement en même temps que les 24 tableaux supplémentaires que vous a remis Mr. Antcher et dont je revendique ma part.» La formule de politesse en dit long: «Salutations empressées». Les deux hommes ne se reverront plus. Jonas poursuit ses achats avec la collaboration de Madame Zack, galeriste rue de l’Abbaye, qui l’aidera pendant sept ans. Désormais marié, père d’une fille et tardivement d’un garçon (il a alors soixante ans), il déménage pour la plaine Monceau, rue Meissonnier, dans un vaste appartement qui s’avère trop petit pour les toiles qu’il rapporte de ses promenades: Utrillo et Modigliani toujours, mais aussi Soutine, Antcher, Valadon, Kisling, Hélion, Derain et tant d’autres. Ce qu’on appellera «l’École de Paris» est là dans son essence comme dans ses frémissements.

Curieusement, le collectionneur arrêtera ses achats, une fois fait le plein de toiles. «M. Netter a la mine un peu désabusée d’un amateur que vingt ans de recherche ont fini par blaser», écrit J. Gros dans l’Art Vivant, le seul article jamais écrit sur Jonas, qui se faisait appeler Jones ou Jean. Ainsi sa collection ne se prolongera-t-elle pas vers les artistes de l’époque: les Picasso, les Giacometti, ni vers l’abstraction (à l’exception d’Hélion). «Si j’avais suivi mon inspiration, j’aurais acheté tous les Utrillo et tous les Modigliani que je voyais», confiait-il en 1929 à la revue l’Art Vivant. «A-t-on idée, me répétait-on, de ne collectionner que deux peintres? Un vrai collectionneur doit être éclectique.» 

N’était-il donc pas un «vrai collectionneur» ? Il vouait une intense admiration à Modigliani et éprouvait une grande affection pour Utrillo. Il semble donc que ses choix furent dictés par la solidarité d’un homme fortuné pour des peintres fauchés; par la fidélité profonde qui le liait à tel ou tel; par l’émerveillement que son œil s’était exercé à ressentir. Cherchait-il une forme de poésie qui ne touchait alors que lui ? «C’est un drôle de démon, n’est-ce pas la peinture !» s’exclamait-il.

À sa mort, en 1948, ses deux enfants se partagent les tableaux. Sa fille vendra les siens. Son fils, Gérard, gardera ceux qui lui revinrent. Il monte alors une galerie près du Palais Royal pour réaliser des expositions et faire connaître des peintres oubliés que son père avait aidés: Durey, Ebiche, Epstein, Farrey, Feder, Fournier, Gay, Hayden, Kikoïne qui peignait comme Soutine, Lagar, Landau, Ortiz, Richard, Sola aux magnifiques portraits de femmes.

Après une longue période de discrétion, selon ses propres termes, Gérard Netter décide avec son fils qu’il est temps de rendre hommage au collectionneur Jonas. «Les œuvres parlent d’elles-mêmes, dit-il, il était inutile de dire qu’elles venaient de chez Jonas Netter.» Jusqu’à ce qu’une Fondation soit créée, dotée de cet incroyable trésor, pour proposer des prêts dont le fruit ira intégralement au profit d’œuvres caritatives en Afrique noire où les Netter développent leurs activités commerciales. 

Mécène, le ministre d’Auguste, fut-il vraiment désintéressé ? Les grands protecteurs des artistes aiment à se glorifier de leurs dons voire à figurer dans les peintures. À quoi ressemblait Jonas ? On ne dispose que d’une photo et de deux portraits: Portrait d’homme de Moïse Kisling (1920) et Portrait de Jonas Netter d’Henri Hayden (1915). Mais Netter ne s’était trompé ni dans ses achats ni dans sa discrétion aujourd’hui dévoilée et qui l’honore. «Sans lui, Modigliani n’aurait sans doute jamais existé, ni Soutine, ni Utrillo», insiste Marc Restellini, petit fils d’Antcher et commissaire de l’exposition. Pour le visiteur de la collection enfin dévoilée, une autre impression se dégage de l’ensemble: une humanité profonde, celle d’un commerçant qui aidait des peintres parce qu’ils l’intéressaient; une générosité qui conduit le goût au-delà de l’esthétique. 

L’accrochage, aussi spectaculaire que convaincant, présente donc ces toiles parmi lesquelles on retiendra particulièrement Soutine, Utrillo, Vlaminck, Valadon… On s’arrêtera devant un Derain, Les Grandes baigneuses (1908) qui fait un écho troublant aux Demoiselles d’Avignon de Picasso. On découvrira une Nature morte de Durey ou un Nu d’Epstein; on se laissera porter par le charme d’une femme de Sola… Et puis Modigliani (bien sûr) dont la Fillette en bleu (1918) a toujours été accrochée dans la chambre de Jonas puis dans celle de Gérard, au-dessus du lit, comme un ange gardien.

Il suffit de feuilleter quelques pages du catalogue ou de pénétrer dans les espaces de l’exposition pour percevoir d’emblée la place primordiale donnée à la couleur, qui apparaît comme l’élément fédérateur des œuvres de la collection. Point de sujet prédominant; paysages, portraits et natures mortes se succèdent. De plus, la période couverte s’étend de l’impressionnisme à l’expressionnisme abstrait. C’est donc la couleur qui est le fil conducteur de la collection; elle relie les peintures de Monet, Sisley et Van Gogh, à celles de Sam Francis et Max Bill, réalisées un siècle plus tard.

Mais qui est Werner Merzbacher ? Un marchand de fourrures, profession qui exige un œil sensible aux plus subtiles variations de tons; mais cela n’explique pas tout de son goût pour les œuvres aux coloris vifs ni de sa vocation de collectionneur.

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