LA VRAIE VENISE TOUJOURS AILLEURS

Dès sa première image dans l’or des mosaïques de la basilique Saint-Marc, au XIIe siècle, Venise n’a cessé de captiver le regard desartistes, pour ne rien dire des écrivains. Dans la préface à ses Quatre livres d’architecture (1570), le grand Andrea Palladio (1508-1580) expliquera en une phrase le fondement de cette fascination: «Venise, où fleurissent les Beaux-Arts, est le seul exemple qui reste de la grandeur et de la magnificence des Romains». Elle est le lieu où se matérialise l’utopie.Un genre répond à l’attente qu’éveille tant d’admiration: la veduta. C’est sans doute au XVIIIe siècle qu’elle prend un brillant et presque industriel essor dans la Cité des Doges. Le plus éminent des peintres produisant ces vues urbaines et architecturales que les Anglais, en particulier, aiment rapporter de leur «Grand tour» (touristique) sur le continent, est Giovanni Antonio Canale (1697-1768). Confondant, selon la parfaite formule d’André Corboz «la précision (de la peinture) avec l’exactitude (de ‘l’observation’)», l’histoire de l’art a trop souvent prêté à ce védutiste une scrupuleuse fidélité de notaire délivrant des cartes postales avant la lettre.Or Canaletto est loin de s’être adonné au simple constat. Au contraire, quand il s’arrête au Rialto ou laisse son œil balayer le Grand Canal, quand il regarde San Giorgio Maggiore, d’où il se tourne vers le Molo et le Palazzo Ducale, quand il embrasse la piazza San Marco, il réarticule l’espace, reconfigure les bâtiments. Cette tendance au caprice (d’architecture) – un genre connexe dans lequel il excelle aussi – est sans doute dictée...

Dès sa première image dans l’or des mosaïques de la basilique Saint-Marc, au XIIe siècle, Venise n’a cessé de captiver le regard desartistes, pour ne rien dire des écrivains. Dans la préface à ses Quatre livres d’architecture (1570), le grand Andrea Palladio (1508-1580) expliquera en une phrase le fondement de cette fascination: «Venise, où fleurissent les Beaux-Arts, est le seul exemple qui reste de la grandeur et de la magnificence des Romains». Elle est le lieu où se matérialise l’utopie.Un genre répond à l’attente qu’éveille tant d’admiration: la veduta. C’est sans doute au XVIIIe siècle qu’elle prend un brillant et presque industriel essor dans la Cité des Doges. Le plus éminent des peintres produisant ces vues urbaines et architecturales que les Anglais, en particulier, aiment rapporter de leur «Grand tour» (touristique) sur le continent, est Giovanni Antonio Canale (1697-1768). Confondant, selon la parfaite formule d’André Corboz «la précision (de la peinture) avec l’exactitude (de ‘l’observation’)», l’histoire de l’art a trop souvent prêté à ce védutiste une scrupuleuse fidélité de notaire délivrant des cartes postales avant la lettre.Or Canaletto est loin de s’être adonné au simple constat. Au contraire, quand il s’arrête au Rialto ou laisse son œil balayer le Grand Canal, quand il regarde San Giorgio Maggiore, d’où il se tourne vers le Molo et le Palazzo Ducale, quand il embrasse la piazza San Marco, il réarticule l’espace, reconfigure les bâtiments. Cette tendance au caprice (d’architecture) – un genre connexe dans lequel il excelle aussi – est sans doute dictée autant par la volonté de fabriquer des images qui se tiennent esthétiquement et qui traduisent par moments une ambition critique, que par la complexité des perceptions dans une aire jamais saisissable d’un seul coup d’œil: Venise est la ville des décrochements, des dilatations soudaines, des cheminements tortueux, des rebonds de l’imaginaire. Et dans sa lumière, tour à tour blonde, brumeuse, chatoyante, tous les mirages s’accomplissent.Vers 1728, peut-être sous l’influence des idées de Newton discutées dans le cercle du comte Francesco Algarotti (1712-1764), Canaletto passe à la peinture claire, qui «détend» le clair-obscur et accentue la transparence du vide aérien. Estce suffisant pour créditer, un peu trop commodément, les Vénitiens du XVIIIe siècle du statut de précurseurs de l’impressionnisme ? Certes, ce courant (français au départ) tendait à l’éclairage frontal et à l’élimination des ombres. Mais ni la touche, ni la saisie des objets architecturaux, ni la couleur, ni la vision des effets atmosphériques privilégiées sur la Lagune au temps de Canaletto et de Guardi (1712-1793) n’ont de rapport avec le grand vent lumineux d’un Turner (1775-1851) ou le brasillement des toiles réalisées par Claude Monet (1840-1926) à Venise en 1908.L’impressionnisme est un mouvement matérialiste, qui part de l’analyse des vibrations visibles pour capter le monde en dehors de toute immobilisation naturaliste. «Il n’y a qu’une chose de vraie: faire du premier coup ce qu’on voit. Quand ça y est, ça y est. Quand ça n’y est pas, on recommence», lancera Manet (1832-1883). À Venise, le renouvellement du spectacle est constant. Si ce ne sont directement la permanence du mythe de la Sérénissime et le souvenir de sa grande peinture, celle du XVIe siècle, tout d’abord, c’est bien sûr l’inépuisable jeu des reflets sur l’eau et des inflexions du ciel qui attira les peintres du XIXe siècle. Pour une génération qui avait abandonné l’idéalisme de l’imitation, le tissu taché des façades, les vieilles pierres et les canaux ne sont que les supports de la peinture. Attitude toute moderne. Y a-t-il lieux plus convenables pour créer du nouveau que ceux du passé ? C’est cette transgression jubilante que nous admirons encore. Et une ville qu’aucune image ne capture totalement.

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