Lorsque le projet du «Grand Paris» fut dévoilé, il y a presque trois ans, il étonna beaucoup. À la question de sa raison d’être, il fut répondu que l‘on désirait adapter la capitale française à une configuration «post-Kyoto», assurant sa conformité aux exigences à la fois environnementales et urbanistiques de ce siècle, tout en améliorant la qualité de vie des citadins. L’ambition déclarée satisfera-t-elle les attentes qu’elle a suscitées ?
L’idée qu’il se serait agi d’une lubie napoléonienne du président français n’a duré qu’un temps. Certes, cela faisait des années que la densité du trafic et les enclaves urbaines autour de l’Ile-de-France imposaient de rénover de fond en comble l’aménagement de la région, quoiqu’à force d’attendre personne n’y pensât plus. L’incertitude financière venue, une annonce fut passée selon laquelle le chantier du «Grand Paris» participerait de la reprise, dans le but de faire doubler en quinze ans la croissance de la région, par la création de huit cent mille à un million d’emplois et un investissement de près de trente-cinq milliards d’euros. À ce moment-là, Christian Blanc, secrétaire d’État chargé du Développement de la Région Capitale, avait déjà passé de l’intention aux candidatures : dix des plus prestigieux cabinets européens de création architecturale s’étaient vu confier la mission d’imaginer le Paris de demain, et un rendez-vous était programmé pour examiner leurs projets un an plus tard.Le Parisien, désireux de s’informer de l’évolution prévue pour son cadre de vie, aura dû attendre jusqu’à fin 2009 pour que l’effervescence, confinée aux cabinets d’architectes, expose ses résultats au grand jour. En visitant l’exposition qui s’est tenue à la Cité de l’architecture, il a pu découvrir, en dix pavillons, tous les aspects du projet tel que l’avaient interprété les architectes et urbanistes, dans un complexe de sons, de photographies, de dessins, de maquettes et de vidéos. Écologie et bien-être urbain, ces idées-forces nous ont semblé traverser l’ensemble de l’exposition.Mais le rêve parisien ne s’est pas réalisé comme prévu; Christian Blanc finit par l’annoncer peu après l’exposition: le budget ne serait pas à la hauteur des premières estimations.
Effet en retour de la crise économique ? Quoi qu’il en soit, les architectes sont tombés des nues, pas assez sonnés cependant pour que Jean Nouvel ne lance ses foudres sur le Secré- taire d’État, par le biais d’une lettre cinglante publiée dans Le Monde. Les participants, très engagés professionnellement et médiatiquement dans ce qui avait été annoncé comme le plus ambitieux chantier du début de siècle en France, ne purent que regretter de se voir ôter les moyens de concrétiser leurs différentes propositions et de contenter les attentes, désormais attisées, des Parisiens. Ils se voyaient en effet, comme désarçonnés de la selle d’un cheval cyclothymique, tombés du haut de leurs aspirations urbaines dont la nécessaire réalisation était, entre-temps, redevenue d’actualité.Cette période de dégrisement fut aussi celle de la prise de parole des professionnels non conviés le soir du festin, quand on y croyait encore. Dans la revue Futuribles, une analyse, signée Jean-Paul Lacaze, pointait l’absencedes dimensions économique et topologique relatives à l’aménagement des alentours de la capitale, dans les propositions élaborées par les architectes. En contrepoint, son voisin de revue, Jean Haëntjens, plus mesuré, l’invitait, ainsi que les citadins, à se libérer d’un imaginaire structuré par la tradition du centralisme républicain, si propre à la France et touchant également l’urbanisme. Les exemples du baron Haussmann et de Delouvrier, qui ont dirigé l’aménagement de la région parisienne, respectivement sous Napoléon III et sous de Gaulle, constitueraient la base implicite de l’imaginaire citadin en France. Et il est vrai que le projet initié par le président Sarkozy ne peut que rappeler, au moins temporairement, ces deux périodes de transformation massive de la capitale. Le long et douloureux épisode de la percée des boulevards avait à l’époque alimenté le roman français. Un souvenir aujourd’hui diffus, auquel se substitue l’amère ambivalence des «grands ensembles» et «villes nouvelles» promus par Delouvrier durant les années soixante et soixante-dix. La sécheresse de leur conception a été accentuée par leur développement sporadique en citésghettos, phénomène qui est resté longtemps ignoré mais qui est aujourd’hui surmédiatisé. Or, la conscience nationale en a déduit dans un curieux paradoxe – eu égard aux rêves urbanistiques – les limites de la démiurgie architecturale. Une ville ne peut être une invention d’esthète, et pour l’essentiel, la vie qu’elle abrite ne peut être maîtrisée selon une logique de planification intégrale ni selon un fonctionnalisme sophistiqué.Reste que pour le « Grand Paris », les architectes ont voulu répondre aux préoccupations du présent. Sur un plan macroéconomique, la proposition d’Antoine Grumbach d’établir une liaison entre Paris et la mer par Le Havre, fut très remarquée. Les stratégies d’ouverture et le développement selon des timelines (lignes de temps) proposées par l’atelier AUC (Djamel Klouche) ont révélé la prégnance de l’héritage historique parisien en fait d’infrastructures. Sans qu’il soit nécessaire d’en appeler à un volontarisme de la reconversion, la région parisienne est déjà en train de s’adapter à de nouvelles normes. Le mouvement en cours ne devrait qu’être accompagné en douceur, comme y invite Jean Nouvel, en proposant non pas de détruire les «barres», mais de les refaire du dedans. Le «Central Park» de la Courneuve et les jardins suspendus sur une île d’Ivry-sur-Seine proposés par l’Atelier Roland Castro ressortissent au même esprit. Sur un plan strictement artistique (mais qu’en restera-t-il à terme ?), les Parisiens se sont vu proposer une tour sur la pointe de l’île de la Cité, ainsi que des œuvres urbaines sur les quais de la Seine ou la tour Montparnasse.
Le vote du budget par l’Assemblée Nationale, en novembre 2009, portait prioritairement sur une réfection des liaisons interurbaines. Un établissement public, baptisé «Société du Grand Paris», a été créé, dont la mission est de concevoir et d’élaborer le schéma des transports publics pour l’avenir, et d’en assurer la réalisation d’ici 2023. L’ambition esthétique, si elle ne s’est pas dissipée, s’est amoindrie, tandis que s’est imposée la construction d’un métro régional à grande vitesse. Seul le passage de cette «rocade» par la future Cité du cinéma de la plaine St Denis, à laquelle travaille actuellement Luc Besson, rappelle les rêves urbanistiques. Quoique les tours vertigineuses ne semblent plus d’actualité, nous nous demandons si ce n’est pas effectivement sur cette base moins ambitieuse, définissant une politique de désenclavement et de structuration économiquement saine, que l’existence des Parisiens de demain sera finalement enviable.