Passé du cinéma à la photographie, Christophe Jacrot voyage en solitaire. Ses itinéraires sont toujours ceux de la pluie, de la neige ou de la brume. Le mauvais temps pour le bon regard: celui qu’il porte sur l’humain.
Plus que n’importe quel autre photo graphe peut être, Christophe Jacrot sait «prendre» le temps. Le temps qu’il fait, le temps qu’il faut. Les hasards de la vie et les caprices de la météo sont à la source de son œuvre insolite et originale. En 2007, il s’apprête à photographier pour un guide touristique, Paris sous son meilleur jour, c’est-à-dire ensoleillé, comme il se doit pour ce type d’ouvrage. Mais c’est la pluie qui est au rendez-vous. Hélas ? Non, tant mieux puisque ce mauvais temps s’avère un bon révélateur… Loin des «clichés», les siens, ceux qu’il prend de la ville, marient avec sensibilité l’espace urbain et l’espace intime, l’humain dans son humilité et son face à face avec les intempéries. «Certains disent que mon travail est anxiogène» avoue-t-il. On peut s’en étonner au vu d’une production contemporaine très souvent violente, crue. En fait, le vrai frisson que l’on ressent est celui de l’émotion. Toute de légèreté et de douceur, enveloppée d’une certaine mélancolie, cette œuvre nous touche par sa beauté éthérée, dans une esthétique romantique dont Christophe Jacrot s’explique clairement sur son site: «J’aime le romanesque que m’offre la pluie, la neige, le «mauvais temps» (les excès du climat sont un autre sujet). Ces éléments sont pour moi un merveilleux terrain photographique, un univers visuel peu exploité au fort pouvoir évocateur, et riche en lumières subtiles.» Lumières et clairs-obscurs, reflets et effets brouillés, silhouettes fantomatiques des hommes et formes graphiques des parapluies, cette photographie fait aussi référence à la peinture. Le ruissellement de l’eau en averses, en giboulées, se fait l’écho de l’impressionnisme, la goutte, larme du ciel, celle du pointillisme. Quelques «images» de Jacrot nous rappellent certains tableaux de Caillebotte (Rue de Paris, temps de pluie), Turner (Pluie, Vapeur, Vitesse), Monet (Un train dans la neige ou encore, La charrette), Sisley, Pissarro, Marquet…
Cet artiste émergent – dont pourtant l’œuvre est déjà reconnue, bien que se déclarant «hors mode et hors courants» – n’a pas la prétention de faire de pareilles comparaisons, il se réfère modestement à ses pairs. Oh ! bien sûr, quelques-uns bien avant lui avaient réalisé des clichés à frissonner d’émotion: Gouttes de pluie de Clarence Hudson White en 1903, La Cour en hiver d’Alexander Rodchenko en 1926 par exemple… Mais seul, à notre connaissance, Christophe Jacrot s’est spécialisé dans ce type de photos. Il se plaît d’ailleurs à rappeler qu’il garde toujours en mémoire deux célèbres images de grands photographes: un portrait de Giacometti sous la pluie battante signé Cartier-Bresson; et la silhouette d’un inconnu qui effectue devant un couple, un grand saut au-dessus du terre-plein détrempé du Trocadéro, ballet de personnes et de parapluies chorégraphié par Elliott Erwitt. Comme ses illustres prédécesseurs, Jacrot travaille énormément le cadrage mais tient à souligner qu’«il n’y a aucune mise en scène… Que du repérage et surtout de la patience». Ne travaillant qu’au numérique – l’argentique avec le changement de rouleau de pellicule, dans de telles conditions de prises de vue, ne peut être envisagé – avec l’appareil protégé dans un sac en plastique, il est au cœur même des intempéries, comme un chasseur d’orages. Sa traque pacifique et humble l’amenant même parfois à prendre de curieuses positions, au ras du sol détrempé: ce qui ne manque pas d’étonner l’éventuel témoin. Autre aspect remarquable, il s’agit d’une photo réalisée sans «bidouillages» informatiques: «Il y a très peu de retouches, seulement un nettoyage… tout se joue à la prise de vue» souligne-t-il.
Après Paris et ses giboulées, «New York et la tempête de neige: deux énergies qui s’affrontent», souligne-t-il, notre homme est passé par Chicago, à Hong Kong, à Macao, il est allé jusqu’à traverser l’Inde pour traquer la mousson dans les paysages des villes et des grands espaces naturels. Puisque qu’il avoue, «j’aime créer mon univers», Christophe Jacrot est ainsi devenu un homme du monde, gentleman de la nuit, souvent, et de la pluie, inlassablement. Tout du moins, «pour l’instant… Je m’amuse avec cela… Et je ne pense pas être complètement au bout de cette aventure photographique».