Le Carnaval Froid de Milhazes

La Fondation Beyeler accueille jusqu’au 25 avril l’artiste brésilienne Beatriz Milhazes. Ses compositions vives et colorées, que l’on dit souvent inspirées par son pays natal, rencontrent un succès croissant sur le marché de l’art, au point d’en faire, d’après ses thuriféraires, une figure-clé de la scène artistique internationale.Une chose est certaine, ses toiles – ou plutôt ses travaux, car elle explore aussi d’autres formes de création – n’engendrent pas la mélancolie.Un rapide tour d’horizon nous apprend que tout le monde, ou presque, aime ce que fait Beatriz Milhazes. Ses œuvres sont qualifiées de joyeuses, heureuses, féminines et, évidemment, rythmées et colorées. Les détracteurs y ajoutent parfois le terme de «sucrées». Le fait est que les tableaux de la Brésilienne ont un aspect décoratif indéniable, usant et abusant de l’ornement, qui en est le fondement, la forme et peut-être le moyen.Cette caractéristique, si elle fait sans aucun doute une partie de son succès, n’en constitue pas moins, d’une certaine manière, un handicap. En effet, on touche là à l’une des frontières, floues et mouvantes, de ce qu’est l’art. Les artistes, d’une manière ou d’une autre, se sont toujours défiés de l’ornement et du décoratif. En art, rien n’est jamais gratuit, pas même la gratuité. Ceux qui se sont emparés de l’ornement l’ont presque toujours englobé dans une utopie; quant à ceux qui décrétèrent l’arbitraire en art, ce sont les attraits conjugués du concept et de la subversion qui leur ont évité toute compromission avec le décoratif. Il est donc relativement légitime...

La Fondation Beyeler accueille jusqu’au 25 avril l’artiste brésilienne Beatriz Milhazes. Ses compositions vives et colorées, que l’on dit souvent inspirées par son pays natal, rencontrent un succès croissant sur le marché de l’art, au point d’en faire, d’après ses thuriféraires, une figure-clé de la scène artistique internationale.
Une chose est certaine, ses toiles – ou plutôt ses travaux, car elle explore aussi d’autres formes de création – n’engendrent pas la mélancolie.Un rapide tour d’horizon nous apprend que tout le monde, ou presque, aime ce que fait Beatriz Milhazes. Ses œuvres sont qualifiées de joyeuses, heureuses, féminines et, évidemment, rythmées et colorées. Les détracteurs y ajoutent parfois le terme de «sucrées». Le fait est que les tableaux de la Brésilienne ont un aspect décoratif indéniable, usant et abusant de l’ornement, qui en est le fondement, la forme et peut-être le moyen.Cette caractéristique, si elle fait sans aucun doute une partie de son succès, n’en constitue pas moins, d’une certaine manière, un handicap. En effet, on touche là à l’une des frontières, floues et mouvantes, de ce qu’est l’art. Les artistes, d’une manière ou d’une autre, se sont toujours défiés de l’ornement et du décoratif. En art, rien n’est jamais gratuit, pas même la gratuité. Ceux qui se sont emparés de l’ornement l’ont presque toujours englobé dans une utopie; quant à ceux qui décrétèrent l’arbitraire en art, ce sont les attraits conjugués du concept et de la subversion qui leur ont évité toute compromission avec le décoratif.

Il est donc relativement légitime de se demander si les tableaux de Milhazes ont un caractère essentiellement ornemental, ou bien si au contraire leur caractère ornemental est essentiel. Comprenons bien ici que cette question ne porte pas sur la nature du travail, ce qui n’aurait aucun sens et partant, aucun intérêt, mais bien sur sa qualité ou disons, son envergure.Avec une mère professeure en histoire de l’art, Beatriz Milhazes a naturellement acquis un solide bagage en matière de culture artistique. De son côté, son père, passionné d’art lui aussi, est également un grand amateur de musique brésilienne et pop. À l’école, puis lorsqu’elle ouvre en 1982 son atelier à Rio, tout près du jardin botanique, la question se pose du projet artistique. Autant le modernisme, avec sa dimension utopique, a pu trouver au Brésil une terre d’accueil féconde, autant la notion classique d’art amène nécessairement une acculturation dont la gestion peut être problématique. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’une des références revendiquées par l’artiste est la femme peintre Tarsila do Amaral, ni si nombre d’observateurs avant nous ont relié son travail avec le Manifesto Antropófago, publié à la fin des années vingt par le poète Oswald de Andrade. De manière métaphorique, ce texte envisageait le cannibalisme comme une force brésilienne permettant aux natifs de s’approprier les éléments étrangers pour les digérer et produire quelque chose de spécifiquement brésilien.

Ainsi le dilemme de Milhazes semble avoir été de s’inscrire dans un paradigme occidental avec des moyens brésiliens, dans un compromis moins transatlantique qu’il n’y paraît d’ailleurs, attendu qu’il reflète également – peut-être surtout – une dichotomie sociale très présente dans la société brésilienne.Beatriz Milhazes, qui travaille sans croquis préparatoire, use pour ses tableaux d’une technique assez particulière, peignant ses motifs sur des feuilles de plastique qu’elle colle ensuite sur la toile, y reportant la couche picturale par transfert, à la manière d’une décalcomanie. Le processus mêle perfection de contours et de touche et imperfections de transfert. Il permet également à l’artiste, et c’est un point important, de concilier liberté et structure. En effet, ces formes et ces couleurs incarnent à la fois la liberté – en tant qu’elles sont des motifs ornementaux plus ou moins inspirés de l’art folklorique brésilien – et la structure dans leur définition très précise et figée à l’avance.

D’autre part, sa technique permet à Milhazes de visualiser avec un peu d’avance la modification que va produire sur le tableau l’adjonction d’un élément, simplement en superposant à la toile la feuille de plastique, sans la coller. Le placement d’un motif sur la toile, longuement réfléchi, peut donc faire l’objet de multiples essais, ce qui rend caduc ce que l’on nomme en peinture repentir et offre là encore une liberté qui n’est pas sans rapport avec l’heureux résultat final.Pour autant, le tableau ne s’affranchit pas d’une abstraction fortement structurée que l’artiste a toujours revendiquée comme un horizon pictural. On pourrait ainsi, si l’on voulait nommer la peinture de Milhazes, parler d’Abstraction Empirique.Trop brésilienne ou pas assez, on a pu reprocher à Beatriz Milhazes la voie médiane qui est la sienne. Sa consécration semble en outre plus refléter l’invasion du temple par les marchands qu’autre chose. Reste que la postérité ne se convoque pas à l’avance, et que si l’on en juge par l’évolution de son travail depuis ses débuts, son très réel talent plastiquepourrait nous réserver de belles surprises.

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