Publius Aelius Hadrianus naît le 24 janvier 76, peut-être à Italica, en Andalousie, berceau de sa famille, ou éventuellement à Rome.Le futur empereur Hadrien commence sa carrière aux armées, en Pannonie (Hongrie), en Mésie (Bulgarie), en Germanie, chez les Daces (Roumanie) et les Parthes (Irak). Sa bravoure le fait remarquer de l’empereur Trajan. Celui-ci meurt le 8 août 117; avant de mourir, il choisit pour héritier du trône Hadrien qui revêt la pourpre impériale trois jours plus tard.Hadrien avait épousé la petite-nièce de Trajan, Vibia Sabina, en 100 ou 101. Elle était d’une grande beauté, mais l’union ne fut guère heureuse et Sabina n’eut pas d’enfant. Pourtant, elle demeura fidèle à son mari, toujours à ses côtés. D’ailleurs Hadrien lui témoignait publiquement les plus grands égards, la proclamant «Augusta» en 128 et la divinisant aussitôt après sa mort, en 136 ou 137.Pendant son règne, qui correspond à l’apogée de l’Empire, Hadrien parcourut toutes les provinces (en douze ans) afin de s’assurer de leur bonne gestion et de rencontrer ses sujets. Là où il séjournait quelques temps, il commandait et finançait aussitôt des travaux édilitaires de commodité ou d’embellissement (à Athènes, une bibliothèque; à Rome le Panthéon; en Égypte, de nouvelles villes).Travailleur infatigable, Hadrien réforme l’armée, l’administration et la justice. Il réprime des soulèvements en Maurétanie (Afrique du Nord), en Grande Bretagne où il fait construire le fameux mur d’Hadrien, et en Palestine où il réprime durement la révolte de Bar-Koshba.Il s’éteint le 10 juillet 138, dans la station balnéaire de Baïes, près de Naples, après de longues souffrances. Quelques mois auparavant, il avait adopté son neveu par alliance, qui lui succédera sous le nom d’Antonin le Pieux.
Au départ de la Russie des temps modernes, il y eut le schisme, ou raskol,et ce n’est pas un hasard si le mot hante le nom de Raskolnikov, le héros déchiré de Crime et châtiment. En 1695, un groupe de schismatiques de l’Église orthodoxe russe, appelés des raskolniki, décida de se retirer dans la région du lac Vyg, près de la mer Blanche et de la frontière norvégienne. Les frères André et Simon Denissov, rejetons de l’antique famille princière des Mychetski, y fondèrent un ermitage qui allait devenir sous le règne de Pierre le Grand (1682-1725) le grand centre de la culture traditionnelle russe, celle des coutumes ancestrales qui avaient assimilé les mœurs païennes, des romances épiques ou bylines, porteuses des vérités de l’ancien temps et des pratiques religieuses d’avant la réforme niconienne. Nicon, un moine impérieux et passionné, fut élu en 1652 chef de l’Église russe. Il entreprit, avec l’appui du tsar, de la moderniser et d’en harmoniser les rites et les usages avec ceux de l’Église grecque. Contre lui se dressa Avvakum, un prêtre de campagne d’une force d’âme et d’une éloquence peu communes. Ce fut le départ du schisme qui opposa à l’Église officielle les tenants de la Vieille-Foi ou Vieux-Croyants. Comme l’écrira en 1913 un auteur anonyme, dans ses Lettres sur la Vieille-Foi, «l’âme russe n’accepte pas le monde tel qu’il est, elle se rebelle contre le royaume de l’antéchrist. L’âme inassouvie de l’intellectuel russe maudit tous les délices de ce monde.» Leur mentalité était imprégnée des visions de l’Apocalypse, leur christianisme était celui d’un Peuple de l’Exode, «d’une terre de souffrance exorcisée par patience et douceur vers une Parousie christique» (Pierre Chaunu). Leur attachement au ciel les condamnait à fuir dans la mort, mais aussi bien à réussir sur la terre, comme d’autres minorités persécutées. Ainsi la communauté du Vyg, industrieuse et vertueuse, proscrivant l’alcool et le tabac, contribua à édifier des fortunes sur la base d’activités commerciales, financières et manufacturières très vite appréciées.Il n’en restait pas moins que ce centre de la tradition culturelle russe, était en totale opposition à la culture officielle germanisée de Saint-Pétersbourg, la ville européenne et maritime fondée par Pierre le Grand pour asseoir la puissance de la Russie. Saint-Pétersbourg est un miracle. La ville fut décidée et créée de toutes pièces au printemps 1703, quand Pierre le Grand avec une douzaine de cavaliers traversa le marais par lequel la Neva se jette dans la Baltique: «Il y aura une ville ici», s’écria-t-il en découpant avec sa baïonnette deux tranches de tourbe dont il fit une croix sur le sol. Ainsi jaillit une ville construite sur l’eau, sur des pieux de bois et habillée de granit importé de Finlande, une œuvre sans équivalent depuis les Pyramides. SaintPétersbourg, composée d’eau, de pierre et de ciel, construite comme une œuvre d’art, empruntée aux architectures hollandaise, française, italienne, mais avec un caractère propre, d’ouvrir sur la mer et le ciel. La volonté de Pierre le Grand imposait une occidentalisation des mœurs et l’introduction de modes de vie d’autant plus exécrés qu’ils étaient «latins». Ainsi obligea-til ses sujets à se raser, provoquant la résistance de la population et des raskolniki: «En quoi consiste