Le cardinal Francesco Barberini revêt une importance primordiale dans la première moitié du XVIIe siècle de par sa carrière ecclésiastique, de par son rôle politique (controversé), de par son goût littéraire ainsi que de par son intérêt envers la culture artistique de l’Urbe, qui lui valurent la juste réputation de l’un des plus grands collectionneurs de la Rome baroque.
La personnalité de Francesco Barberini est à la fois complexe et intrigante.Les divers titres et obligations qui le qualifiaient, et en particulier celui de cardinal, faisaient de lui l’un des personnages caractéristiques de cette Rome baroque en constante effervescence politique, institutionnelle, religieuse et artistique. Alors que les cardinaux étaient depuis plusieurs siècles considérés comme des princes de l’Eglise plutôt que comme des fonctionnaires de la Curie, Francesco, neveu du pape régnant Urbain VIII, fut l’emblème d’un népotisme puissant, probablement l’un des plus célèbres de toute l’histoire de la papauté.Il jouissait en effet, malgré son obédience aux décisions papales, d’un grand pouvoir politico-économique et culturel. Bien que les autres membres de la famille Barberini aient bénéficié eux aussi d’un grand nombre de privilèges, Francesco contribua de manière éloquente au renforcement du pouvoir politique et patrimonial d’Urbain VIII. Adonné à une sorte de chasse littéraire, il constitua avec l’aide de nombreux érudits de son temps une bibliothèque privée qui reste aujourd’hui le témoignage le plus significatif de l’étendue des intérêts de cet homme d’Eglise passionné et passionnant.
Né à Florence le 23 septembre 1597, fils de Carlo Barberini et Costanza Magalotti, il poursuivit des études juridiques, philosophiques et littéraires à l’Université de Pise qu’il termina en 1623, avec le titre de in utroque iure. En cette même année, Maffeo Barberini, oncle de Francesco, était élu pape sous le nom d’Urbain VIII. Rapidement, celui-ci appela son neveu à vivre au palais apostolique et le nomma peu après, archiprêtre de la basilique de SaintJean-de-Latran. Le 2 octobre 1623, le jeune Barberini devint cardinal ainsi que le rapporte Giacinto Gigli: «… a dì 2 ottobre in lunedì Papa Urbano diede il suo cappello al Sig. Francesco Barberini il maggior delli tre suoi nepoti. Giovanetto di grande aspettazione e dignissimo di quella dignità…»1. Le nouveau prélat revêtit dès lors de nombreuses fonctions auprès des différentes églises et institutions religieuses de Rome jusqu’à devenir vice-chancelier en 1632 et archiprêtre de Saint-Pierre en 1633. En outre, il obtint plusieurs gratifications lors de ses nominations de cardinal protecteur d’Aragon, du Portugal, des catholiques d’Angleterre, d’Ecosse et de Suisse.Malgré son titre cardinalice et la valeur souvent honorifique des charges qu’il se voyait attribuer, il s’en remettait facilement à la volonté de son oncle lorsqu’il s’agissait de conclusions décisives, n’apportant alors qu’une signature auxdocuments. Ce fut lors de sa mission en France, en 1625, qu’il fit preuve pour la première fois d’une totale autonomie, traitant directementavec le cardinal de Richelieu afin de trouver un accord entre l’Espagne et la France et, c’est dans le cadre d’une politique pontificale qui soutenait cette dernièrecontre une alliance hispano-impériale, qu’il se rendit à Madrid en 1626, déterminé à faire valoir son rôle de négociateur.A la mort d’Urbain VIII, le 29 juillet 1644, Francesco soutint l’élection de Giovanni Battista Pamphili qui pourtant, dès le début de son pontificat sous le nom d’Innocent X, enquêta sur l’omniprésence de la famille Barberini lors du règne du pape homonyme. Les trois neveux d’Urbain VIII, Antonio, Francesco et Taddeo subirent alors une sorte de «séquestre sous une forme déguisée»2; leur fortune ainsi que leur liberté personnelle furent touchées par ces mesures. En 1647, Francesco ainsi que ses frères durent s’enfuir d’Italie et trouvèrent refuge en France, sous la protection de Mazarin qui tenta des manœuvres politiques propres à faire revenir à Rome les neveux Barberini. Mais Francesco ne réintégra le Palais familial, dit «aux Quatre Fontaines», et ne récupéra ses biens qu’en 1648. D’un point de vue culturel, son séjour en France lui permit d’entrer en contact avec le climat artistique de Fontainebleau, ainsi qu’avec le patrimoine surabondant de la monarchie française. Le cardinal Francesco Barberini mourut à Rome le 10 décembre 1679.