Bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie à Paris, «nabi étranger» parmi les nabis français Sérusier,Bonnard, Vuillard et Maurice Denis, Félix Vallotton (1865-1925) n’en est pas moins chez lui en Suisse. C’est ici qu’il a rencontré ses premiers collectionneurs et ses défenseurs les plus fervents. Dès avant la Première Guerre, Arthur et Hedy Hahnloser-Bühler font entrer dans leur collection la Baigneuse de face (1907), suivi de Soir antique (1904), Tas de sable blanc, Les Chalands, bords de Seine (de la fameuse série des Bords de Seine, 1901). Ils encouragent également parents et amis à acheter des tableaux du peintre. C’est ainsi que le frère d’Arthur Hahnloser achète Le Pont-Neuf (offert plus tard au «Kunstmuseum» de Winterthur) et qu’un cousin de Hedy Hahnloser, Hans Schuler, fait l’acquisition de La Fumée et de Pêcheurs à la ligne. Membre de la commission d’achat de la «Zürcher Kunstgesellschaft», Hans Schuler fait également entrer, dès 1910, plusieurs toiles dans les collections du «Kunsthaus».La villa Flora, à Winterthur, et le «Kunsthaus» de Zurich, ont ainsi réuni, du vivant du peintre, deux des plus importants ensembles de toiles de Vallotton et n’ont cessé de les mettre en valeur à travers de nombreuses expositions. C’est encore le cas en ce moment: la Villa Flora propose, depuis le 6 octobre 2007 et jusqu’au 28 septembre 2008, une histoire de la collection Hahnloser à travers l’amitié qui lia les collectionneurs au peintre depuis l’achat courageux de la Baigneuse, jusqu’à celui du tableau provocateur La Blanche et la Noire. Tous les aspects de l’œuvre de Vallotton sont représentés: intérieurs, natures mortes, paysages, portraits, nus, scènes mythologiques, vues de Paris. Une somptueuse rétrospective accompagnée d’un très beau catalogue avec des textes d’Angelika AffentrangerKirchrath, Margrit Hahnloser-Ingold et Ursula Perucchini-Petri. Et un hommage au goût d’Arthur et de Hedy Hahnloser qui ont suchoisir, dans chacun des genres, quelques-unes des toiles qui comptent parmi les meilleures.Le propos de l’exposition du «Kunsthaus», Félix Vallotton. Idylle au bord du gouffre, qui intervient presque cent ans après la toute première exposition zurichoise consacrée au peintre, est radicalement différent. À travers un choix thématique de quatre-vingt-dix œuvres, essentiellement du fonds du «Kunsthaus» et de collections suisses, l’accent est mis sur ce que les tableaux de Vallotton ont de plus contemporain. Ainsi, certains intérieurs semblent annoncer ceux de Hopper et on jurerait que Magritte a vu Trois femmes et une petite fille jouant dans l’eau. La précision presque photographique des natures mortes semble proche du Nouveau Réalisme et l’onirisme des paysages retenus n’est pas sans faire penser à la Pittura Metafisica. Quant aux nus, qui avaient déjà choqué les visiteurs des toutes premières expositions Vallotton en Suisse, ils sont rendus encore plus impudiques par les fonds gris ou mauves sur lesquels ils se détachent.Vallotton revisité à travers le prisme des avant-gardes successives, pourquoi pas ? Ce parti pris ouvertement affiché permet de mettre en avant à la fois l’ironie du peintre, le regard impitoyable qu’il pose sur la comédie humaine et son inquiétude, voire son angoisse, devant les forces obscures qui régissent nos comportements.Christoph Becker et Linda Schädler, qui signent également le catalogue (disponible en français, en anglais et en allemand), ont réussi à mettre en avant la richesse et l’ambiguïté de tableaux que l’on croyait connaître et qui apparaissent ainsi dans une lumière neuve. Et c’est tant mieux, car ce ne sont pas les expositions Vallotton qui ont manqué ces dix dernières années. Il faut dire que le travail des commissaires est grandement facilité désormais, par l’excellent catalogue de l’œuvre peint, établi par Marina Ducrey en collaboration avec Katia Poletti (Lausanne, 2005, 3 volumes).