A l’occasion de son anniversaire, le David de Michel-Ange fait “peau neuve”. Le chef-d’œuvre avait été réalisé alors que l’artiste n’était âgé que de vingt-neuf ans et fut dès lors, considéré comme le triomphe de la sculpture du XVIème siècle florentin.
Après avoir suscité de nombreuses polémiques au sujet de sa restauration,le David de Michel-Ange Buonarroti a été solennellement inauguré le 8 septembre 2004, date historique à laquelle il avait été présenté au public florentin en 1504. Il avait, en cette année, été placé devant le Palazzo Vecchio de Florence, alors que les plus belles sculptures de la Renaissance se succédaient dans une frénésie digne de cette période sur la place principale de la ville Toscane, dite de la Seigneurie. Aujourd’hui, pour des raisons de conservation, une copie se trouve à son emplacement original. Ainsi, le spectateur même des plus novices, est ébloui par la grandeur imposante, la sensation de calme et de force ainsi que par la détermination du regard du David, situé dans la Tribune homonyme de la Galerie de l’Académie de Florence.Le David ne présentait nul grave problème de conservation. Or, au fil des siècles, il avait subi une série d’endommagements de natures diverses contribuant ainsi à la détérioration desa superficie marbrée. Les questions de restauration du David ont préoccupé les scientifiques depuis plus d’un siècle et demi aboutissant, finalement à la décision d’une intervention douce qui préserverait l’intégrité physique de la statue.Le David de Michel-Ange est le symbole universel de l’art, connu internationalement comme l’emblème de la Renaissance italienne et d’une beauté sans doute jamais égalée. L’origine d’un tel succès est certainement due au fait que le David est le premier nu viril de grande dimension réalisé depuis le temps des Grecs et des Romains. Giorgio Vasari, l’un des plus notoires biographes de l’époque, dans ses Vies des peintres, sculpteurs et architectes (1550 et 1568) nous présente à cet effet la description la plus exhaustive que nous connaissions de la suprématie de cette statue: «Ce chef-d’œuvre éclipsa la renommée de toutes les statues modernes et antiques, grecques et latines […] car il offre un ensemble divin de grâce, de beauté, de perfection et d’élégance que l’on ne saurait trouver ailleurs»1.
Histoire de la commande
En août 1501, l’Opera del Duomo de Florence confia à Michel-Ange le travail de sculpter un bloc de marbre en sa possession, en vue d’un élément décoratif pour la cathédrale florentine de Santa Maria del Fiore.La pierre avait précédemment été entamée par Agostino di Duccio en 1463-64, puis par Bernardo Rossellino en 1476, et fut consécutivement abandonnée par les deux maîtres en raison de sa trop grande concentration de veinures. Ainsi, contrairement à ses autres sculptures, Michel-Ange ne choisit pas un bloc de marbre indemne, mais une pierre non seulement en partie déjà travaillée et, de surcroît, abondante de défectuosités originelles. Il se mit à l’œuvre en septembre 1501, tailla le marbre jusqu’en janvier 1504 «sans qu’il fut besoin d’un seul morceau de rapport» et en extrait le «gigante», figure complète et noble. Une fois encore, les paroles de Giorgio Vasari sont les plus éloquentes, en ce qui concerne la conception du David : «Il se renferma dans un atelier qu’il se fit construire, et y acheva sa statue, sans permettre que l’on vînt visiter son travail […] Michel-Ange fit là un véritable miracle, car il donna l’existence à un mort»2.
