PLUS OBSCUR QUE CLAIR

Il en est temps encore: jusqu’au 14 octobre. La plus belle exposition de tableaux de toute l’année, de beaucoup d’années peut-être… Neuf Caravage, sept Georges de La Tour… Quelque quatre-vingt toiles dont pas une seule croûte… Et cela dans un musée dit «de province», mais qui en remontrerait à ceux de mainte capitale. À Montpellier, oui, où, sous la direction de Michel Hilaire, sont réunis au musée Fabre autour du maître ce qu’il est convenu d’appeler des «caravagesques» italiens, français, espagnols. Qualificatif qui n’a pas beaucoup de sens. Chacun de ces peintres est unique; il porte son monde à lui: Nicolas Régnier, qui couche un saint Sébastien nu sous l’œil de deux femmes éplorées; Valentin de Boulogne, qui campe un David auquel la décapitation de Goliath qu’il tient sur les genoux n’a pas enlevé sa perplexité anxieuse; Simon Vouet, dont l’ange ravissamment décoiffé porte la trompette du jugement dernier qui est peut-être aussi un cornet acoustique pour que saint Matthieu entende mieux son message; Orazio Gentileschi (tellement plus grand peintre que sa fille dont on veut nous faire croire que parce qu’elle avait été violée à quinze ans, elle possédait un talent exceptionnel) qui y va aussi de sa tête coupée de Goliath, comme Bartolomeo Manfredi, Orazio Borgianni ou Giovanni Lanfranco: c’est fou comme en ce siècle on raffolait du sabre décapiteur, il était temps d’inventer la guillotine; Giovanni Baglione, que Caravage avait raison de faire rimer avec coglione; Leonello Spada, superbe acquisition récente du musée Fabre, une Lamentation sur...

Il en est temps encore: jusqu’au 14 octobre. La plus belle exposition de tableaux de toute l’année, de beaucoup d’années peut-être… Neuf Caravage, sept Georges de La Tour… Quelque quatre-vingt toiles dont pas une seule croûte… Et cela dans un musée dit «de province», mais qui en remontrerait à ceux de mainte capitale. À Montpellier, oui, où, sous la direction de Michel Hilaire, sont réunis au musée Fabre autour du maître ce qu’il est convenu d’appeler des «caravagesques» italiens, français, espagnols. Qualificatif qui n’a pas beaucoup de sens. Chacun de ces peintres est unique; il porte son monde à lui: Nicolas Régnier, qui couche un saint Sébastien nu sous l’œil de deux femmes éplorées; Valentin de Boulogne, qui campe un David auquel la décapitation de Goliath qu’il tient sur les genoux n’a pas enlevé sa perplexité anxieuse; Simon Vouet, dont l’ange ravissamment décoiffé porte la trompette du jugement dernier qui est peut-être aussi un cornet acoustique pour que saint Matthieu entende mieux son message; Orazio Gentileschi (tellement plus grand peintre que sa fille dont on veut nous faire croire que parce qu’elle avait été violée à quinze ans, elle possédait un talent exceptionnel) qui y va aussi de sa tête coupée de Goliath, comme Bartolomeo Manfredi, Orazio Borgianni ou Giovanni Lanfranco: c’est fou comme en ce siècle on raffolait du sabre décapiteur, il était temps d’inventer la guillotine; Giovanni Baglione, que Caravage avait raison de faire rimer avec coglione; Leonello Spada, superbe acquisition récente du musée Fabre, une Lamentation sur le Christ mort qui vaut les plus belles compositions sur ce thème; Zurbaran, et son admirable Saint Sérapion, venu de Hartford en Amérique (comme d’autres tableaux de l’exposition); La Tour, dont les deux Vieillards ont l’avantage de n’avoir pas la chandelle, et l’on y voit mieux le grand peintre.

Mais d’abord Caravage lui-même, qu’on découvre (oh ! ce Saint-François de Crémone ! Qui savait qu’il y avait un musée à Crémone ?) ou qu’on redécouvre, tant l’accrochage et l’éclairage sont supérieurs à Montpellier à ceux des musées d’origine. Dès qu’on entre, on est surpris, saisi par ce Sacrifice d’Isaac, confiné aux Offices de Florence dans un couloir sans recul, sans lumière suffisante. Quelle stupeur, ici, que de voir cette tête de garçon à demi égorgé, écho des passions violentes du peintre ! L’Extase de saint François, venue de Hartford, nous montre au contraire un jeune homme doux, amoureux, déguisé en ange pour soutenir le saint défaillant. On se rend compte que Caravage avait changé d’amant. Sans doute n’aimait-il pas les bébés: le seul qu’il ait peint sous le nom de Cupidon dormant, ce hideux poupon qu’on ne connaissait que verdâtre dans la petite salle du palais Pitti où il était relégué, retrouve ici une certaine plasticité chaude, bien que morbide et cruelle.

Enfin, coup de génie du maître, peint à vingt-trois ans, ce Jeune garçon mordu par un lézard, qui fait l’affiche, cheveux ébouriffés, rose à l’oreille, dont il a fait deux versions, une qui est à Londres, l’autre qui est ici, provenant de la fondation Longhi à Florence, donc semi-privée, et supérieure à la première. Plus de force, plus de stupéfaction, plus d’horreur voluptueuse, à l’épreuve de cette morsure qui est de toute évidence le symbole d’un raptus érotique. On tient là le plus grand Caravage, celui d’avant les commandes ecclésiastiques, celui qui peignait pour lui seul les modèles qui excitaient son génie.

Ne nous emballons pas. Car La Flagellation du Christ de Rouen, également présente, rétablit les valeurs de la pitié, de la compassion, moins par la chair mordorée de la victime, apparemment intacte, exempte de sévices, éclatante, que par la face affreusement ravinée et obtuse des bourreaux.

Quelle leçon de peinture ! Et ce n’est pas de la peinture érudite, qui demande une préparation pour être appréciée, c’est le répertoire de toutes nos douleurs, de tous nos fantasmes, de toutes nos passions.

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