Max Lamb, le designer familier des vastes espaces, puise dans la force des éléments – la terre et la mer – pour nous confronter à nos vertiges.
Il connaît les rafales de vent et de sable, la houle, les côtes rocheuses, les marées et les criques oubliées de ses Cornouailles natales. Il sait l’ivresse, la solitude essentielle. Inutile de chercher à rencontrer Max Lamb ces mois-ci. Pas de téléphone, une adresse improbable. Le designer anglais est en méditation créative quelque part dans les steppes américaines. À force d’explorer silencieusement le paysage, il fera naître, de son échange avec la nature, peut-être un fauteuilde pierre ou un nouveau tabouret d’étain, dont il communiquera par le film et par l’image tout le processus de création. Avec son Pewter Stool présenté au Design Miami Basel 2007, le créateur est entré dans le monde des designers contemporains qui incorporent des performances à leurs œuvres. En invitant le spectateur à suivre l’histoire de leur conception, il livre une expression personnelle qui contribue à rendre le produit unique.
«J’y construisais des châteaux, des tunnels…»Les Suédois du Front Studio utilisent la technologie de la «motion capture» pour dessiner des chaises dans les airs. Max Lamb choisit de creuser le sable des plages pour y couler des sièges de métal. «Le plus clair de mon enfance, je l’ai passé sur la plage de Caerhays au sud de l’île, près de ma petite ville, le port de pêche de St Austell. J’y construisais dans le sable des châteaux, des bateaux et des tunnels.» L’expérience a été décisive pour son avenir. Les vallées profondes, les paysages vallonnés, les côtes escarpées, l’eau, le ciel: les éléments naturels auraient dû le rendre inapte à une vie de designer. Il imaginait devenir éventuellement moniteur de surf. Pourtant, il dessinera des meubles pour un studio londonien, aménagera des restaurants, des boutiques, desespaces d’expositions, des intérieurs privés. Il se verra décerner successivement le Peter Walker Award de l’Innovation des Nouveaux Designers, en 2003, pour Mr Stool et l’Hettich Interior Design Award, en 2004, pour sa bibliothèque Bookend. En 2006, il complète ses études au Royal College of Art de Londres, y affine les capacités créatives et intellectuelles de son mode exploratoire et travaille pour les séries limitées de Tom Dixon.
«J’ai creusé un trou dans le sable…»Mais l’année suivante, c’est sur la terre de ses ancêtres qu’il retourne pour y œuvrer seul. «J’ai décidé que ce serait bien d’être sur ma plage favorite pour produire le Pewter Stool en utilisant le savoir-faire métallurgique qui fit autrefois la renommée des Cornouailles.» Max Lamb évoque souvent Harvey et Copperhouse, qui furent au XVIIIe siècle les deux plus grandes fonderies du monde, pour expliquer cet élan à combiner dans son travail les compétences oubliées avec les procédés high tech novateurs. «J’ai passé les trois premiers jours à simplement découvrir ce que j’étais capable de sculpter et ce que le sable voulait bien que j’inscrive en lui. Puis j’ai creusé un trou profond pour fondre le métal, en observant le travail de la marée pour qu’elle atteigne précisément le trou à hauteur voulue…»Pour ce voyageur infatigable, les séjours en Inde, en Chine, au Nigeria, pays riches en habiletés manuelles, n’ont fait que renforcer la singularité de son approche; et son attrait pour les cultures locales imprègne fortement son œuvre. Tout commence toujours chez Max Lamb par ces recherches géographiques, historiques et humaines. C’est ainsi qu’ont été créées les tables et assises de lacollection La Cernia, du nom de la carrière suisse, près de Fribourg, dont elles sont issues. Des blocs de grès et de pierre calcaire, des pièces denses taillées et polies à la main avec précision. De même, la collection Delaware Bluestone existe parce que Max Lamb, lors d’un périple aux Etats-Unis, a trouvé une petite entreprise familiale spécialisée dans la taille traditionnelle de la bluestone, ce minéral indissociable de l’histoire architecturale new-yorkaise. «C’est à ce moment-là que jel’ai rencontré, raconte Jacqueline Nguyen de la Johnson Trading Gallery, à New York, qui lui a récemment consacré une exposition et continue de présenter ses réalisations. J’ai alors compris que sa conception du design va bien au-delà de l’esquisse. Tout dépend de ce que le matériau veut bien lui donner et de ce qu’il en fait pour ne pas en dénaturer les qualités intrinsèques. C’est cette façon de prendre et de recevoir qui inspire le projet. Et c’est assurément ce qui insuffle à l’œuvre cette fantastique puissance. Dans ces blocs de pierres, le temps n’existe plus. Ils semblent avoir toujours existé et ils existeront toujours. Cet amour profond de la nature est ce qui distingue Max Lamb et le préserve de tous les courants répertoriés, ce qui est plutôt rafraîchissant.»«La simplicité capable de communiquer»Pour un designer, créer un siège est certainement une contrainte familière, ne serait-ce que parce que c’est l’objet qui par excellence se réfère au corps humain dans sa quotidienneté. Max Lamb lui a consacré une longue étude exploratoire «Exercices in Seating»; il insiste sur la clarté de la relation entre formeet fonction. Qu’il s’agisse des tabourets Solid of Revolution en béton travaillé au tour ou de l’Iron Chair en feuille d’acier découpée au laser et pliée à la main, il travaille sur «la simplicité visuelle capable de communiquer». Ses objets sont conçus, dit-il, pour «stimuler l’interaction positive avec l’utilisateur». «C’est l’interaction qui donne son sens au produit. La longévité de cette relation dépend, ajoute-t-il, de l’engagement des gens et de leur compréhension de l’objet.» D’où la volontédu créateur d’expliquer ses recherches et la genèse de ses projets. «Cela tient évidemment à l’intégrité et à la qualité de l’objet». Face aux désordres de l’existence, à l’heure où le «slow design» a décidé de combattre les injures faites à la quiétude de la planète, l’espace ouvert par Max Lamb s’offre comme un répit, une plage de vie où l’esprit humain, une fois n’est pas coutume, n’est pas manipulé.