Marcel Duchamp et l’érotisme

À une époque où l’on adore aborder une œuvre par son côté érotique, Marcel Duchamp n’est-il pas le sujet rêvé, lui qui jugeait l’érotisme déterminant pour son œuvre ?L’érotisme, pour Duchamp, consiste en cette tension qui fait découvrir l’autre tel qu’on ne l’avait jamais imaginé auparavant, chargé d’unefonction inavouée – sexuelle et éventuellement amoureuse. Avant tout, il est un processus qui vous fait découvrir différent de celui que vous étiez: attentif, inventif, stratégique, il dévoile en un mot l’être véritable. Il montre que la partie se joue toujours ailleurs, non pas dans ce qui paraît évident, mais bien au travers de l’intuition, de la réflexion, de l’acuité d’esprit; il révèle l’autre dans son inquiétante étrangeté (inquiétante familiarité ?). L’érotisme est cette confrontation-révélation: l’épreuve de la différence. Il est la preuve que ce que l’on tient pour acquis n’est jamais définitif; il invite à dépasser les idées reçues, il exige une attitude dynamique, une constante adaptation. On pourrait dire qu’il incarne la faculté de s’affranchir des limites imposées.«Échec et mat» dirait Duchamp passionné de jeu d’échecs, à celui dont la faculté d’étonnement ne s’exercerait plus, à celui qui se rendrait à l’évidence ou à l’interprétation convenue. L’image même du dépassement, de ce que doit être la vie, la capacité à s’émerveiller, c’est l’érotisme. Eros c’est la vie.À partir de là on entre déjà dans la compréhension de son œuvre: Marcel Duchamp veut transformer le spectateur (passif ) en regardeur capable de remettre en cause, de laisser s’épanouir un sourire intérieur. Car...

À une époque où l’on adore aborder une œuvre par son côté érotique, Marcel Duchamp n’est-il pas le sujet rêvé, lui qui jugeait l’érotisme déterminant pour son œuvre ?
L’érotisme, pour Duchamp, consiste en cette tension qui fait découvrir l’autre tel qu’on ne l’avait jamais imaginé auparavant, chargé d’unefonction inavouée – sexuelle et éventuellement amoureuse. Avant tout, il est un processus qui vous fait découvrir différent de celui que vous étiez: attentif, inventif, stratégique, il dévoile en un mot l’être véritable. Il montre que la partie se joue toujours ailleurs, non pas dans ce qui paraît évident, mais bien au travers de l’intuition, de la réflexion, de l’acuité d’esprit; il révèle l’autre dans son inquiétante étrangeté (inquiétante familiarité ?). L’érotisme est cette confrontation-révélation: l’épreuve de la différence. Il est la preuve que ce que l’on tient pour acquis n’est jamais définitif; il invite à dépasser les idées reçues, il exige une attitude dynamique, une constante adaptation. On pourrait dire qu’il incarne la faculté de s’affranchir des limites imposées.«Échec et mat» dirait Duchamp passionné de jeu d’échecs, à celui dont la faculté d’étonnement ne s’exercerait plus, à celui qui se rendrait à l’évidence ou à l’interprétation convenue. L’image même du dépassement, de ce que doit être la vie, la capacité à s’émerveiller, c’est l’érotisme. Eros c’est la vie.À partir de là on entre déjà dans la compréhension de son œuvre: Marcel Duchamp veut transformer le spectateur (passif ) en regardeur capable de remettre en cause, de laisser s’épanouir un sourire intérieur. Car l’œuvre d’art exige effort, réflexion, connaissances et expérience. Bien sûr, il y a le reste, ce qui résiste, ce qui échappe, pose problème, ce qu’on ne comprend parfois que trop tard !Le regardeur est celui qui considère l’objet familier dans une nouvelle fonctionnalité. Il s’agit de s’évader des codes de l’apparence physique ou du sexe, par un même élan de désobéissance. Il faut changer d’air. Duchamp change de pays, de langue, de culture, d’occupation, pour respirer…La langue, phénomène social, et la peinture sont du côté du mensonge: les mots véhiculent des préjugés, la peinture cherche à embellir tout ce qu’elle représente. L’érotisme serait cet instant jubilatoire et secret de coïncidence des contraires, ce déclic qu’on partage avec l’autre. Il convient de regarder les choses en face: une hélice est bien plus surprenante qu’une sculpture.La conception séculaire de l’art – la recherche du beau (dont il faut régulièrement remettre à jour les normes) est encore une limitation. Ainsi naît l’idée du ready-made qui échappe à l’aimable et à l’utile, mais attire l’attention sur cela même qui est sans qualité. On est au-delà du beau et du laid, comme on est au-delà du bien et du mal.Marc Décimo, l’auteur du livre que nous présentons ici, a eu l’excellente idée de tenter de faire varier les points de vue sur l’œuvre de Duchamp, pour en saisir tout le sel. Du coup il a fait appel à une vingtaine de collaborateurs qui ont, chacun à sa manière, raconté l’aventure duchampienne telle qu’ils ont cru la déceler: approche qui aurait plu à l’artiste car elle élimine le risque de tomber dans l’interprétation facile.Jean Suquet aborde la question délicate des relations entre homme et femme. Communiquent-ils vraiment ? Et comment ? Par la parole ? Par l’acte sexuel ? Toute relation ne naît-elle pas justement du fait qu’il paraît à jamais impossible de la représenter ? L’érotisme, pour le meilleur et pour le pire, est une pure affaire d’imagination.Patrick de Haas explique que l’on comprend souvent le plaisir comme la satisfaction d’un désir, l’apaisement d’une tension. Or, pour Marcel Duchamp, la stratégie consisterait justement à maintenir en éveil cette tension. Le plaisir n’ajoute rien, c’est une décoration très extérieure. Le plaisir subit les mêmes critiques que le goût (bon ou mauvais): c’est un accord trop facile, une attente trop convenue, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille y renoncer.

De même, en peinture, Marcel Duchamp refuse de faire de l’art un enjeu de vérité en se contentant de faire confiance à l’observation visuelle, être précis mais inexact afin que l’œil perde enfin son pouvoir de contrôle. L’optique est pour lui l’ouverture au jeu des possibles: Je veux saisir les choses par la pensée de la même façon que le pénis est saisi par le vagin. La prétention au contrôle de l’homme sur la femme n’a d’égale que celle de l’œil du peintre, s’imaginant posséder le réel par sa représentation…David Gerstner parle du débarquement de Marcel Duchamp à New York en 1915, moment où le cinéma déchaînait les passions. Il fut vite d’avis que le cinéma, comme la peinture, manque de distance par rapport à laréalité, lui qui défendait un art non-rétinien. Cette réflexion aboutit en définitive à la production du ready-made cinématique le plus provocateur de Marcel Duchamp: l’épanchement de l’homme américain: Rrose Sélavy…Séverine Gossart, sous l’intitulé «À chacun son Marcel», fait apparaître l’érotisme comme la raison d’être de toute action, artistique ou non. Il est envisagé comme une éthique qui régit la vie des hommes en société. Elle termine son texte et le livre par ces mots; «La réussite de l’œuvre de Duchamp réside peut-être dans le fait qu’elle suscite encore des débats qui inquiètent les préjugés et les évidences…». Nous étions bien prévenus: D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent (inscription apposée sur la tombe de Marcel Duchamp).

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