Emplacement et déplacement
Il est important de situer le David dans son environnement topographique en vue d’une meilleure compréhension du contexte culturel de l’époque à laquelle il fut réalisé.La sculpture à Florence, durant le Cinquecento, est fortement éclectique, influencée d’une part par les œuvres du XVème siècle et d’autre part par l’antiquité. De cette bipolarité artistique naît l’aménagement de la place de la Seigneurie, fortement empreint de la culture de la «maniera». Ce lieu public devient alors l’élément central de l’exposition des statues du Cinquecento, laissant place au rassemblement des plus grands chefsd’œuvre de la Renaissance florentine.En effet, le David se trouve aux côtés du groupe sculpté du siècle précédent de Judith et Holopherne de Donatello (1461) ainsi que de ses contemporains Hercule et Cacus de Baccio Bandinelli (1534), du Persée de Cellini (1534), du Rapt des Sabines et du Monument équestre à Cosme Ier de Giambologna (1583 et 1594).Insatisfait de l’emplacement réservé à son oeuvre, Michel-Ange, alors qu’il n’était âgé que de vingt-neuf ans, obtint le consentement de la part du Grand Conseil de positionner son David sur le parvis du Palazzo Vecchio, à la Place de la Seigneurie. Luca Landucci dans son Diario Fiorentino, donne une description exhaustive de l’iter progressif du David vers la Place de la Seigneurie, effectué à l’aide des moyens précaires. Sur la dite place, il eut pour pendant le groupe sculpté d’Hercule et Caccus de Bandinelli: «E a dì 14 maggio 1504, si trasse dell’Opera el gigante di marmo; uscì fuori alle 24 ore, e ruppono el muro sopra la porta tanto che ne potessi uscire […]e penò 4 dì a giungere in Piazza […] aveva più di 40uomini a farlo andare […] El detto gigante aveva fatto Michelagnolo Buonarroti […] e a dì 8 di settembre 1504, fu fornito el gigante in Piazza, e scoperto di tutto»3. Cet emplacement suscita toutefois de nombreuses polémiques ausein des artistes toscans de l’époque, parmi lesquels se trouvaient Pierodi Cosimo, David Ghirlandaio, Giulio et Antonio da Sangallo, Andrea della Robbia, le Pérugin, Botticelli, Lorenzo di Credi, Léonard de Vinci et bien d’autres illustres hommes de la période.Le David resta, imposant et victorieux, devant le Palazzo Vecchio jusqu’en 1873, date à laquelle il fut transporté à la Galerie de l’Académie pour des raisons de conservation. Un espace en croix latine, appelé aujourd’hui Tribune du David fut dessiné à cet effet par l’architecte Emilio De Fabris, entre 1872 et 1882.
David, iconographie et idéologie
Le David de Michel-Ange représente le futur roi d’Israël, dans la pose triomphante du héros de la Grèce antique, se détachant ainsi des modèles précédents de Donatello et Verrocchio, bien plus fidèles au texte biblique.En effet, la figure n’est pas accompagnée de la tête de Goliath, selon la tradition iconographique, mais suggère plutôt une phase intermédiaire entre repos et imminence du mouvement selon la tradition des statues classiques, élément qui a fait couler l’encre de nombreux historiens de l’art.Chez Michel-Ange, l’intensité d’expression et de signification trouve son apogée dans ses œuvres sculptées et en particulier dans la figure du David qui, au travers de la charge émotionnelle de son regard et de sa prestance, triomphe dans la symbolique de la liberté de la patrie ainsi que des vertus civiques de la République de Florence. Le David nous apparaît sous une forme d’Hercule, symbole de la force dans l’antiquité. L’emplacement de la statue accentue cet idéal politique, démontrant ainsi que cet enjeu symbolique était bel et bien présent à l’esprit de l’artiste et qu’il ne lui fut pas attribué au cours des siècles.Sommes toutes, le David représente une synthèse des idéaux de l’art florentin: dans la précision anatomique se révèle l’esprit scientifique, dans les formes vigoureuses et dans la fierté du visage se trouve le concept héroïque de l’homme en temps que créature libre et maître de son destin.


Composition et style
La vue latérale du David, nous présente l’étroitesse du bloc de marbre, élément michelangélesque qui confirme le choix imposé du matériel à l’artiste en comparaison à d’autres sculptures dont le bloc à l’état brut était sensiblement plus épais. La sculpture repose sur une base de marbre réalisée par Simone Del Pollaiolo et Antonio da Sangallo en 1504.Du point de vue de la composition, un tronc d’arbre, effet fréquemment utilisé dans les statues antiques, donne l’appui à sa jambe droite. Tout le poids est transposé sur ce côté, dont la verticalité est frappante. Le bras baissé donne un aspect fermé à cette partie de la statue, or, par opposition, le côté gauche semble plus aéré grâce à l’ouverture de la jambe d’une part et à la position relevée du bras d’autre part. Cette légèreté, au travers des lignes de composition, accentue la direction du regard du héros.Le traitement du corps est exceptionnel, on observe une recherche continuelle de l’anatomie à travers une richesse de détails et de précision du modelé. Chaque élément est différencié, les os, les muscles, les veines, l’épiderme et cela ne sera jamais égalé dans les œuvres postérieures de l’artiste. Bien qu’il n’y ait pas de mouvement, chaque partie du corps suggère une fonction: action ou repos, voire les deux à la fois. Nous observons par exemple, grâce à la tension intense et vibrante des muscles et des veines, la virilité, la force et la potentialité cinétiques du bras droit, bien qu’il semble totalement passif.
Les diverses typologies de travail de la matière sont majestueusement mises en exergue dans le David. Cette technique familière à Michel-Ange présente au spectateur chaque outil utilisé. L’artiste joue avec les matières, tout comme dans l’exemple simple et frappant des Prisonniers qui précèdent le David dans la Galerie de l’Académie. Cette habileté à susciter des jeux de lumières grâce à ces alternances de surfaces lisses et rugueuses interdit, dans le cas du David, de recourir à la perpétuelle question dans la statuaire michelangélesque d’un potentiel «non-fini». Nous sommes indéniablement en présence d’une perfection inégalée non seulement dans l’œuvre sculptée de l’artiste mais également dans la statuaire en général.Du point de vue stylistique, malgré l’idéalisation antique perceptible dans le David, nous observons une forte connotation naturaliste moderne, typique du Quattrocento. Ce n’est toutefois pas la première statue «classique» de cette période, puisqu’il était déjà possible d’admirer le nu du David en bronze de Donatello (1409) ainsi que l’Hercule et Antée du Pollaiolo (1460) qui s’inspiraient fortement des bronzes antiques.
Etat de conservation et restauration
La longue exposition de la statue aux intempéries a laissé des traces irréversibles sur le marbre, en particulier au niveau des doigts du pied gauche, point final de l’écoulement de l’eau, qui présente de visibles traces d’érosion ainsi qu’une nette perte du modelé.Outre les problèmes liés aux agents atmosphériques, le David a connu de nombreuses cassures en divers points stratégiques de son anatomie: l’avantbras, le poignet et la main gauche qui, dès la première moitié du XVIème siècle, connaissaient déjà des réparations. Le majeur de sa main droite, le cinquième orteil de son pied droit et enfin le deuxième orteil de son pied gauche, brisé par un acte de vandalisme en 1991 et recomposé grâce à de la résine et de la poudre de marbre.Le David de Michel-Ange n’en est pas à sa première restauration: durant la première décennie du XIXème siècle, il fut enduit d’encaustique, ôtée en 1843 par un nettoyage à l’acide chlorhydrique, le marbre était alors privé de toute protection. La mauvaise qualité de la pierre ainsi que cette restauration agressive ont contribué à une rapide dégradation de la statue, donnant ainsi lieu, en 1852, à la réunion d’une commission pour la sauvegarde du David.Certaines de ces restaurations l’ont dénudé de ses touches colorées originales. Les nuances dorées de la fronde et du tronc ont disparu, la base qui, selon certains historiens de l’art, était de couleur verte a pris l’aspect monochrome du marbre, etc.
Depuis plusieurs années, scientifiques, historiens de l’art et restaurateurs projetaient une restauration minutieuse et durable du chef-d’œuvre michelangélesque. Leurs consultations, leurs compétences ainsi que leur volonté ont mené à cet ultime nettoyage, inauguré il y a quelques mois. Le chantier de restauration du David s’est ouvert le 16 septembre 2002 suite à de longues réflexions et enquêtes scientifiques qui ont abouti à une synthèse finale de la méthode à suivre. La phase d’opération directe sur la statue a commencé le 1er septembre 2003, donnant la possibilité au public de la Galerie de l’Académie, dirigée par Franca Falletti, de suivre in situ le travail de la restauratrice Cinzia Parmigoni.La restauration a été d’une extrême délicatesse, le blanc du marbre n’est pas éblouissant comme nous aurions pu le craindre. De nombreuses taches, traces de cire d’abeille, appliquée par gouttes ou comme patine, divers résidus de plâtre, datant de l’exécution de la copie en 1847, ont disparu.Des tampons trempés dans l’eau distillée ont servi au nettoyage du visage, du papier japonais, afin que l’eau distillée n’entre pas en contact direct avec la superficie de marbre, a été utilisé pour les autres parties du corps. Chaque zone de l’anatomie a été étudiée dans ses plus infimes détails grâce à des méthodes informatiques et scientifiques élaborées spécifiquement pour ce travail, afin de pourvoir à une restauration millimétrique et conservatrice.Le long et délicat travail de nettoyage s’est conclu en mai 2004, présentant au public un David similaire à celuidu XVIème siècle, harmonieux et expressif