Max Beckmann

Si cet automne l’envie vous prend de vous évader quelques jours, voici une destination culturelle idéale: les Musées des Beaux-arts de Bâle et Leipzig ainsi que le Städelmuseum de Francfort vous offrent, jusqu’en janvier 2012, une occasion unique de découvrir en trois chapitres l’œuvre de l’artiste allemand Max Beckmann considéré aujourd’hui comme l’un des incontournables de la modernité. À Leipzig, la ville d’origine de Max Beckmann, c’est le portraitiste qui est mis en lumière, à Francfort en revanche – où l’artiste réside dès 1915 – se concentrent les productions des dernières années, américaines, et à Bâle se déploie un ensemble de soixante-dix paysages sur les cimaises du Kunstmuseum. Une thématique qui ponctue une carrière à laquelle il s’est consacré intensément en la renouvelant d’une façon exceptionnelle, comme presque aucun autre artiste du XXe siècle ne l’a fait. Beckmann, qui préférait vivre en ville, a peint entres autres choses plusieurs paysages urbains. Fruits discrets de son travail, ce sont eux néanmoins qui, avec les autoportraits, en disent le plus long sur la personne de l’artiste. Au sortir de la Première Guerre mondiale, il reste un temps à Francfort, et son éditeur, Reinhard Piper, raconte: «Nous allâmes nous promener au bord du Main. Il me montra un endroit appelé Nice, qui avait été aménagé avec de grands palmiers, des cactus, des philodendrons et, au beau milieu de tout cela, quelques sapins bien allemands. Depuis la route située en hauteur, nous regardions en dessous de nous, à travers de larges feuilles de palmier, les...

Si cet automne l’envie vous prend de vous évader quelques jours, voici une destination culturelle idéale: les Musées des Beaux-arts de Bâle et Leipzig ainsi que le Städelmuseum de Francfort vous offrent, jusqu’en janvier 2012, une occasion unique de découvrir en trois chapitres l’œuvre de l’artiste allemand Max Beckmann considéré aujourd’hui comme l’un des incontournables de la modernité.

À Leipzig, la ville d’origine de Max Beckmann, c’est le portraitiste qui est mis en lumière, à Francfort en revanche – où l’artiste réside dès 1915 – se concentrent les productions des dernières années, américaines, et à Bâle se déploie un ensemble de soixante-dix paysages sur les cimaises du Kunstmuseum. Une thématique qui ponctue une carrière à laquelle il s’est consacré intensément en la renouvelant d’une façon exceptionnelle, comme presque aucun autre artiste du XXe siècle ne l’a fait. Beckmann, qui préférait vivre en ville, a peint entres autres choses plusieurs paysages urbains. Fruits discrets de son travail, ce sont eux néanmoins qui, avec les autoportraits, en disent le plus long sur la personne de l’artiste. Au sortir de la Première Guerre mondiale, il reste un temps à Francfort, et son éditeur, Reinhard Piper, raconte: «Nous allâmes nous promener au bord du Main. Il me montra un endroit appelé Nice, qui avait été aménagé avec de grands palmiers, des cactus, des philodendrons et, au beau milieu de tout cela, quelques sapins bien allemands. Depuis la route située en hauteur, nous regardions en dessous de nous, à travers de larges feuilles de palmier, les citadins qui flânaient. “Je veux peindre ça aussi ! Est-ce que ce n’est pas fantastique ?”» Ainsi Nice à Francfort-sur-le-Main prend forme en 1921 dans un format vertical qui permet de souligner le contraste entre le parc fleurissant et la rangée d’immeubles plus haut. Le regard neuf que le peintre allemand porte sur le monde fait redécouvrir aux habitants de Francfort la dimension «fantastique» de leur environnement.

Né à Leipzig en 1884 et mort à New York dans sa 66e année, Max Beckmann traverse les grands bouleversements de l’histoire de la première moitié du XXe siècle. Sa participation à la Première Guerre mondiale, la montée du nazisme, l’occupation hitlérienne, l’effondrement de l’Europe, les dix ans d’exil en Hollande – où, dans la misère et l’anonymat, il peindra pour tenir le coup plus de 280 toiles, soit un tiers de sa production dont Paysage de mer avec agaves et château – et enfin l’émigration aux États-Unis à l’époque de la guerre froide, ont incontestablement marqué son œuvre. Sans tomber dans l’illustration ou dans l’anecdote, il s’attache au travers de ses peintures à exprimer chacun de ces drames avec force et densité. Pour beaucoup, nul mieux que lui n’a exprimé, par exemple, la crise sociale et morale de l’Allemagne des années 1920 ou dénoncé la monstruosité du nazisme. Son évolution artistique reflète sa compréhension de l’histoire vécue. C’est en effet moins la recherche de formes nouvelles qui l’a poussé à modifier, au fil du temps, sa conception de l’art, que sa perception très personnelle du monde, considérablement altérée par les événements subis de l’histoire.

Rétrospectivement, cela fait aujourd’hui de Beckmann le peintre d’histoire le plus important du XXe siècle. Lui-même ne se définissait pas à proprement parler de cette manière, mais il parlait tout de même de son devoir de peindre des «grandes actions dramatiques à contenu humain». Avec l’expérience de la Première Guerre mondiale, la brutalité du réel s’immisce violemment dans sa vie, le plongeant en 1915 dans une profonde dé pression physique et psychique. Cette guerre tient toutefois du «miracle» à ses yeux parce qu’en un temps record, il aura connu une somme d’expériences généralement échelonnées sur toute une vie. Partant, dès cette date, son langage pictural se modifie passablement. «La seule chose encore possible, c’est l’art et […] la peinture. Il n’y a que dans ce mélange de somnambulisme et de lucidité enragée que l’on peut encore vivre, si l’on ne veut pas devenir tout simplement aussi stupide qu’une bête, en ces temps où toutes les idées sont par terre»… Quatre ans plus tard, force est de constater que plus aucun lien n’existe avec ses œuvres antérieures. Il a véritablement inventé un nouveau langage plastique sur le front. Il y a accumulé des images et dessiné les horreurs côtoyées. Comme pour mieux tenir une sorte de distance, il choisit le dessin plutôt que la peinture, trop élaborée, trop peu spontanée: «Dessiner me protège de la mort et de la destruction.»

Pour rendre compte du monde dans lequel il vit, le peintre doit selon lui partir de la réalité éprouvée: «Eh bien, l’essentiel, en tout cas, c’est de vivre et de continuer aussi intensément que possible à transformer ce monde fantomatique en une réalité dans le tableau. C’est la seule vraie réalité qui existe ! – être plus réel que la vie est sans doute la chose la plus extrême qu’un homme puisse faire et c’est à ce charmant métier que je m’astreins tous les jours.» À ce titre, Max Beckmann refuse de manière catégorique la peinture purement narrative qui s’est pratiquée pendant des siècles. De même, sa position l’écarte des avant-gardes qui se tournent, entre autres choses, vers l’abstraction. Il maintient dans sa production des thèmes comme le paysage ou le portrait qui n’intéressent plus ou trop peu ses contemporains: «Une chose est récurrente en tout art. C’est la sensibilité artistique, liée au caractère figuratif et objectif des objets à représenter», expliquait-il à son compatriote Franz Marc, membre du Blaue Reiter (Le Cavalier bleu). De fait, Beckmann reprochait par exemple à Gauguin de s’être réfugié en Polynésie parce qu’il était «incapable de créer des archétypes issus de notre époque». La virulence des attaques à l’égard de ses contemporains est proportionnelle à son indéfectible engagement dans son temps. Pour lui, le tableau doit englober la réalité.

Son art s’exprime ainsi au travers de techniques et de thématiques classiques. Si sa peinture s’inscrit dans une longue tradition, son style personnel propose de nouvelles manières de voir et d’exprimer le monde: perspectives éclatées, rythme des formes désordonné, lignes qui s’entrechoquent ou déconstruisent les toiles chargées de couleurs choisies pour leur valeur expressive et cernées de traits noirs (Paysage d’hiver, 1930). Au croisement des influences impressionnistes, fauvistes, cubistes, futuristes ou constructivistes, Beckmann, qui n’adhérera jamais à aucun de ces mouvements, va se frayer sa propre voie et maintiendra ainsi une place singulière tout au long de son existence et aujourd’hui encore dans l’histoire de l’art moderne.

En 1927 – date à laquelle il réalise Le Port de Gênes, probable souvenir de son voyage dans l’Italie mussolinienne qui se lit tant dans l’influence de De Chirico que dans la couleur noire évocatrice de la situation politique en Italie – il définit les tâches de l’artiste au sein de l’État: «Son action est essentielle, car de lui seul peuvent émaner les lois pour une nouvelle culture. […] L’artiste […] est le véritable créateur du monde, qui n’existait pas avant lui. La nouvelle idée à laquelle l’artiste mais aussi l’humanité doivent travailler est la responsabilité de soi. […] Nous ne pouvons plus compter que sur nous-mêmes. […] L’art est le miroir de Dieu, qui est l’humanité.»Dix ans plus tard, à Munich, sous Hitler, l’exposition sur «L’Art dégénéré» désignait à la vindicte publique Beckmann et nombre d’artistes de son époque. Il apparaît heureusement aujourd’hui bien plutôt comme un père spirituel incontournable de l’art moderne, mais il est resté étonnamment sans descendance.

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