NARCISSE REVISITÉ

C’est Ovide, au livre III des Métamorphoses, qui raconte en détail l’histoire de Narcisse, le bel adolescent, tombé amoureux à en mourir de sa propre image, reflétée dans l’eau d’une fontaine. Depuis lors, écrivains et artistes se sont relayés pour propager jusqu’à nous ce mythe troublant, revivifié par la psychanalyse. Malgré sa célébrité, le mythe de Narcisse est enveloppé d’obscurité. Quand est-il néet où ? Aborder le problème revient à buter d’abord sur une constatation étonnante : Narcisse se trouve absent de toute la littérature grecque ancienne. En outre, dans l’art gréco-romain, il ne fait son apparition que sous le règne d’Auguste, autrement dit à l’époque d’Ovide. D’où l’idée qui s’est imposée chez certains spécialistes que le poète latin serait le créateur de l’histoire de Narcisse. Mais c’est oublier que Pausanias, dans sa Description de la Grèce (vers 150 ap. J.-C.), qualifie le mythe en question de «bien connu», ce qui suppose, quand on sait le goût d’antiquaire du voyageur érudit, une grande ancienneté (d’ailleurs, son ignorance de la langue latine exclut la référence à Ovide). Le même Ovide rattache le mythe de Narcisseau cycle thébain, faisant ainsi de la Béotie la patrie de Narcisse. Et c’est Pausanias, invoqué plus haut, qui précise l’endroit: la ville de Thespies, au pied de l’Hélicon, résidence des Muses. Ce double témoignage fait autorité auprès de la critique moderne. Or, une note de Strabon ébranle cette certitude. En effet, à propos du tombeau de Narcisse, qu’il situe à proximité d’Oropos, sur la côte faisant...

C’est Ovide, au livre III des Métamorphoses, qui raconte en détail l’histoire de Narcisse, le bel adolescent, tombé amoureux à en mourir de sa propre image, reflétée dans l’eau d’une fontaine. Depuis lors, écrivains et artistes se sont relayés pour propager jusqu’à nous ce mythe troublant, revivifié par la psychanalyse.

Malgré sa célébrité, le mythe de Narcisse est enveloppé d’obscurité. Quand est-il néet où ? Aborder le problème revient à buter d’abord sur une constatation étonnante : Narcisse se trouve absent de toute la littérature grecque ancienne. En outre, dans l’art gréco-romain, il ne fait son apparition que sous le règne d’Auguste, autrement dit à l’époque d’Ovide. D’où l’idée qui s’est imposée chez certains spécialistes que le poète latin serait le créateur de l’histoire de Narcisse. Mais c’est oublier que Pausanias, dans sa Description de la Grèce (vers 150 ap. J.-C.), qualifie le mythe en question de «bien connu», ce qui suppose, quand on sait le goût d’antiquaire du voyageur érudit, une grande ancienneté (d’ailleurs, son ignorance de la langue latine exclut la référence à Ovide). Le même Ovide rattache le mythe de Narcisse
au cycle thébain, faisant ainsi de la Béotie la patrie de Narcisse. Et c’est Pausanias, invoqué plus haut, qui précise l’endroit: la ville de Thespies, au pied de l’Hélicon, résidence des Muses. Ce double témoignage fait autorité auprès de la critique moderne. Or, une note de Strabon ébranle cette certitude. En effet, à propos du tombeau de Narcisse, qu’il situe à proximité d’Oropos, sur la côte faisant face à l’Eubée, le géographe désigne le héros comme étant «érétrien», c’est-à-dire ressortissant d’Érétrie, l’une des deux cités principales de l’île.

L’information fournie par Strabon a trouvé une confirmation éclatante dans la découverte à Érétrie, en 1973, d’une inscription en grec, où se lit clairement narkitt (is), composé à partir de Narkittos, forme locale du nom propre Narkissos = Narcisse. Dans ce document, l’adjectif qualifie une des six tribus d’Érétrie, celle qui s’est rangée sous l’invocation de Narcisse, forcément choisi parmi les héros majeurs de la cité et de son territoire. C’est donc en terre érétrienne qu’il faut désormais rechercher le lieu d’origine de Narcisse. Et la solution se trouve dans un commentaire des Bucoliques de Virgile, où il est question de
la fleur qui porte le nom du jeune homme. En effet, l’auteur, le Pseudo-Probus (IIIe ou IVe siècle), présente celui-ci comme «fils d’Amarynthos», héros éponyme d’un bourg, situé à 11 km d’Érétrie. Le bourg d’Amarynthos devait sa célébrité à son temple, dédié à Artémis. La déesse chasseresse y était honorée comme «kourotrophe», c’est-à-dire nourricière et éducatrice. Et, à ce titre, elle patronnait l’éphébie. Par ce mot, on entend le système de formation au terme duquel le jeune garçon (kouros) devenait pleinement citoyen. Ce rite de passage étant symbolisé par le sacrifice de la chevelure (koureion), que le garçon de 16 ans offrait aux nymphes, les Amarynthiades, compagnes d’Artémis.La grande fête d’intronisation des éphèbes sous l’égide d’Artémis, les Artémisia, qu’on célébrait chaque printemps, s’ouvrait par un défilé militaire, empruntant la voie sacrée reliant Érétrie à Amarynthos. Il ne comportait pas moins de 6 000 hoplites, précédés par 600 cavaliers et suivis par 60 chars de guerre.Inutile de poursuivre la démonstration: la patrie de Narcisse est bien Érétrie et sa région. Alors pourquoi Ovide a-t-il localisé le mythe en Béotie ? Cette tradition, attestée peu avant lui, s’explique par le fait qu’Eros, personnification de l’amour et divinité tutélaire de Thespies, présente beaucoup d’analogies avec Narcisse: même âge tendre, même don fatal pour inspirer la passion.

Néanmoins, le véritable homologue de Narcisse n’est pas Eros, mais Hyacinthe, qui a donné naissance lui aussi à une fleur. Honoré à Amyclées, près de Sparte, Hyacinthe était à l’origine, comme des études récentes l’ont montré, une puissante divinité de la nature, connue déjà à l’époque préhellénique. Tout porte à croire qu’il en allait de même pour Narcisse.Cette identité retrouvée invite à reconsidérer complètement la personnalité de Narcisse. Plutôt falot de prime abord, le héros eubéen se révèle d’une stature imposante, au point de faire oublier la version enjolivée d’Ovide.

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