Peter Zumthor architecte des sens

Entouré d’une poignée de collaborateurs, travaillant en marge des fastes de l’architecture-spectacle, il a reçu en mai dernier le Prix Pritzker.Jay A. Pritzker, magnat de la chaîne hôtelière Hyatt, fonde en 1979 un prix à son nom, considéré aujourd’hui comme le Nobel de l’architecture, en partie pourpallier l’absence de récompense de niveau international dans cette discipline. Chicago, la ville natale de Pritzker, est le ferment évident de l’idée initiale. Celle qui a vu naître les gratteciel, est devenue le siège incontestable de l’expérimentation architecturale mondiale, de la main de Louis Sullivan, Franck Lloyd Wright ou Mies van der Rohe, jusqu’à la Chicago Spire de Santiago Calatrava, titanesque dent de narval plantée au bord du lac Michigan, en passe de devenir l’icône absolue du skyline de la Ville du Vent. Les architectes récemment récompensés illustrent bien aussi cette démesure: Zaha Hadid, Thom Mayne, Paulo Mendes, Richard Rogers ou Jean Nouvel.C’est néanmoins une personnalité moins connue des critiques en quête de gigantisme que le jury 2009 a désignée en mai dernier à Buenos-Aires. Peter Zumthor (Bâle, 1943), loin du monde des stars, incarne la figure de l’architecte artisan, fortement déterminé, mais à la parole rare. Dans son petit atelier de Haldenstein, créé en 1979, Zumthor se protège des médias, refuse de construire des centres commerciaux ou des édifices trop chers dans lesquels il ne se reconnaît pas pleinement, et travaille surtout chez lui, en Suisse. Son équipe d’une quinzaine de collaborateurs,avec qui il récolte depuis longtemps les plus grands prix (Carlsberg, Mies...

Entouré d’une poignée de collaborateurs, travaillant en marge des fastes de l’architecture-spectacle, il a reçu en mai dernier le Prix Pritzker.
Jay A. Pritzker, magnat de la chaîne hôtelière Hyatt, fonde en 1979 un prix à son nom, considéré aujourd’hui comme le Nobel de l’architecture, en partie pourpallier l’absence de récompense de niveau international dans cette discipline. Chicago, la ville natale de Pritzker, est le ferment évident de l’idée initiale. Celle qui a vu naître les gratteciel, est devenue le siège incontestable de l’expérimentation architecturale mondiale, de la main de Louis Sullivan, Franck Lloyd Wright ou Mies van der Rohe, jusqu’à la Chicago Spire de Santiago Calatrava, titanesque dent de narval plantée au bord du lac Michigan, en passe de devenir l’icône absolue du skyline de la Ville du Vent. Les architectes récemment récompensés illustrent bien aussi cette démesure: Zaha Hadid, Thom Mayne, Paulo Mendes, Richard Rogers ou Jean Nouvel.C’est néanmoins une personnalité moins connue des critiques en quête de gigantisme que le jury 2009 a désignée en mai dernier à Buenos-Aires. Peter Zumthor (Bâle, 1943), loin du monde des stars, incarne la figure de l’architecte artisan, fortement déterminé, mais à la parole rare. Dans son petit atelier de Haldenstein, créé en 1979, Zumthor se protège des médias, refuse de construire des centres commerciaux ou des édifices trop chers dans lesquels il ne se reconnaît pas pleinement, et travaille surtout chez lui, en Suisse. Son équipe d’une quinzaine de collaborateurs,avec qui il récolte depuis longtemps les plus grands prix (Carlsberg, Mies van der Rohe…), l’érige volontiers en héros gaulois face aux légions d’architectes qui peuplent par centaines «l’empire» des grands cabinets d’architecture d’aujourd’hui.Dans les réalisations de Peter Zumthor on perçoit immédiatement le soin extrême porté à l’insertion des volumes dans leur environnement naturel et à l’utilisation raffinée de matériaux traditionnels (pierre, bois, verre). Une architecture respectueuse des matériaux, à la fois calme et puissante, volontairement très efficace sur nos sens, la vue, le toucher ou l’odorat. On est donc peu surpris d’apprendre que Zumthor est le fils d’un ébéniste, lui-même apprenti ébéniste, de 18 à 22 ans, avant d’entreprendre des études d’architecture d’intérieure à la Schule für Gestaltung de Bâle, puis des études d’architecture, au Pratt Institute de New York. Très significatives aussi, les années qu’il passe auprès des Monuments Historiques du Canton des Grisons, à étudier l’urbanisme des plus beaux villages de la région. Cette expérience achève de conférer à Peter Zumthor une profonde connaissance de la construction classique et des propriétés des matériaux. Il l’imprime aujourd’hui avec finesse dans chacun des éléments de construction de ses édifices, qui présentent tous une extraordinaire dimension atemporelle.