«Cardinalis Franciscus, virtutis amantissimus»A la mort d’Urbain VIII, Francesco réduisit son activité publique et s’adonna plus particulièrement à ses plaisirs personnels voués aux arts, aux sciences ainsi qu’à la littérature. Mais déjà, durant tout le pontificat de son oncle, il n’avait pas hésité à lier cette passion personnelle à ses activités politiques, devenant l’un des plus grands mécènes de son temps.Collectionneur et protecteur des arts comme la plupart des membres de sa famille, Francesco se distingue par son intérêt singulier pour la tradition et les antiquités chrétiennes ainsi que par son amour pour les œuvres médiévales.Nous ne louerons jamais assez la grandiose campagne de restauration qu’il entreprit à Rome sous le pontificat de son oncle et dont les œuvres les plus significatives sont le Triclinio Lateranense ainsi que ses mosaïques, les églises de SaintJean-de-Latran, San Giovanni e Paolo, San Lorenzo in Damaso et San Cosma e Damiano. Ainsi, contrairement à son frère Antonio et à son oncle Maffeo, qui privilégiaient les collections d’objets contemporains ou la construction d’édifices ex-novo, Francesco suivait en matière de mécénat princier les recommendations éthiques du jésuite Giovanni Botero en 1589: «Usi magnificenza nelle fabriche delle chiese antiche e stimi cosa più degna d’un principe cristiano il ristorar le chiese antiche, che il fabricar le nuove, perché la riparazione sarà sempre opera di pietà, ma nelle fabriche nuove si nasconde spesso e si annida la vanità»3 . Dans cette perspective qui visait à ne pas se compromettre dans des initiatives de propagande évidente, il maintenait cette volonté de redonner un aspect nouveau aux édifices, tout en conservant la tradition.Il dédia ainsi la majeure partie de ses ressources économiques à la valorisation du patrimoine artistique romain, non seulement par la restauration mais également par un important travail de documentation. Son vif intérêt pour les arts figuratifs, souvent marqué du désir affirmé de célébrer l’Eglise qu’il avait nommé cardinal, le poussa à faire exécuter de nombreuses aquarelles d’après des cycles de peintures médiévales présents sur des édifices destinés à la destruction ou à la transformation4.Cet intérêt philologique omniprésent pour l’histoire religieuse et cette volonté de transmettre à la mémoire moderne le souvenir des œuvres disparues se manifestaient de manière scientifiquement rigoureuse, de sorte que Giovanni Previtali qualifia Francesco Barberini de «maggior promotore […] dell’erudizione romana»5.
Le «Cardinalis Franciscus, virtutis amantissimus»6, dans une volonté constante d’échange d’opinions avec poètes et antiquaires, fut l’un des premiers membres de l’Académie des Lincei, fondée par Federico Cesi et entra ainsi en contact avec de notoires érudits à savoir Galilée, Tommaso Campanella ou encore Cassiano dal Pozzo. Bibliophile passionné, il fonda par la suite sa propre académie de littérature au Palais Barberini, qui inspira la riche décoration intérieure, dont l’iconographie était basée sur des allusions poétiques. Il organisa également un atelier de tapisserie, la fameuse Arazzeria Barberini. Trois grands cycles de tapisseries ainsi que celles d’après l’Histoire de Constantin (1630- 41) de Pietro da Cortona furent réalisés dès l’ouverture de l’atelier en 1627. Les six tapisseries du cycle de Constantin complétaient celles d’après Rubens, offertes à la puissante famille par Louis XIII. En tant que membre de la Congrégation de la Reverenda Fabbrica di S.Pietro, il promut pour la décoration de Saint-Pierre les artistes qui dominèrent désormais la scène romaine tels que Giovanni Lanfranco, Andrea Sacchi et Pietro da Cortona.Il fut par ailleurs, l’un des premiers commanditaires du peintre Poussin, auquel il commissionna la Mort de Germanicus (1626) ainsi que deux versions de la Capture de Jérusalem par Titus (1627 et 1638).Prélat cultivé et polyvalent, ses goûts personnels ne s’arrêtaient pas à l’art pictural, sculptural ou architectural. Il s’intéressait également au théâtre et à la musique.En effet, de nombreuses pièces et représentations musicales, dont les manuscrits originaux se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque Apostolique du Vatican furent jouées au Palais Barberini.Francesco était également un amant inconditionnel de la science; il cultivait des plantes rares dans divers recoins du Palais, sortes de jardins botaniques, quasi musées d’histoire naturelle.Le palais Barberini, dont les fastes abritent désormais la Galerie Nationale d’Art Antique est l’image du puissant statut de la famille d’Urbain VIII qui, originaire de Toscane, souhaitait pour sa descendance une demeure digne des résidences de la noblesse romaine. Francesco confia ainsi cette réalisation à l’un des artistes protagonistes de l’époque, Gian Lorenzo Bernini, qui succéda à l’architecte Carlo Maderno dès 1629.La célébration de la grandeur des Barberini ainsi que celle du pontificat d’Urbain VIII touche à son apogée dans la fresque du plafond du Salon central réalisée par Pietro da Cortona, illustrant le Triomphe de la Divine Providence (1632- 39) dont le sujet est inspiré du thème allégorique élaboré par le poète Francesco Bracciolini.
