Une exposition consacrée aux années de formation du «poète de la géométrie» nous permet de mieux connaître cet artiste-phare de l’art contemporain espagnol.
Déjà couvert d’honneurs, PabloPalazuelo (Madrid, 1915 – Galapagar, 2007) reçoit en 2004le Prix Velázquez, la plus haute distinction espagnole pour les arts plastiques. Il succède à Antoni Tàpies et précède Antonio López ou Luis Gordillo, autres géants de la peinture espagnole contemporaine. Palazuelo … un géant ? Sans nul doute en Espagne où son style force toujours l’adoration des collectionneurs, et où les prix de ses toiles affichent facilement cinq zéros. Le cadeau de la Région de Madrid au mariage de Felipe et Letizia ? Un Palazuelo.Cependant, il est pratiquement inconnu outrePyrénées. Ses œuvres, tôt vampirisées par les aficionados, n’ont-elles laissé que peu de té- moignages dans les collections publiques ? Sur les 350 œuvres de la dernière rétrospective de Barcelone et Bilbao, en 2005, seules 35 venaient de grands musées. Le style Palazuelo, si attaché aux formes géométriques, n’aurait-il que peu répondu aux canons encensés habituellement par la critique d’art ? Ses déclinaisons polymorphes ne sont en effet ni de l’Op Art, ni de l’art cinétique, ni la pureté de ses traits un credo minimaliste. Sous l’apparente simplicité des formes, son extraordinaire complexité le rend inclassable et invite de manière instante à la méditation, un repoussoir facile pour le grand public à l’œil trop habitué aux lectures immédiates.
Pourtant, s’y adonner, c’est ressentir une vive fascination pour ces réseaux ondulants ou hérissés qui décrivent à l’infini des formes sans cesse renouvelées, entourant des aplats de couleurs lisses ou totalement noirs. C’est aussi éprouver l’hypnose du vide métaphysique qu’elles génèrent, et de l’espace hors-cadre que suggère un motif qui, circonscrit ici, semble n’être que l’indice d’un réseau mental sans fin. Contempler une création de l’artiste – de là l’angoisse que beaucoup craignent d’éprouver –, c’est en effet se pencher dangereusement sur un infini dont les structures de Palazuelo seraient les supports. On imagine, dans tel coin de l’univers, ces titanesques installationspareilles à de légers filets oblongs courant sur un joyeux continuum vert chou, et dans tel autre secteur, à des milliards d’années-lumière, de raides structures noires dressées en quinconces qui échafaudent le vide sur un inquiétant magma rougeâtre en fusion… Une découverte constante de figures géométriques, une obsession continue et cohérente, qui le conduisent à explorer régulièrement de nouvelles variations, tel un spationaute parvenant tous les quatre ou cinq ans dans une nouvelle région de l’univers, et qui en décrirait les supports toujours différents. Il le dit lui-même: «La géométrie est le langage de la compréhension du monde».Ses influences ? De furtives études d’architecture menées à Oxford dans les années 1930, tôt abandonnées au profit de la peinture, vite abstraite. On décèle l’empreinte de Kandinsky, de Paul Klee, ou des constructivistes russes comme Gabo et Pevsner. Passant du cubisme à l’abstraction géométrique, son inspiration plongera aussi ses racines dans l’occultisme, la pensée scientifique ou la spiritualité orientaliste, nous offrant sa propre vision de l’univers dans de véritables mandalas postmodernes; il souscrit à l’idée que «la géométrie a toujours influé sur l´Art depuis les peintures préhistoriques jusqu´aux avant-gardes. Cette recherche a toujours existé de manière intuitive». Moment décisif, une bourse de l’Institut Français lui permet, en 1948, de continuer ses études à Paris où il vivra rue Saint-Jacques pendant presque 20 ans, y côtoyant l’intelligentsia artistique du moment. En 1955, c’est la première exposition à la galerie Maeght, avec laquelle il entame une fructueuse collaboration jusque dans les années 1980, aux côtés de tant d’autres artistes, dont Joan Miró. Paris, c’est aussi la rencontre d’Elsworth Kelly et surtout Chillida, qu’il initie à l’art abstrait et qu’il présente à la Galerie Maeght.
Rentré en Espagne en 1968, fort d’une grammaire stylistique très personnelle, Palazuelo s’isole dans un château d’Estrémadure, à partir de 1974, forgeant une œuvre d’une cohérenceinouïe entre peinture, dessin, gravure et sculpture. Il scelle aussi son éloignement des médias et du grand public, à l’opposé d’un Dali accaparant par ses happenings multidisciplinaires le papier couché et les écrans de télévision.L’exposition «13 rue Saint Jacques.1948-1968» voyagera de la Fondation March de Palma de Majorque au Musée d’Art Abstrait de Cuenca, et à la Fondation Oteiza, en Navarre. Autant de raisons de découvrir ces hauts lieux de l’art contemporain espagnol, C’est surtout une chance à saisir pour mieux connaître Palazuelo – l’exposition compte une centaine d’œuvres – tant les collectionneurs privés « pleurent quand les œuvres sortent de chez eux», au dire du neveu du peintre, chargé de la Fondation Palazuelo. Son oncle, dit-il, travaillait indépendamment des modes; il était «très expansif, mais peu sociable. Il ne faisait pas d’efforts pour son autopromotion. Tout simplement, cela ne l’intéressait pas». Heureusement, son intemporalité fascine toujours. À côté de ses dessins qui rappellent des circuits électroniques ou de fabuleuses constructions utopiques, les designs graphiques ou les architectures les plus futuristes, de Frank Gehry à Zaha Hadid, paraissent soudain démodés.