Le Pop art cinétique et subversif deThomas Bayrle

Que sommes-nous face aux milliards d’objets fabriqués en série et qui remplissent nos journées ? Quelle place reste-t-il au corps humain lui-même, noyé sous les produits industriels, dépersonnalisé à l’extrême par l’infinie répétition d’actions automatisées exécutées par le truchement d’un ustensile ? Voiture, téléphone, chaussure, cintre, chemise, tasse de café, peuplent chaque instant de notre vie et bien que triviaux, résultent pourtant chacun d’ahurissantes forces de production. Ces objets et leur terrible signification existentielle se trouvent précisément au cœur du travail de Thomas Bayrle (1937), qui décrit avec ironie un monde où se reproduisent à l’infini les mêmes styles de vie, les mêmes comportements culturels, sexuels ou industriels, un monde absurde où l’être humain a complètement disparu derrière l’ordre mécanisé qu’il a lui-même voulu créer. Les 300 œuvres exposées au MACBA montrent ainsi son parcours depuis la fin des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de la première rétrospective de cet artiste organisée en Espagne. Thomas Bayrle est considéré, comme Sigmar Polke ou Gerhard Richter, comme l’un des principaux représentants du Pop art de la République Fédérale d’Allemagne. Il est vrai que l’usage d’objets anodins reproduits en série, les aplats de couleurs vives, les personnages qui pourraient être sortis d’une bande dessinée, l’agencement frontal des motifs, les images empruntées aux mass médias ou à l’économie, participent effectivement de ce mouvement. Néanmoins Bayrle s’écarte des motivations parfois surréalistes ou même frivoles de certains artistes Pop américains. On se souvient de Warhol, jaloux de Lichtenstein et prenant au mot les conseils d’une...

Que sommes-nous face aux milliards d’objets fabriqués en série et qui remplissent nos journées ? Quelle place reste-t-il au corps humain lui-même, noyé sous les produits industriels, dépersonnalisé à l’extrême par l’infinie répétition d’actions automatisées exécutées par le truchement d’un ustensile ? Voiture, téléphone, chaussure, cintre, chemise, tasse de café, peuplent chaque instant de notre vie et bien que triviaux, résultent pourtant chacun d’ahurissantes forces de production. Ces objets et leur terrible signification existentielle se trouvent précisément au cœur du travail de Thomas Bayrle (1937), qui décrit avec ironie un monde où se reproduisent à l’infini les mêmes styles de vie, les mêmes comportements culturels, sexuels ou industriels, un monde absurde où l’être humain a complètement disparu derrière l’ordre mécanisé qu’il a lui-même voulu créer. Les 300 œuvres exposées au MACBA montrent ainsi son parcours depuis la fin des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de la première rétrospective de cet artiste organisée en Espagne.

