… En somme, Chères Cousines, le titre de «classiques» vous revient pleinement et nous ne comprenons guère pourquoi quelques bipèdes renâclent à l’admettre. Que ne comprennentils, sous leurs pauvres cheveux, qu’entre vous et une chaîne pendant du plafond sur un tas d’escarpins, qu’entre votre cour que surplombe le pouvoir et la cimaise cent fois repeinte d’une «galerie d’art contemporain», il n’y a pas en commun l’ombre d’une feuille d’acanthe ! Vous êtes aussi parisiennes que les tours de Notre-Dame ou les ailes de Chaillot, aussi essentielles. Séchez donc vos larmes que la rosée ne cache pas. Vous êtes comme nous, vous le montrez, de la solide et vaste famille des belles colonnes: nous imposons et frappons, nous dressons, soutenons, autorisons, et du vieux Panthéon au Panthéon votre voisin nous faisons la loi. Tout cela est peu dire appliqué à nos parentes de la saline de Ledoux ! (Nous les envions tant ici pour leur alternance si coquette, un parallélépipède puis un cylindre, sur un parallélépipède puis un cylindre… Elles sont les plus modernes de la famille. Nous aurions aimé être comme elles, entendons-nous: uniques. Mais vous l’êtes aussi, vous au Palais-Royal ! Rayées comme un faisceau ou comme peut rayer l’ombre – en creusant – , bicolores comme les berlingots ou le châle des vestales, vous n’avez poussé nulle part ailleurs et, comme pour les murs dans des vues d’Hubert Robert, on ne sait si vous naissez ou mourez, croissant, décroissant, si l’on vous bâtit ou vous fouille – tant tous les temps sont les vôtres ! Nous nous apercevons que nous n’avons point fermé cette parenthèse où vous nous lisez toujours, pardon et qu’importe. Que ne peuvent se permettre des colonnes ? N’allons-nous parfois jusqu’à porter le ciel ! De métope en triglyphe, ce propos nous fait songer (loyalement) à une heure de cet après-midi où un jeune blond, un néo-pâtre, lisait adossé à l’une de nous un livre de notre ami Valéry. Voici un paragraphe – nous l’avons retenu pour vous, Chères Cousines, vous y reconnaissant et dans la perspective de vous répondre – qui le retint et qu’il souligna en partie avec un crayon vert: «Vous ne savez donc pas qu’il faut donner aux idées les plus nouvelles je ne sais quel air d’êtrenobles, non hâtées, mais mûries; non insolites, mais existantes depuis des siècles; et non faites et trouvées de ce matin, mais seulement oubliées et retrouvées.» Ignorez la douairière provinciale que vous nous décrivîtes tantôt, celle qui a soufflé que vous aviez, sous vos fûts, fait disparaître une fontaine et quelques magnolias – nous nous sommes permis d’en parler à l’architrave, qui en rit encore – : le monde sait que ce jardin enchanteur est plus loin, n’ayant jamais bougé ou changé par votre naissance, et que la seule chose dont vous avez su priver les Parisiens est un «parc de stationnement». Qu’est déplorable l’influence des calomnies ! Fi ! Vous êtes belles, Mesdames, vous accueillez les jeux de balles, les chahuts, les dandinements des caniches blancs et les câlins, les rendez-vous du samedi. On vous effleure, on vous caresse. On vous traverse comme un paysage inoubliable bien que quotidien, et le soir vous pourriez faire, entre vos lumières alignées comme des gemmes (si nos informateurs sont fidèles), décoller quelque aéroplane ! Vous êtes les piédestaux parfaits des enfants qui tirent la langue et des adolescents qui s’embarrassent, ou aguichent. Vous vivez, Chères Amies ! Et celui qui vous conçut est – comme Serra ou Soulages – aussi grand que Phidias. Ne l’oubliez jamais.Portez-vous belles et bien. Adieu ! Colonnes du ParthénonPS: n’hésitez pas dans vos prochaines épîtres, Chères Cousines, à multiplier les détails concernant le stylite amoureux qui de nuit vous visite. Nous n’étions guère rassasiées pour cette fois…