Prix Nobel de littérature, Hermann Hesse est l’auteur d’une œuvre abondante (Peter Camenzind, Le dernier Été de Klingsor, Siddhārtha, Le Loup des steppes, Le Jeu des perles de verre, etc.), traduite en une cinquantaine de langues et divulguée à plus de 70 millions d’exemplaires.
Né dans le Wurtemberg en 1877, Hermann Hesse passa la Première Guerre Mondiale en Suisse, près de Berne. En 1919, il s’établit au Tessin, où il résidera jusqu’à sa mort, survenue en 1962. Entre temps, soit en 1924, il est définitivement naturalisé suisse.
D’Hermann Hesse, il subsiste une immense correspondance, quelque 35 000 lettres (!), dont l’exemplaire qu’on présente ici. Datée du 24 avril 1934, elle est adressée au Dr Willi Schuh, musicologue de Bâle. Son correspondant se trouve alors en villégiature dans le château de Bremgarten (au nord de Berne), propriété de Max et Tilli Wassmer- Zurlinden, qui ont l’habitude d’y réunir des artistes et des intellectuels.
Dans sa lettre, rédigée en allemand, Hermann Hesse souhaite à son ami un bon séjour, tout en exprimant le regret de ne pouvoir être près de lui, à cause de douleurs oculaires qui l’accablent jour et nuit.
D’une écriture fine et plutôt régulière, la lettre se trouve agrémentée d’une aquarelle, occupant la moitié de la page. Elle représente, au-delà d’un premier plan occupé par deux maisons, un village et son église, surplombant un lac. De hautes montagnes bouchent l’horizon.
Cette vue, à la manière d’une carte postale, est prise de la villa que l’écrivain occupait à Montagnola au-dessus de Lugano, villa qui lui avait été offerte par son ami Hans C. Bodmer.
On ne s’étonnera pas de voir Hermann Hesse jouer les illustrateurs, quand on sait qu’il pratiquait assidûment l’aquarelle, son violon d’Ingres. Or son sujet de prédilection était justement le Tessin et ses paysages, peints – à ce qu’on a estimé – à 3 000 reprises !
Il faut ajouter que la lumière comme les couleurs, c’est au Tessin qu’Hermann Hesse les découvrit; cette terre joua, pour le Nordique qu’il était, le même rôle que la Provence et la Côte d’Azur ont joué pour les Français. Ainsi, il écrit par exemple: «Ces bleus profonds et mystérieux dans la mer de feuillage de la terrasse m’obsèdent maintenant et je ne peux faire autre chose que de les peindre.»
Cependant, lui qui prêchait et pratiquait l’écologie avant l’heure, tout en dénonçant dès 1928 l’invasion de l’automobile, aurait-il supporté de voir sa patrie d’adoption en proie à l’urbanisation galopante, son cher village de Montagnola devenant un faubourg résidentiel de Lugano ?
Cela dit, il ne faudrait pas croire qu’Hermann Hesse a attendu son installation au Tessin pour découvrir la nature et en faire sa principale source d’inspiration. Ce thème figure déjà dans Peter Camenzind, son premier roman, qui lui valut la notoriété. On y lit (traduction): «Quand je me mis à aimer la nature comme une personne, à l’écouter comme une camarade et une compagne de voyage, qui parle une langue étrangère, ma mélancolie ne s’en trouva pas guérie certes, mais elle fut ennoblie, purifiée. Mon oreille et mon œil s’affirmèrent. J’appris à percevoir ses nuances et sa diversité, j’aspirai à entendre de plus en plus près, de plus en plus clairement les pulsations de tous les êtres vivants pour, peut-être, les comprendre un jour et peut-être recevoir un jour le don de les exprimer dans la langue de la poésie, afin que d’autres aussi se rapprochent de la nature, et que leurs sens s’ouvrent plus largement quand ils se rendraient aux sources qui rafraîchissent, purifient et restituent aux hommes leur ingénuité enfantine.» Belle profession de foi !