Les images de son œuvre maîtresse, les Thermes de Vals en Suisse (1996), ont fait le tour du globe. Le long bâtiment horizontal est tapissé de 60 000 dalles de quartzite gris clair, extraites d’une carrière voisine. Flottant sur le dos d’une colline, percé de larges ouvertures qui orchestrent à l’intérieur un jeu constant d’ombre et de lumière, l’édifice abrite des bains renouant avec la tradition romaine. Au contact de l’eau minérale surgissant de terre à 30°, la pierre acquiert une invraisemblable luminescence vert absinthe, digne des plus fraîches rivières de montagne; elle a valu à ces bassins le titre de plus belles piscines du monde. Deux jours après son ouverture, le bâtiment a été classé et protégé officiellement.À une plus petite échelle, on est fasciné aussi par la Chapelle des Champs de Saint Nicolas, près de Cologne, commandée par un exploitant agricole et sa femme, qui ont contribué en grande partie avec leurs amis à la construction du bâtiment en 2006. Ce haut fût de béton rectangulaire a été coulé peu à peu sur un grand tipi de troncs d’arbres resserrés. Ces derniers, soumis pendant des semaines à une lente combustion, ont été retirés une fois complètement desséchés, découvrant des parois cannelées et carbonisées, terminées par un petit oculus en forme de larme. Un intérieur apparemment très dépouillé, mais où se bousculent les évocations: matrice primitive, membrane ondulante et brûlée par le feu divin qui prépare le pain sacré… Une fugue dont les voix mêlent les thèmes antithétiques de la virginité, de la fertilité, de la lumière et des ténèbres, et de la purification des péchés. À l’extérieur, on hésite entre un cristal géant surgi de terre comme une vérité infaillible ou un vaisseau extra-terrestre délicatement posé sur un champ de pâquerettes…Le dialogue avec le site se retrouve dans le réaménagement d’une station de téléphérique posée sur les cimes rocheuses de Graubünden. De grandes cloisons de blocs de pierres, cachant l’ossature de la machine, sont posées les unes contre les autres comme un jeu de cartes. Leur aspect frôle le Land Art et évoque un futuriste laboratoire scientifique à l’abri de l’espionnage international, digne des meilleures vignettes de Black et Mortimer. Autre dialogue avec l’environnement, celui du Musée Kolumba de Cologne: une vaste tente cubique de briques claires est posée sur les ruines d’une église gothique détruite pendant la Seconde Guerre Mondiale et inclut délicatement dans certaines parois les restes d’un autre édifice religieux plus récent.

Un style minimaliste, extrêmement réfléchi, dont les proportions et les matériaux font bien sûr penser aux maîtres actuels de l’architecture japonaise, Tadao Ondo, Kengo Kuma ou Toyo Ito. De même, le soin extrême employé par Zumthor, à faire jouer dans les volumes intérieurs, les parties lumineuses et sombres, nous fait encore songer à L’éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki. On saisit aisément les raisons qui ont poussé la Japan Arts Association à attribuer son Praemium Imperiale, l’an passé, à Peter Zumthor.La personne de l’architecte bâlois prolonge en quelque sorte son style : visage d’ascète aux cheveux gris et courts, yeux bleu glacier, courte barbe proprement taillée. Il s’habilleen bleu de chine ou anthracite, de tee-shirts gris à manches longues sous de longues vestes boutonnées jusqu’au col; une simplicité zen apparemment toute tournée vers la réflexion. Dans son livre Penser l’architecture, il expose ainsi sa philosophie: «L’architecture n’est pas un véhicule ou un symbole pour les choses qui ne correspondent pas à son essence. Dans une société qui glorifie ce qui n’est pas essentiel, l’architecture peut offrir une résistance et contrecarrer le gâchis des formes et des signifiants, et manifester son propre langage».Minimalisme oriental certes, mais si Bach vivait aujourd’hui en Suisse, gageons qu’il choisirait les édifices de Zumthor pour la première de ses Cantates. Comme chez le Cantor de Leipzig, c’est la sensation de la matière première qui se dégage de ses bâtiments, comme une source intarissable d’inspiration et de variations. Dans les deux cas, les mêmes qualificatifs se retrouvent: solidité, apparente simplicité et profonde maîtrise des rythmes et des proportions, développement de motifs complexes… Qu’il s’agisse de phrases musicales ou de séquences architecturales aux proportions contrastées – sortes de préludes et fugues en pierre et bois – les volumes tracent à première vue des chemins évidents mais se déploient en d’inattendues modulations. La lecture finale renoue pourtant toujours avec la cohérence et le sens initial de l’exposé des motifs individuels.Une architecture, où, comme dans la musique de Bach, rien n’est énoncé à la légère: «Si je fais une construction dans la montagne pour une personne riche, pour lui il s’agit simplement de cela, un refuge en montagne, mais pour moi ce sera trois ans de ma vie. C’est pour cela que je dois doit faire attention».

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed