Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien prête aux Phéniciens la découverte duverre (en grec ualos, en latin vitrum). En réalité, elle est beaucoup plus ancienne, comme le montrent les fragments de matière brute mis au jour sur des sites sumériens, datés du milieu du troisième millénaire avant notre ère. Et cette découverte n’est pas due à un heureux hasard, comme le raconte Pline. C’est le résultat des expérimentations menées sur la faïence, laquelle exige de hautes températures et l’emploi du sable pour émailler les surfaces.Dans le verre antique, on distingue trois composants principaux: les silicates, les alcalins, les carbonates de calcium. Les premiers s’obtenaient directement à partir du sable, du grès et des galets. Les deuxièmes servaient à abaisser le point de fusion et à maintenir la malléabilité du verre plus longtemps. Ils étaient constitués de soude, d’origine végétale (cendre de plantes) ou minérale. Celle-ci provenait du natron, dont l’Egypte et l’Asie Mineure possédaient de riches gisements naturels. Les troisièmes composants, à base de coquillages concassés, avaient pour effet de rendre le verre insoluble à l’eau et plus résistant.
Parmi les ingrédients secondaires du verre, les oxydes avaient fonction de colorants. Avec le cuivre, on obtenait le bleu, le vert et le rouge. Avec le cobalt, le turquoise foncé. Les oxydes de fer, présents dans de nombreuses sortes de sable, donnaient le vert clair, caractéristique de la vaisselle courante d’époque romaine. Pour obtenir du verre incolore, on recourait à l’oxyde de manganèse.La cuisson du verre s’effectuait en deux phases. La première permettait de produire le mélange vitreux, appelé «fritte» (700-800°C). La seconde, la fusion proprement dite, transformait la fritte en verre. Pour accélérer le processus, on ajoutait au mélange du verre de récupération.Petit lexiqueAlexandrie: sous le règne des Ptolémées, la cité fondée par Alexandre à la porte de l’Egypte dominait le marché des produits de luxe, dont la verrerie.Balsamaire: vase à parfum ou cosmétique, en pâte de verre, fait à partir de filaments colorés qu’on enroulait à chaud autour d’un noyau d’argile. Dès le VIIe siècle av. J.-C., on le trouve partout, jusqu’en Crimée. Son origine est discutée, mais l’île de Rhodes semble avoir joué un rôle déterminant dans sa diffusion. Les balsamaires étaient cachetés à la cire ou fermés par un bouchon en os.
Camée: le camée est un bijou en pierre semi-précieuse, à décor en relief. Les Alexandrins parvinrent à l’imiter parfaitement. On utilisait un verre à deux couches, la blanche, placée en dessus, étant taillée à froid pour faire ressortir l’autre.Carthage: au VIIe siècle av. J.-C., la colonie phénicienne d’Afrique du Nord se fit une spécialité des colliers en pâte de verre colorée, avec pendentif en forme de tête humaine ou animale. Son succès allait perdurer pendant trois siècles.Egypte: l’art du verre fut introduit dans ce pays sous le pharaon Thoutmosis III (1479-1426), par des artisans mésopotamiens ou syriens, qui étaient peut-être des prisonniers de guerre. Le géographe Strabon, contemporain d’Auguste, signale la qualité exceptionnelle du sable qu’on exploitait dans le delta du Nil.Faïence: poterie à pâte opaque, poreuse, colorée ou blanche. On la recouvrait d’émail pour la rendre imperméable. Cuisson à environ 1’000°C.Gemme: à l’époque romaine, les bijoutiers remplaçaient souvent les pierres fines transparentes par de la pâte de verre, colorée à l’identique. Celle-ci était ornée d’une gravure, exécutée à l’aide d’une pointe d’acier, actionnée par un archet.Lacrimatoire: petite fiole destinée à recevoir du parfum (sous forme huileuse) et non des larmes, comme le veut la croyance populaire. Les fioles tubulaires contenaient le kohl, poudre noire pour le maquillage des yeux.Lingot: dans les régions où la matière première manquait, on importait le verre sous forme de lingots, plus ou moins bien façonnés.
Mille-fleurs: on nomme ainsi les vases en mosaïque de verre, évoquant un pré fleuri.Mosaïque : les artisans d’Alexandrie étaient réputés pour leurs mosaïques de verre, formées à partir de baguettes colorées, sectionnées et soudées ensemble.Noyau: réalisé avec de l’argile, du sable et un liant organique. Cet ingrédient avait pour fonction de rendre l’ensemble suffisamment élastique pour absorber les tensions du verre pendant la cuisson. Pour retirer le noyau du vase coulé autour de lui, on le cassait, en faisant tourner la tige métallique qui le maintenait.Or: à la fin du IIIe siècle ap. J.-C., les verriers romains ont utilisé de la feuille d’or, glissée entre deux couches de verre transparent, pour orner le fond des coupes.Orient: la Mésopotamie, la Phénicie, la Palestine et la Syrie furent de grands producteurs de verre, dès l’époque la plus reculée.Pâte de verre: préparée à froid, elle était placée dans un moule en terre réfractaire et soumise au four. On en faisait des bijoux (perles, pendentifs, châtons de bague) ou des vases.Rome: sous l’Empire romain, la verrerie devint une véritable industrie, très lucrative. Le produit principal était la vaisselle en verre incolore et les bouteilles carrées, faciles à stocker.Soufflage: vers le milieu du Ier siècle av. J.-C., la technique du verre soufflé, à la volée ou dans un moule, provoqua un changement radical, car elle accélérait le rythme de production et abaissait le coût. (J.C.)
Interview ArtpassionsEtre collectionneur de verre antique est suffisamment rare pour être souligné. Pourquoi avoir choisi ce domaine ?Comme toutes les collections, la mienne a commencé par hasard, sans préméditation. Elle est née avec l’achat de la majorité des pièces réunies par un industriel allemand, qui avait une préférence pour les pendentifs phéniciens en forme de tête humaine. Moi-même, j’ai été séduit par leurs brillantes couleurs, leur expressivité, leur caractère primitif et moderne à la fois. Plus tard, j’ai jeté mon dévolu sur une autre collection particulière, celle d’un diplomate français ayant vécu au Proche-Orient. Il avait pris le parti d’acquérir tous les fragments de verre qu’on lui présentait. Ces débris stimulaient mon imagination. Car, à partir d’un simple morceau, comment restituer la forme de l’objet disparu ? Un tel exercice a quelque chose d’exaltant, de poétique aussi.Comment conservez-vous vos objets ?A cause de leur fragilité, inhérente au matériau, je ne puis les avoir sous les yeux, tous les jours. En effet, chaque fois qu’on manipule un objet de ce genre, on risque de le casser, de le «multiplier», pourraiton dire. Cependant, si je me trouve ainsi privé du plaisir de vivre avec ma collection, j’ai au moins la satisfaction de savoir que je la possède…
Qu’est-ce qui vous motive dans vos acquisitions ?Dès le départ, c’est la curiosité et le plaisir esthétique qui m’ont mobilisé. Et, en développant mes connaissances, j’ai fini par privilégier le caractère scientifique de ma démarche. Quand j’achète, c’est désormais pour combler une lacune, ma collection visant désormais l’exhaustivité. Et je me concentre sur les pièces intéressantes, même quand elles n’ont pas de valeur marchande.Vous arrive-t-il de retrouver dans un musée, sur le marché des antiquités ou en mains privées, le morceau qui complète un de vos objets ?Presque jamais, car les objets en question sont trop fragmentés. Seule exception: les camées en verre, qui présentent un décor figuré parfaitement lisible. Dans ce cas, les morceaux jointifs sont plus facilement repérables.Quels sont les critères de valeur pour juger de ces objets en verre: l’état de conservation, la rareté, le thème du décor, l’artisan qui les a façonnés ?La rareté d’abord, puis le goût du moment. De nos jours, par exemple, ce sont les colliers et pendentifs phéniciens, les «balsamaires» à lignes ou festons de couleur et les verres-camées, qui sont les plus recherchés.
Combien de pièces possédez-vous ?Je n’ai jamais compté, mais si je considère tous les fragments, ce sont plusieurs milliers !Procédez-vous à des échanges, prêtez-vous à des musées ?Je prête volontiers mes objets pour des expositions thématiques et je permets qu’on les publie. Posséder n’est pas chez moi une maladie! Au contraire, j’aime que d’autres partagent mon plaisir. Le contact avec les spécialistes, les discussions scientifiques qui s’ensuivent, me procurent une grande satisfaction. Et, chaque fois que j’ouvre l’étui contenant un de mes objets, c’est un émerveillement, et aussi une interrogation, car je le revois à chaque fois sous un jour nouveau.Etes-vous parfois confronté à un faux, une contrefaçon ?Très souvent ! Aujourd’hui, la technique fait des miracles et les ateliers de faussaires se multiplient. On les trouve dans les pays où existent un savoir-faire ancestral et aussi la matière première (Proche-Orient et Asie). On va jusqu’à fondre ensemble des fragments de verre trouvés ici et là pour façonner des vases à l’identique. De tels faux résistent aux analyses de laboratoire, la patine des siècles exceptée. Heureusement, mon expérience me protège. Mais je n’ignore pas qu’il faut rester très attentif, surtout lorsqu’on vous offre un objet d’un genre banal, qu’on croit bien connaître.
Dans quel musée de Suisse, plus largement du monde, trouve-t-on une collection telle que la vôtre ?En Suisse, il n’y en a pas. D’ailleurs, les institutions capables de retracer l’histoire du verre dans l’Antiquité sont très rares. On peut citer les musées de Cologne, de Tolède, de Jérusalem, et le principal, celui de Corning (Etat de New-York). Cela dit, beaucoup de musées en Italie (Aquilée), en France, en Espagne, en Angleterre, en Egypte (Alexandrie et le Caire) présentent les verres trouvés en nombre sur tel ou tel site archéologique, verres généralement produits sur place.Comment voulez-vous conclure cet entretien ?En rappelant que les verres, contrairement à la plupart des objets antiques autres que les sculptures, ne proviennent pas de tombes, sauf évidemment les vases funéraires, urnes et «lacrimatoires». C’est dans les ruines des maisons ou les dépotoirs d’ateliers que les archéologues trouvent les fragments de vaisselle et les pièces de décoration. D’où leur rareté, que j’ai déjà dite. Et il faut savoir aussi que certains verres, à la technique complexe, étaient collectionnés sous forme de fragments dans l’Antiquité déjà. On les montait en bijoux, comme des pierres précieuses. C’est dire la haute considération dont jouissaient ces prouesses artisanales, qui pouvaient atteindre des prix très élevés.