À la mort d’Alexandre le Grand, ses diadoques (successeurs) s’arrachèrent sa dépouille. Ptolémée parvint à la ramener en Egypte où le «somâ» (le corps) fut bientôt l’objet d’un culte à la gloire du héros divinisé, en un lieu aujourd’hui perdu. À sa suite, certains diadoques se virent ériger de somptueuses chapelles funéraires. Seul demeure aujourd’hui le tombeau d’Alcétas, dans la cité perdue de Termessos (turquie), où ce vétéran de la campagne des indes connut une fin tragique. Un destin et un lieu à l’image de ceux qui conquirent le monde à la pointe de l’épée.
En 334 avant notre ère, Alexandre III de Macédoine, mandaté par l’ensemble des cités grecques pour débarrasser les Hellènes de la tyrannie perse – on sait avec quel succès – libérait une à une les principales villes d’Asie Mineure. Mais Termessos, qui avait toujours su préserver sa liberté, refusa de lui ouvrir ses portes. La patience et l’opiniâtreté Alexandre, dès lors qu’il fallait châtier des cités récalcitrantes, sont bien connues: Milet et Tyr, cités autrement prestigieuses que Termessos, furent rasées, après des sièges longs et coûteux. À Termessos, pourtant, Alexandre renonça rapidement, de peur d’y laisser la fine fleur de son armée. Les Termessiens, redoutables guerriers dont le courage était déjà vanté par Homère, lui infligèrent l’un des seuls échecs militaires de sa courte existence. Colérique notoire, il déchargea sa haine et sa rancœur sur la cité voisine de Sagalassos, qu’il fit détruire de fond en comble.
Après sa mort en 323, l’immense empire qu’Alexandre avait conquis fut partagé entre ses diadoques (successeurs). Un partage qu’aucun ne dut trouver satisfaisant, si l’on en juge par la violence des guerres qu’ils s’infligèrent. Antigone le Borgne, général peu glorieux resté en arrière du front lors de la conquête de l’Asie, cherchait à restaurer à son profit l’unité de l’empire. Perdiccas, l’héritier qu’Alexandre aurait lui-même désigné sur son lit de mort, décida de l’éliminer. En 319 avant notre ère, il envoya à sa rencontre son propre frère, Alcétas, l’un des généraux commandant la célèbre phalange macédonienne lors de la campagne des Indes. Alcétas, trahi par ses hommes, trouva refuge à Termessos, bientôt assiégée par Antigone, qui réclamait la tête de son ancien compagnon d’armes. Alcétas s’était lié d’amitié avec les jeunes guerriers termessiens, qui refusèrent de le livrer et lui jurèrent fidélité et protection. Les anciens de la ville, prudents, envoyèrent les jeunes guerriers combattre Antigone, avec qui ils traitèrent en secret, s’apprêtant à livrer l’encombrant invité en l’absence de ses amis. Alcétas l’apprit et mit fin à ses jours. Antigone s’acharna trois jours durant sur la dépouille de son ennemi et l’abandonna, souillée, aux pieds des murailles. De retour dans leur ville, les jeunes guerriers découvrirent la trahison de leurs pères, et décidèrent d’offrir à leur ami un tombeau et une chapelle funéraire.
Nichée sur les hauteurs de l’antique Termessos, dominant la nécropole sud, une grotte conserve aujourd’hui encore le précieux témoignage de ces évènements dramatiques. Un aigle royal, gravé au-dessus des restes de la chapelle, rappelle la gloire passée et le rang princier du défunt. L’aigle tient dans ses serres un serpent, signe d’apothéose et d’élection, réservé aux proches compagnons d’Alexandre. À peine reconnaît-on l’emplacement des niches qui abritaient les urnes contenant les os et les cendres du défunt. On devine également le banc destiné à recueillir des offrandes. L’ensemble est conçu pour accueillir un culte, rendu au héros divinisé, ce que confirme le témoignage de Diodore de Sicile, évoquant la piété des jeunes Termessiens. Plus remarquable: deux bas-reliefs gravés à même la paroi de la grotte rappellent de manière plus explicite le destin exceptionnel d’Alcétas. Le premier, en grande partie effacé, montre ses armes: le large bouclier d’infanterie, le casque macédonien, les jambières, l’épée, dont le manche dépasse du bouclier. Plus à gauche, un grand cavalier (plus de deux mètres) est mis en scène bondissant vers la droite. Il porte la traditionnelle chlamyde (le manteau) des Macédoniens. Il brandit une lance, probablement peinte sur la paroi, mais effacée, tout comme son visage, par les pillards qui saccagèrent le site. Tout ici rappelle Alexandre lui-même, qui avait immortalisé ce type de représentation de son vivant: l’armement, la posture, l’habillement. Mais le motif du cavalier chargeant est traditionnel: il correspond à la représentation canonique du cavalier thrace puis macédonien, en usage au moment de l’accession d’Alexandre au pouvoir. Il est donc difficile d’affirmer que le roi lui-même, plutôt que son général, est ici représenté. Quoi qu’il en soit, le site funéraire de Termessos est le seul tombeau identifié d’un compagnon d’Alexandre, dont l’existence est attestée par les textes anciens. De peu postérieur à Alexandre lui-même, il constitue un témoignage important et émouvant des cultes funéraires réservés à ceux qui conquirent une grande partie du monde alors connu, à la pointe de l’épée. Selon Charles Picard, le sculpteur du grand cavalier pourrait avoir été un collaborateur direct – élève ou aide – du fameux Lysippe de Sicyone, portraitiste officiel du roi, à qui l’on doit les plus beaux portraits du conquérant.
La présence de ce motif rupestre en ces lieux a quelque chose d’ironique. Malgré la sollicitude des jeunes Termessiens, la richesse du tombeau peine à exorciser le sacrilège d’Antigone, qui périra lui aussi assassiné par ses rivaux. Elle témoigne ainsi, indirectement, de l’échec posthume d’Alexandre, qui ne sut pas s’assurer de succession viable, dans ce lieu perdu, éloigné des grands centres culturels hellénistiques, là même où le conquérant subit son seul véritable échec militaire.