L’APOXYOMÈNE DE CROATIE

À l’évocation de la statuaire antique, une image s’impose: des corps nus, des drapés savants, une foule de dieux et de héros, qui ont en commun une blancheur éclatante, celle du marbre. Or, les sculpteurs grecs étaient d’abord des bronziers, tels Myron, Polyclète, Phidias. Ces bronziers utilisaient la fonte à cire perdue, selon deux procédés: celui que l’on appelle «sur positif», où le modèle est détruit au cours de l’opération et celui de la cire perdue «sur négatif», qui nécessite une étape supplémentaire, soit la confection d’un moule, en plusieurs éléments. La seconde méthode, épargnant le modèle et permettant ainsi sa reproduction, s’imposera à partir de 550 av. J.-C. Après la fonte, les différentes parties de la statue (tête, torse, membres, accessoires) étaient assemblées par soudure ou par rivetage. Puis, on procédait au traitement des surfaces (enlèvement des jets de coulée, comblement des cratères minuscules provoqués par les bulles d’air emprisonnées, polissage vigoureux). Venait ensuite la ciselure, servant à souligner les détails, comme les mèches de cheveux. Sans oublier ni les incrustations de cuivre ni le remplissage des orbites par de la pierre dure, de la nacre ou du verre. L’aspect final de l’œuvre dépendait évidemment de la nature de l’alliage, composé essentiellement de cuivre et d’étain. Selon Pline l’Ancien, le sculpteur Myron employait l’alliage connu dans l’Antiquité sous le nom de «bronze d’Égine», alors que son concurrent Polyclète privilégiait celui «de Délos». Le bronze, qui se prête facilement à la refonte, était régulièrement récupéré pour servir à d’autres usages...

À l’évocation de la statuaire antique, une image s’impose: des corps nus, des drapés savants, une foule de dieux et de héros, qui ont en commun une blancheur éclatante, celle du marbre. Or, les sculpteurs grecs étaient d’abord des bronziers, tels Myron, Polyclète, Phidias.

Ces bronziers utilisaient la fonte à cire perdue, selon deux procédés: celui que l’on appelle «sur positif», où le modèle est détruit au cours de l’opération et celui de la cire perdue «sur négatif», qui nécessite une étape supplémentaire, soit la confection d’un moule, en plusieurs éléments. La seconde méthode, épargnant le modèle et permettant ainsi sa reproduction, s’imposera à partir de 550 av. J.-C.

Après la fonte, les différentes parties de la statue (tête, torse, membres, accessoires) étaient assemblées par soudure ou par rivetage. Puis, on procédait au traitement des surfaces (enlèvement des jets de coulée, comblement des cratères minuscules provoqués par les bulles d’air emprisonnées, polissage vigoureux). Venait ensuite la ciselure, servant à souligner les détails, comme les mèches de cheveux. Sans oublier ni les incrustations de cuivre ni le remplissage des orbites par de la pierre dure, de la nacre ou du verre.

L’aspect final de l’œuvre dépendait évidemment de la nature de l’alliage, composé essentiellement de cuivre et d’étain. Selon Pline l’Ancien, le sculpteur Myron employait l’alliage connu dans l’Antiquité sous le nom de «bronze d’Égine», alors que son concurrent Polyclète privilégiait celui «de Délos». Le bronze, qui se prête facilement à la refonte, était régulièrement récupéré pour servir à d’autres usages que la statuaire. C’est pourquoi si peu de grands bronzes ont survécu.

Au XIXe siècle, on ne connaissait guère que l’Apollon de Piombino, trouvé en 1832, le Prince hellénistique et le Boxeur du Musée des Thermes à Rome (1884), enfin, l’Aurige de Delphes (1896). À ce corpus vinrent s’ajouter successivement le Jeune homme d’Anticythère (1901), l’Agôn de Mahdia (1907), l’Éphèbe de Marathon (1925), le Poséidon du cap Artémision (1926), le Kouros, l’Artémis et l’Athéna du Pirée (1959), le Bronze Getty, dit de Fano (1972) et les deux Guerriers de Riace, apparus la même année.

La découverte de Riace, qui a mis en émoi le monde entier, ne marquait pas, par bonheur, la fin de la série.

En effet, vingt-quatre ans plus tard, la Croatie livrait à son tour un bronze magnifique. Repéré par un plongeur amateur, il gisait par 45 mètres de profondeur, au large de Vele Orjule. Les photos sous-marines montrent la statue dans le sable, couchée sur le dos, non brisée, avec encore son socle sous les pieds.

Il s’agit de la représentation d’un homme jeune, entièrement nu, que la coiffure à mèches courtes et la carrure imposante caractérisent comme étant un athlète, formé à la lutte et au pancrace (lutte et pugilat).

Au premier coup d’œil, tout archéologue devine que l’homme se trouve en train de se servir d’une étrille, qu’on appelait strigile. L’instrument, fait à part, n’est pas conservé, mais la position des mains de l’athlète et son air concentré interdisent de mettre en doute l’interprétation. Car il faut savoir qu’au cours des exercices dans le gymnase, la sueur et la poussière collaient à la peau, préalablement enduite d’huile. Une éponge imbibée d’eau n’aurait pas suffi à se débarrasser de cette crasse, rendant nécessaire le recours au racloir.

Cependant, la statue ainsi décrite ne représente pas l’action de se passer le strigile sur le corps. L’artiste a préféré le moment qui suit: le récurage de l’instrument lui-même. Pour ce faire, l’athlète applique son pouce sur la lame creuse. À noter que la matière grasse ainsi récoltée n’était pas jetée, mais soigneusement recueillie par l’administrateur du gymnase, qui la vendait à son profit. Cet usage curieux s’explique si l’on sait que le médecin grec Dioscoride, qui servit dans l’armée romaine, prêtait à ladite matière des vertus dans le domaine de la rhumatologie et de la gynécologie.

Un athlète, qui se livre à cette sorte de toilette, est qualifié d’apoxyoménos, d’après le verbe grec signifiant « ôter par frottement ». D’où le titre d’Apoxyomène donné à la statue par les archéologues croates, fiers de leur trésor.

Il n’empêche que cette statue n’est pas, comme on pourrait le croire, unique en son genre. En effet, on connaît une autre œuvre sur le même thème, haute elle aussi de 1,92 m. Découverte en morceaux dans le gymnase d’Éphèse en 1896, elle est exposée aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne (inv. 3168). Les spécialistes la considèrent comme étant la copie (époque flavienne) d’un chef-d’œuvre célèbre de la sculpture grecque, créé en 340/30 av. J.-C. Dédalos de Sicyone, dont on sait qu’il a travaillé pour les sanctuaires d’Olympie et de Delphes, pourrait en être l’auteur.

Quel rapport exact y a-t-il donc entre la statue de Croatie et celle d’Éphèse ? Les études en cours le diront.

Mais, à ce stade, on peut d’ores et déjà rappeler que le sujet de l’apoxyomène n’est pas propre aux deux statues en question. Il en existait une autre version, celle du fameux sculpteur Lysippe, originaire de Sicyone (Péloponnèse) comme Dédalos. L’original a disparu, mais on le connaît grâce à une réplique d’époque romaine, en marbre cette fois, qui fut trouvée à Rome, en 1849. L’attitude de l’athlète y est différente: il passe le grattoir sur son bras droit, qu’il tient étendu à l’horizontale. Mais l’expression appliquée du regard est la même.

Il y a donc deux types d’apoxyomène, ce qui prouve l’intérêt que les Anciens portaient au sujet. Un sujet qui, pour nous les modernes, semble trivial. Selon eux, au contraire, se montrer en public, alors qu’on se nettoie après un effort violent, n’avait rien que de très naturel. En représentant ainsi les athlètes qui avaient triomphé aux grands jeux, ceux d’Olympie ou d’ailleurs, les artistes cherchaient en réalité à conférer aux exploits sportifs une dimension de profonde humanité.

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