«Amplissimam EminentissimiPrincipis Cardinalis FrancisciBarberini Bibliothecam» 7En tant que cardinale nipote, soit en sa qualité de Secrétaire de l’Etat pontifical et de par le respect de la préséance, Francesco Barberini obtint de grandes récompenses non seulement économiques et politiques, mais également culturelles, qui faisaient de lui la personne la plus importante après le Pape.Le 1er juillet 1626, Francesco était nommé Cardinal bibliothécaire de la Sainte Eglise Romaine. Dès lors, responsable de la Bibliothèque Vaticane à laquelle étaient annexées les Archives secrètes du Pape et protecteur de la section de l’Archivio Notarile fondée par Urbain VIII, il revêtit ce rôle jusqu’en 16368. L’illustre prélat fut très actif dans le renouvellement du règlement de la Vaticane et sa fonction de cardinal bibliothécaire fut d’une importancecapitale et décisive dans la mise en place de sa collection privée.Alors que le XVIIe siècle est connu comme le siècle d’or de l’histoire des bibliothèques, la famille Barberini se complet à recueillir la plus grande quantité possible de matériel libraire. Urbain VIII déjà, en parfaite harmonie avec son époque, s’était chargé de transporter de Heidelberg à Rome la Bibliothèque Palatine, léguée par Maximilien Ier de Bavière au Saint-Siège. De même, l’intérêt culturel et en particulier philologique de Francesco Barberini, toujours avide de nouveautés, se reflète dans la volonté d’agrandir la bibliothèque privée de son oncle. Ainsi dès 1639, se développe à l’étage supérieur du nouveau palais familial l’une des plus grandes collections de documents littéraires destinée à un public choisi. Le fonds s’accrut en 1672 avec la bibliothèque de son frère Antonio, décédé l’année précédente. La Barberine était alors «piena di preziosi manoscritti e ricca degli originali di celeberrimi autori e di rari antichissimi codici»9.Francesco Barberini enrichissait la bibliothèque avec l’aide de lettrés tel que le grec Leone Allacci et l’allemand Lucas Holstein, qui sillonnaient pour lui leurs contrées respectives ainsi qu’une grande partie de l’Europe en quête de manuscrits originaux ou imprimés. Ainsi, dans la tradition de la politique d’expansion de son oncle, il maintenait des liens forts avec les érudits européens et les recevaient lors de leurs visites à Rome. Les compétences bibliographiques et économiques de Holstein et Allacci les portèrent à organiser et administrer la Barberine de manière si dévouée que le bibliothécaire grec alla jusqu’à refuser les offres de Louis XIV. Ils contribuèrent à l’agrandissement ainsi qu’au perfectionnement d’un «admirabilem ordinem» de la collection. Les livres disposés sur les étagères et répertoriés dans un Nomenclator afin de faciliter la consultation des œuvres, observaient une division typique du XVIIe siècle.De nombreux érudits étrangers travaillèrent pour le compte de l’entreprise littéraire du Cardinal. Les scriptores les plus notoires étaient au service de Francesco et se chargeaient ponctuellement de recopier les manuscrits afin de réaliser «maximam librorum copiam».Depuis 1902, date à laquelle la collection de la Barberine a été achetée par Léon XIII, celle-ci appartient à la Bibliothèque Apostolique du Vatican. L’opération, réalisée par le Père Ehrle alors qu’il était préfet de la Vaticane, fut la conclusion de cette longue collaboration entre les deux institutions, privée et publique. Les intérêts culturels, historiques, politiques et ecclésiastiques du cardinal collectionneur et antiquaire se retrouvent en synthèse dans l’immensité de ce fonds, qui réunit des manuscrits grecs, latins et orientaux. La date d’acquisition ainsi que la provenance exacte de chacun de ces volumes restent encore incertaines, les études concernant cette bibliothèque privée étant malheureusement dispersées et incomplètes à ce jour.