Véritable défi pour les artistes, les vitrines des maisons de luxe se métamorphosent en musées éphémères privilégiant une vision culturelle des marques dans un contexte international de création…
Pour susciter le désir, le monde du luxe convertit ses vitrines en espaces artistiques hors du cadre traditionnel des galeries, dans des scénographies abouties dont Hermès s’est fait une signature historique.
Tableau-vitrine chez Hermès Précurseur réputé pour son imaginaire poétique, Émile Hermès aménage dès les années 20, sous l’impulsion de sa chef étalagiste vendeuse au rayon des gants, Annie Beaumel, des vitrines conçues comme des scènes de théâtre. Durant l’Occupation, cette mise en scène habile privilégie un jeu d’éclairage pour pallier la pénurie de produits. On vient alors voir les tableaux-vitrines rue Boissy d’Anglas et Faubourg Saint-Honoré, signées Christian Bérard, Sacha Guitry, Jean Cocteau, Marie Laurencin, Léonor Fini… comme on va au musée. Une tradition qui se perpétue, intégrant petit à petit les produits aux tableaux narratifs.
Objets manufacturés et œuvres dialoguent avec des matériaux inattendus, paille, journaux, sable, crottin de cheval, moineaux vivants. Dès 1978, Leila Menchari crée en magicienne des parenthèses enchantées aux luxuriants décors saisonniers qui propulsent les passants de sous-bois en savane africaine, d’un appartement de Maharaja à une jungle peuplée de perroquets et de papillons multicolores. Entre conte et exotisme, chaque décor allonge le «générique» des artistes: Hermès Tokyo, en 2009, accueille le carré de soie gonflé d’air et sa vidéo du designer Tokujin Yoshioka puis les spectaculaires effets de loupe d’Haruka Kojin. Hermès Paris, rive gauche, offrira en 2012 ses vitrines à Jean François Fourtou (cf. article). Au fil des saisons, comme on déroule un appartement de rêve, l’artiste fera évoluer la notion même d’espace du salon à la chambre ou la salle à manger. Son regard d’enfant doué, à la Lewis Carroll, perturbera l’âme des créations maison avec son bestiaire magique.
Buzz chez Vuitton
Chez Vuitton, on est familier de l’attroupement! À Londres, la girafe de Bond street a créé le buzz en 2010. Même succès à Paris pour la cohorte de zèbres au réalisme saisissant caracolant en écho à la collection Marc Jacobs ou l’écrin des Champs-Élysées en hommage aux motifs exclusifs de Stephan Sprouse. Alors, 5 fois par an toutes les boutiques arborent un nouveau décor qui vole de New York à Hong Kong. La maison y gagne un bénéfice d’image et les artistes une formidable opportunité de toucher d’autres publics. Loin d’être une mode, cette tendance prend racine dans une tradition qui remonte à Gaston-Louis Vuitton, passionné d’art. Chaque semaine, il dessinait l’univers en aquarelle. Et nombreux sont les créateurs qui ont insufflé leur magie dans les décors de Noël: Bob Wilson en 2002, le Suisse Ugo Rondinone en 2004, le Danois Olafur Eliasson en 2006 avec un cercle lumineux en forme de pupille, présenté, comble du luxe, sans aucun produit! Ou l’Indien Rajeev Sethi en 2010 et son décor Diwali éclairant des malles en papier comme des lanternes.
Lanvin provoque l’imaginaire Créer une émotion, réveiller le désir d’entrer dans le magasin et plus si affinités: voilà la fiction imaginée par Albert Elbaz depuis 2001, comme un univers parallèle. Ses vitrines s’accordent aux collections. Si chacune est le point de départ d’un scénario, ses décors exclusifs du 22 Faubourg Saint-Honoré en sont l’écho à coup de slogans: Veux-tu m’épouser?, Le banquet libertin, Échec et mat … En situation décalée, décadente voire parodique, les mannequins prennent parfois l’allure d’un miroir grinçant tendu vers les passants. Un parti pris humoristique revendiqué car le côté théâtral fait parler de la maison.
Et chez Dior on a ouvert, en l’honneur de l’artiste allemand Anselm Reyle qui électrise le sac Lady Dior et présente sa collection d’accessoires et de maquillage, un pop up store à Miami Art Basel. L’art, un petit luxe dans le monde du grand luxe?