notre foi ? Ah oui… ne pas se racler la barbe, ne pas se couper les moustaches, ne pas porter non plus l’habit allemand.» Le port de la barbe devint le signe visible du ralliement ou de l’opposition. Un combat d’origine théologique se transformait en une sourde rébellion sociale et civile qui persévéra à travers toute l’histoire russe et qui commanda dans la vie quotidienne des attitudes caractérisées par un retrait volontaire du monde satanique devenu le règne de l’antéchrist.De l’époque de Pierre le Grand datent à la fois la grande entrée de la Russie dans le concert des puissances européennes – un empire contre lequel se brisera, sous le règne du tsar Alexandre Ier, du temps de Pouchkine, la Grande Armée de l’épopée napoléonienne – et la scission en deux moitiés hostiles de la culture et de l’âme de la Russie. L’ermitage du Vyg devint un foyer d’authentique contre-culture face à la culture européenne de la ville impériale de Saint-Pétersbourg. Une longue dramaturgie s’installait sur la scène morale et intellectuelle de la Russie, nourrie par le rapprochement impossible et cependant fructueux entre les deux moitiés hostiles de l’âme russe, entre les deux cultures russes, la Russie d’avant, celle de la culture populaire cachée, culture paysanne et folklore ouvrier, d’un pays des légendes, des preux et surtout de la Jérusalem perdue et sauvée, celle des enluminures des monastères et des VieuxCroyants, et la Russie du grand miracle du XIXe siècle, celle de la beauté harmonieuse de l’Âge d’or, le miracle littéraire d’une culture nobiliaire que découvrirent l’Europe et le monde dans la deuxième moitié du XIXe siècle et qui s’incarne pour tous les Russes dans le génie d’Alexandre Pouchkine, «le soleil de notre poésie» (1799- 1837). Véritable créateur de la langue littéraire russe, épris à la fois de romantisme et de beauté classique, fondateur de tous les genres, lyrisme, théâtre, roman, nouvelle, il ouvrait la voie du fantastique autant que celle du réalisme psychologique, incarnant la culture européenne d’alors avec toute la force du caractère national russe, esprit universel, gardant l’oreille accordée à la musique de l’âme russe et aux chansons de sa vieille niania. Avec lui commençait l’Âge d’or de cette littérature, de Pouchkine à Tolstoï, les deux pôles entre lesquels oscille l’âme russe, Pouchkine et son acceptation joyeuse de la vie, Tolstoï et sa fuite hors du monde. Le miracle de cette naissance allait illustrer les pouvoirs de la littérature: le seul pouvoir du verbe de l’écrivain changea le regard de l’Europe sur un pays capable non seulement de prendre chez les autres peuples, mais aussi de donner, d’offrir de nouveaux repères spirituels, idéologiques et esthétiques. La grande période du «roman russe» commençait en 1852, année de la mort de Gogol, mais aussi des Récits d’un chasseur de Tourguéniev, puis d’Enfance de Tolstoï. Tolstoï et Dostoïevski: avec eux le monde va changer de base, le roman russe devient le roman européen, prenant en compte toute la vie humaine et la société, marqué par lapsychologie des profondeurs, la souffrance et la compassion.En 1905 germa l’idée de perpétuer la mémoire de Pouchkine en créant un musée portant son nom où serait rassemblé tout ce qui concerne les plus grands écrivains russes. La Maison Pouchkine vit ainsi le jour sous l’égide de l’Académie des Sciences. En 1927, elle s’installa dans un magnifique bâtiment à colonnes blanches surmonté d’une coupole, qui avait été construit entre 1829 et 1832 d’après les plans de l’architecte Giovanni Luchini pour la douane portuaire de Saint-Pétersbourg. La Maison Pouchkine est un ensemble unique au monde, qui comprend un Musée littéraire, un Département des manuscrits et, depuis 1949, un Fonds de livres et manuscrits anciens, allant du XIIe au XXe siècle, dont la moitié est représentée par des documents du schisme de la Vieille-Foi. La Maison Pouchkine est ainsi devenue le foyer de conservation des traditions nationales, mais elle est aussi un lieu d’accueil pour les cultures d’autres peuples auxquels la Russie avait lié son destin. Son objet d’étude est la littérature russe, mais dans le contexte de la littérature universelle. Ce trait la rapproche de la Fondation Martin Bodmer, que domine la vision goethéenne de la Weltliteratur. Après avoir accueilli le centenaire de la Nouvelle Revue Française, la Fondation Martin Bodmer expose maintenant les trésors d’une littérature qui a changé notre perception de la réalité humaine et marqué en profondeur le fondateur de la Nouvelle Revue Française, André Gide lui-même, découvreur de Dostoïevski et traducteur de récits de Pouchkine. Pour la première fois en Europe, sont réunis en une même exposition les témoins des deux cultures russes, le monde caché des copistes et des dessinateurs paysans anonymes, tenants de la Vieille-Foi, née au XVIIe siècle, et la grande clarté du Siècle d’or russe, de Pouchkine à Tolstoï. Qu’une survivance médiévale se soit nichée dans la capitale européenne de Pierre le Grand, symbolise la coexistence de cette double culture dont se nourrit l’âme russe.