Thomas Bayrle est considéré, comme Sigmar Polke ou Gerhard Richter, comme l’un des principaux représentants du Pop art de la République Fédérale d’Allemagne. Il est vrai que l’usage d’objets anodins reproduits en série, les aplats de couleurs vives, les personnages qui pourraient être sortis d’une bande dessinée, l’agencement frontal des motifs, les images empruntées aux mass médias ou à l’économie, participent effectivement de ce mouvement. Néanmoins Bayrle s’écarte des motivations parfois surréalistes ou même frivoles de certains artistes Pop américains. On se souvient de Warhol, jaloux de Lichtenstein et prenant au mot les conseils d’une amie qui lui suggérait de peindre un objet identifiable par tous, comme une boîte de soupe… Et de préciser ensuite «je peins simplement les choses qui m’ont toujours paru très belles… Des choses qu’on utilise tous les jours sans y penser», ou rajoutant «la raison pour laquelle je peins ainsi c’est que je veux être une machine»… La situation socioculturelle d’abattement dans l’Allemagne d’après-guerre imprime en revanche à l’œuvre de Bayrle – comme à celle de Beuys, bien que dans un autre registre esthétique – un esprit bien différent. Le fardeau des atrocités du Troisième Reich, la reconstruction d’un pays totalement bouleversé, sa très rapide division et l’essoufflement du redressement économique donnent aux Allemands des raisons bien particulières pour œuvrer à la création d’une nouvelle sensibilité esthétique, d’une autre identité culturelle, au moment où les artistes américains sont parfois plus occupés à faire du «nonart» qu’à transmettre les profondeurs d’un tel mal-être. Le nouvel ordre mondial, marqué par la situation au Proche-Orient ou la guerre du Vietnam, accentue cette nécessité et Francfort, où vit et travaille Bayrle, devient dans les années 1960 l’un des épicentres de cette réaction protestataire.Les moyens d’expression de Bayrle sont très variés et parfois surprenants: collages, sérigraphies, plastiques, papiers peints, «machines peintures»; à partir de 1980, des films, des livres, des designs graphiques, des maquettes ou des sculptures qui, dans la rétrospective barcelonaise, s’approprient les différents espaces du MACBA. Il utilise aussi des images de synthèse dès le début de l’ère informatique, sur Atari d’abord puis sur des ordinateurs superpuissants, notamment au Japon. Enseignant à la Städelschule de Francfort pendant 25 ans, il mène d’ailleurs souvent cette recherche en collaboration avec de jeunes artistes, considérant l’échange comme une base essentielle de son inspiration.La trame est au cœur de l’univers esthétique de Bayrle, influencé aussi par les effets cinétiques de l’Op art de Victor Vasarely ou Bridget Riley. N’a-t-il pas d’ailleurs travaillé à ses débuts dans une usine textile et observé les tissages ? Puis fait de la recherche en typographie dans une maison d’édition ? Bayrle utilise un procédé récurrent: en reproduisant un motif des dizaines de fois et en jouant sur la distorsion, il fait naître une autre image derrière l’image, un autre message social ou politique derrière la banalité apparente de l’élément reproduit. Dans Cristel von der Post, le visage sans expression d’une femme émerge de la répétition sérielle d’une petite image de téléphone. Ne serions-nous que le résultat d’actes automatisés répétés à l’infini par le biais de ce moyen de communication par excellence ? On mesure la pleine actualité d’une image créée il y a presque quarante ans… Dans Hanger Man c’est un visage masculin impassible qui émerge de la répétition d’un des objets les plus triviaux de notre vie quotidienne, un cintre. On pense aux millions de personnes qui s’habillent chaque matin, tels des appareils mis en marche automatiquement par programmation. Ailleurs, l’acte sexuel lui-même apparaît comme une simple activité de production tendant au progrès. Bayrle exprime cette absurdité avec humour, par un collage de centaines de jambes relevées formant une femme nue aux jambes entrouvertes (M-Formation), version moderne de l’Origine du monde de Courbet. Ou par l’image démultipliée d’un couple à moitié déshabillé, prêt à se «mettre à l’œuvre» pour la bonne marche de la société (One or another). Des efforts déshumanisants laissant place à une réalité mécanique froide et automatisée à l’extrême, dépourvue de sentiments, incapable d’erreurs. Plus politique encore, Kartoffelzähler, Maxwell Café, Hofbräu ou SARS soulignent l’ironie qu’il y a à concentrer toutes les forces vives d’une nation dans la production d’un bien aussi dérisoire qu’une pomme de terre, une tasse de café, une chope de bière ou une voiture.«J’ai bien peur que nous ne soyons plus au Kansas», disait Dorothy à son petit chien Toto, propulsés tous deux au Pays d’Oz par une tornade. Thomas Bayrle aussi nous fait voyager vers un pays différent où règnent la technologie, l’automatisation et la consommation à grande échelle… Mais il fait planer (sarcastiquement) le doute: sommes-nous vraiment là «quelque part sur l’arc-en-ciel» ?


Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed