Mises en boîtes une histoire de forme

Ces premières montres, dont le Patek Philippe Museum de Genève possède une belle collection, furent souvent représentées en peinture. Objets de luxe et de science, elles valorisaient le personnage portraituré, qui l’arborait en pendentif, la tenait en main ou tout simplement la laissait visible, parmi d’autres objets, sur le guéridon ou la table de travail devant laquelle il se tenait. En tant qu’objetsymbolisant le temps, elles furent aussi parfois intégrées par les peintres dans ces natures mortes appelées vanités, qui visaient à rappeler aux humains la brièveté de l’existence et la futilité des choses terrestres.Les toutes premières montres dont nous conservons des exemplaires, produites aux alentours de 1530 en Allemagne du Sud, en France et dans le nord de l’Italie voyaient leur mouvement en fer – les horlogers français utilisaient également le laiton – enchâssés dans des boîtes de forme cylindrique, d’où leur nom de «tambour». Dépourvues de verre protecteur, comportant une seule aiguille et précises à la demi-heure près, elles présentaient souvent, dans l’intérieur de leur couvercle, un cadran solaire qui permettait la mise ou la remise à l’heure. D’autres boîtiers de montre avaient une forme sphérique, et étaient parfois portées à la ceinture, notamment chez les femmes, en association avec d’autres ustensiles précieux que l’on avait coutume d’y accrocher, tels que les porte-parfums. Si l’on en croit leur nom, les légendaires «Nürnberger Eier», produits par l’Allemand Peter Henlein entre 1509 et 1518 et attestés seulement par des archives, devaient avoir cette forme.On possède de nombreux portraits de l’époque...

Ces premières montres, dont le Patek Philippe Museum de Genève possède une belle collection, furent souvent représentées en peinture. Objets de luxe et de science, elles valorisaient le personnage portraituré, qui l’arborait en pendentif, la tenait en main ou tout simplement la laissait visible, parmi d’autres objets, sur le guéridon ou la table de travail devant laquelle il se tenait. En tant qu’objetsymbolisant le temps, elles furent aussi parfois intégrées par les peintres dans ces natures mortes appelées vanités, qui visaient à rappeler aux humains la brièveté de l’existence et la futilité des choses terrestres.Les toutes premières montres dont nous conservons des exemplaires, produites aux alentours de 1530 en Allemagne du Sud, en France et dans le nord de l’Italie voyaient leur mouvement en fer – les horlogers français utilisaient également le laiton – enchâssés dans des boîtes de forme cylindrique, d’où leur nom de «tambour». Dépourvues de verre protecteur, comportant une seule aiguille et précises à la demi-heure près, elles présentaient souvent, dans l’intérieur de leur couvercle, un cadran solaire qui permettait la mise ou la remise à l’heure. D’autres boîtiers de montre avaient une forme sphérique, et étaient parfois portées à la ceinture, notamment chez les femmes, en association avec d’autres ustensiles précieux que l’on avait coutume d’y accrocher, tels que les porte-parfums. Si l’on en croit leur nom, les légendaires «Nürnberger Eier», produits par l’Allemand Peter Henlein entre 1509 et 1518 et attestés seulement par des archives, devaient avoir cette forme.On possède de nombreux portraits de l’époque où sont apparues les montres; de fait, l’étymologie même désigne l’objet comme étant «ce que l’on montre». Lorsqu’en 1532 il commanda à Holbein son portrait, à l’occasion de ses fiançailles, Georg Gisze, jeune marchand de Dantzig installé au comptoir hanséate de Londres choisit de poser au milieu d’objets qui évoquaient à la fois son aisance, ses valeurs et le vif sentiment que partageaient tous les membres de la bourgeoisie marchande, d’être l’incarnation de la modernité. Parmi ces objets, une petite montre «tambour» figure au premier plan. Le même type de montre est encore représenté quelques décennies plus tard, dans un portrait du roi de France Henri II, conservé au Musée Condé de Chantilly.

Progressivement, les boîtes de montres prirent des formes octogonales ou ovales, puis, dans la première moitié du XVIIe siècle, une forme ronde et bombée, appelée «bassine», tout particulièrement propice au décor et à l’ornementation.Issues des ferronniers et serruriers, les corporations d’horlogers allaient en effet rapidement s’adjoindre les talents des orfèvres pour satisfaire une clientèle raffinée. C’est ainsi qu’apparurent des montres de fantaisie, dont nous avons évoqué plus haut les formes variées. Si l’on en juge par certains portraits bien antérieurs, tels celui de Theobald vonErlach conservé à Berne, ou celui de Sir Brian Tuke, ces boîtiers reproduisaient en version horlogère des bijoux déjà familiers des élites. La croix portée en sautoir par Tuke signifiait la haute position sociale de ce personnage, qui servit le roi d’Angleterre Henri VIII comme Maître des Postes, puis comme trésorier et secrétaire de la Maison Royale. Les montres reprenant la forme de croix latine, souvent réalisées en cristal de roche avec des montures en laiton doré, en argent ou en or – ces dernières très rares aujourd’hui – furent assez nombreuses, produites en Allemagne du Sud, en France, mais aussi à Genève, malgré les ordonnances somptuaires de 1558.

On peut observer dans les collections du Patek Philippe Museum une autre montre cruciforme, unique quant à elle, reprenant la croix de l’Ordre du Saint Esprit. Cette montre en argent et laiton, datée de 1635, fut probablement commandée à l’horloger nivernais Abraham Cusin par un grand personnage récemment entré dans cet «ordre et milice du benoît Saint-Esprit», fondé le 31 décembre 1578 par Henri III de France. On peut supposer qu’il s’agit de l’un des quarante-sept nouveaux promus de l’importante cérémonie de 1633, qui vit l’intronisation du cardinal de Richelieu. De fait, il est possible que des objets comparables aient été fabriqués en plus grand nombre que ceux qui subsistent aujourd’hui; les difficultés monétaires de la fin du règne de Louis XIV causèrent peut-être la perte de beaucoup d’entre eux, à qui échut le destin du fabuleux mobilier en argent de Versailles, envoyé à la fonte en 1689 pour payer les guerres du Roi-Soleil.Également présente dans les collections, la montre en forme de crânehumain dérive elle aussi probablement de bijoux préexistants, comme celui que tient dans sa main Theobald von Erlach. Le memento mori, littéralement «souviens-toi que tu vas mourir», est en effet une tradition récurrente dans la sagesse occidentale, qu’elle soit gréco-romaine – épicurisme, stoïcisme – ou bien judéo-chrétienne – le célèbre Vanitas vanitatum et omnia vanitas de l’Ecclésiaste. Avec son petit cœur de métal battant inlassablement la mesure du temps, la montre était destinée, par sa forme, à rappeler à son porteur la finitude des choses.


Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed