MICHELE ZAZA IMAGES DU DEDANS

Michele Zaza a toujours évoqué, liée à sa personne d’homme du Sud, une scène primitive. Dans sa maison de Molfetta où il se met en situation de voir à quoi ressemble le monde, il se passe des choses aussi simples qu’apparemment inintelligibles. Mais leur pertinence est toujours de montrer que «seul l’art peut substituer l’apparence à l’intériorité».Une femme aux épaules nues, sur fond de nuit de loin en loin constellée, cache de ses mains,l’une blanche et l’autre ocre rouge, croisées à plat sur sa bouche, son visage peint en bleu. L’image se répète, identique, de part et d’autre d’une nature morte d’objets qui se détache sur un même fond de nuit. Sur un oreiller vieux blanc, orné de broderies anciennes, où l’on devine le tracé bistre du diagramme symbolisant une maison, se dressent neuf spicules noirs; au pied de ce coussin, un réveil au cadran aveugle et un fragment demie de pain (identique à ceux qui constellent la nuit) reposent sur un cahier quadrillé ouvert à plat sur un lit d’ouate très blanche.Le triptyque, assez récent, s’intitule Paysage onirique. Sa simple description, sans l’enfermer dans une interprétation insuffisante et commode, certifie l’importance du langage métaphorique chez Michele Zaza, né en 1948 à Molfetta, près de Bari.L’inquiétante étrangeté de l’oreiller a partie liée avec la face muette, aux yeux sans doute clos ou essentiellement tournés vers l’intérieur. Si «le visage est la révélation de l’âme, le lieu où se concentrent et se visualisent les signes de la vérité, qui constituent le...

Michele Zaza a toujours évoqué, liée à sa personne d’homme du Sud, une scène primitive. Dans sa maison de Molfetta où il se met en situation de voir à quoi ressemble le monde, il se passe des choses aussi simples qu’apparemment inintelligibles. Mais leur pertinence est toujours de montrer que «seul l’art peut substituer l’apparence à l’intériorité».
Une femme aux épaules nues, sur fond de nuit de loin en loin constellée, cache de ses mains,l’une blanche et l’autre ocre rouge, croisées à plat sur sa bouche, son visage peint en bleu. L’image se répète, identique, de part et d’autre d’une nature morte d’objets qui se détache sur un même fond de nuit. Sur un oreiller vieux blanc, orné de broderies anciennes, où l’on devine le tracé bistre du diagramme symbolisant une maison, se dressent neuf spicules noirs; au pied de ce coussin, un réveil au cadran aveugle et un fragment demie de pain (identique à ceux qui constellent la nuit) reposent sur un cahier quadrillé ouvert à plat sur un lit d’ouate très blanche.Le triptyque, assez récent, s’intitule Paysage onirique. Sa simple description, sans l’enfermer dans une interprétation insuffisante et commode, certifie l’importance du langage métaphorique chez Michele Zaza, né en 1948 à Molfetta, près de Bari.L’inquiétante étrangeté de l’oreiller a partie liée avec la face muette, aux yeux sans doute clos ou essentiellement tournés vers l’intérieur. Si «le visage est la révélation de l’âme, le lieu où se concentrent et se visualisent les signes de la vérité, qui constituent le primat de l’identité, du fondement créateur», le bleu «est la couleur de la profondeur et de la spatialité» et il évoque pour l’artiste «l’idée du voyage et de l’immensité de l’univers». Mais ces mains – celles en d’autres circonstances de la prière, de la stupeur ou formées en porte-voix, celles aussi par lesquelles l’homme façonne le monde et se fabrique lui-même – orientent ici vers «l’espace du dedans», comme l’appelle Henri Michaux (1898-1984) – et pourquoi pas à l’hortus conclusus, au jardin personnel et secret des moines chartreux.

Le péril suggéré, voire la menace qu’indiquent les pointes acérées fichées sur le large oreiller (domestique, si l’on prend en compte le signe de la maison qu’on y lit), dialogue «à livre ouvert» – ou sans livre du tout car, à cette heure, que vaut encore l’autorité de la culture ? – avec la grosse horloge de table aux aiguilles scotomisées. «Le réveil, en fait, renvoie au problème du temps», précise l’artiste. «Le temps terrestre est de type linéaire, l’écoulement continuel de l’identique. Au contraire, le temps circulaire révèle la perpétuation de l’échange réciproquede la vie et de la mort dans quoi l’homme devient “l’image mobile de l’éternité immobile”. Dans mes œuvres, le réveil [est] obscurci pour indiquer la dissolution du temps linéaire» – et réintroduire du même coup la réalité écartée du sommeil de la mort.Le lit de coton hydrophile sur lequel le coussin repose, obstruant presque complètement l’horizon, prend d’habitude chez Michele Zaza «le sens de la légèreté, de l’ascensionalité». Ce «plancher», donc, est celui du ciel et non celui de la terre: «La ouate en est la métaphore.

Même ma mère entretenait un rapport constant avec la ouate, avec la nuée, avec le ciel, très bleu.» Or nous ne sommes pas seulement dans le paysage du rêve que désigne le titre, mais aussi dans la réalité de l’art dont le pouvoir d’imaginaire «permet d’établir avec la terre un rapport inversé.» Et le pain, au cœur de pages désormais vierges, alors qu’il définit ordinairement l’homme condamné à se nourrir, perd «sa valeur d’aliment pour devenir instrument créateur» – de constellations oniriques, par exemple.Ces trois images laissent bien sûr quelque chose en suspens. Car «ce n’est pas une fable», dirait l’artiste, «c’est une prise de conscience – avec la nécessité interne de la fable». En effet, nous plongeons tout à la fois dans le réel élémentaire et dans le mythe, au foyer du clair-obscur méditerranéen, à la faveur d’une entreprise substituant le récit au constat, l’existentiel au spéculatif.Figure aussi singulière que forte de la scène artistique européenne des années soixantedix, travaillant aux marges de l’art corporel et de la traduction conceptuelle, Michele Zaza y ajoute une dimension métaphysique. Il a exposé dans les capitales (Rome, Milan, Paris, New York, Moscou), a participé à la documenta de Kassel (1977, 1982), à la Biennale de Venise (1980). Puis un certain silence s’est fait autour de lui: comme la révolution, l’avantgarde dévore ses enfants. Aujourd’hui, on (re) découvre ce formidable «penseur d’images».

Depuis ses débuts, Michele Zaza recourt exclusivement à la photographie. Les acteurs de son discours furent ses parents, très simplement mis en scène, le visage souvent peint (associés à quelques accessoires à valence symbolique, tels que le pain, la ouate, l’horloge, l’assiette, l’ampoule électrique), puis plus tard sa femme, et plus récemment sa fille – et beaucoup luimême, bien entendu, mais «photographiant son corps comme il n’est pas», puisqu’à ses yeux, «le corps est quelque chose qui habite le monde sans être une chose dans le monde». De la sorte, Michele Zaza synthétise en une seule prise de vue, ou déroule en séquences multiples, des dispositifs qui construisent et restituent tout à la fois de façon très concrète (figurative) et dans une formulation à fort indice d’abstraction, une représentation fondamentale: celle de la condition humaine. Mais Michele Zaza ne cesse d’affirmer que c’est là son histoire des origines, inventée dans un esprit de révolte contre l’homologation universelle.Comme Pasolini, qui en avait déjà contre « l’homologation » (ce « rendu conforme » à on ne sait trop quelles attentes, prescriptions, idées, n’est-il pas une des modalités de la globalisation actuelle ?), Michele Zaza pense en effet que «dans un monde où tout est préarrangé, tout est préconstitué, tout est homologué, mettre en acte une action de transgression aussi désintéressée que bénéfique est une nécessité, un devoir qui sauve notre identité (…). La conformité, la globalisation passivement unificatrice endort les potentialités créatrices de l’homme, les rendant tous égaux et supprimant la diversité». La tâche de l’art n’est pas de produire du même, mais d’inventer du spécifique, afin d’articuler à nouveau les rapports entre l’homme, la terre, le ciel, la conscience. L’artiste nourrit pour l’homme un projet poétique et le soustrait à l’inaccompli d’une existence purement matérielle.



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