Quand l’insolite inspire l’art

Avec le pendentif Nautilus, la connivence entre l’art, la nature et l’homme ne désavoue pas l’univers étourdissant du joaillier genevois, figure majeure du bijou antiacadémique.Dans le «cabinet de curiosités» celui qui se croyait fou pouvait converser avec des objets inanimés. Si on définit le fou comme celui qui n’est pas dupe, cet espace ressemble étrangement à celui du joaillier Gilbert Albert qui, depuis un demi-siècle, fait naître les splendeurs insolites d’un monde où le vivant festoie sur le fil d’une créativité jaillissante. Cet hiver, c’est le bijou Nautilus qui poursuit son dialogue avec les météorites, cristaux, coraux, peau de tatou, oursins, scarabées, élytres, écorces, carapaces de crustacés. Autant de matières brutes que le créateur au style si personnel travaille en taquinant les poncifs d’un monde très codifié. À l’instar des artistes et scientifiques de la Renaissance qui suscitèrent un engouement pour les «chambres des merveilles», il observe les rouages de la nature et l’explore de l’intérieur de son regard subjugué. «Comment ne pas ressentir l’immensité devant ce microcosme aux proportions parfaites et aux formidables axes de symétries, qu’il m’arrive d’enfreindre », explique-t-il, pour mieux les mettre en évidence. Pourfendeur des idées reçues en prouvant que le beau n’est pas inéluctablement voué au seul luxe, le créateur demande beaucoup à la joaillerie, réclame d’elle tout ce que l’art exige: faire sortir le bijou des convenances, aimer suffisamment la matière pour s’effacer devant elle et parachever méticuleusement chaque détail de l’œuvre.Chacune des pièces de Gilbert Albert manifeste le choix d’un art à...

Avec le pendentif Nautilus, la connivence entre l’art, la nature et l’homme ne désavoue pas l’univers étourdissant du joaillier genevois, figure majeure du bijou antiacadémique.
Dans le «cabinet de curiosités» celui qui se croyait fou pouvait converser avec des objets inanimés. Si on définit le fou comme celui qui n’est pas dupe, cet espace ressemble étrangement à celui du joaillier Gilbert Albert qui, depuis un demi-siècle, fait naître les splendeurs insolites d’un monde où le vivant festoie sur le fil d’une créativité jaillissante. Cet hiver, c’est le bijou Nautilus qui poursuit son dialogue avec les météorites, cristaux, coraux, peau de tatou, oursins, scarabées, élytres, écorces, carapaces de crustacés. Autant de matières brutes que le créateur au style si personnel travaille en taquinant les poncifs d’un monde très codifié. À l’instar des artistes et scientifiques de la Renaissance qui suscitèrent un engouement pour les «chambres des merveilles», il observe les rouages de la nature et l’explore de l’intérieur de son regard subjugué. «Comment ne pas ressentir l’immensité devant ce microcosme aux proportions parfaites et aux formidables axes de symétries, qu’il m’arrive d’enfreindre », explique-t-il, pour mieux les mettre en évidence. Pourfendeur des idées reçues en prouvant que le beau n’est pas inéluctablement voué au seul luxe, le créateur demande beaucoup à la joaillerie, réclame d’elle tout ce que l’art exige: faire sortir le bijou des convenances, aimer suffisamment la matière pour s’effacer devant elle et parachever méticuleusement chaque détail de l’œuvre.Chacune des pièces de Gilbert Albert manifeste le choix d’un art à contre-courant par l’harmonie des matériaux, par une esthétique à la fois exubérante et maîtrisée, par le recours aux deux codes de l’homo sapiens et de l’histoire naturelle – qui ne s’opposent qu’en apparence.Magie de la transversaleAussi chaleureux que sincère, prenant à cœur la philosophie de «l’œuvre pour l’œuvre, contre la créativité de complaisance au service d’une classe privilégiée», Gilbert Albert aime parler de la réflexion et des techniques particulières qui sous-tendent la réalisation de ses bijoux– à l’inverse des créateurs fervents de mystère.

Découverte de la matière, esquisse et gouache constituent le processus d’élaboration qui recourt souvent à des savoir-faire originaux pour protéger un coquillage ou tailler un Nautilus sans le briser. De la coquille de céphalopode enroulée en spirale, il a déployé l’intérieur grâce à une inhabituelle coupe transversale. Ainsi mis en exergue, le cœur du bijou expose les différentes loges nacrées, ponctuées de perles de Chine et de trois diamants de taille brillants, comme des gouttes de rosée. De dos, la pièce s’inscrit dans une monture dynamique et offre un point de vue nouveau sur le coquillage à la morphologie quasiment inchangée depuis 400 millions d’années.Gilbert Albert, joaillier mondialement réputé, dix fois honoré, depuis 1958, par le Diamonds International Award pour ses envolées audacieuses, est loin d’incarner l’archétype du créateur désabusé. À 79 ans, il aborde un nouveau projet avec autant d’enthousiasme et d’émerveillement que pour sa première pièce. «De toute ma vie, je n’ai jamais créé autant de bonheur à partager», dit-il.

Déjà, chez Patek Philippe où il débuta sa carrière, Gilbert Albert composait des bracelets de montres de femmes, sertis de pierres polies à plat, révolutionnaires pour l’époque. Depuis, il poursuit une œuvre où s’entrechoquent les curiosités nées de la jubilation de créer. Il a imaginé des bijoux avec le peintre et maître de la tapisserie, Jean Lurçat; il a exposé avec Harry Winston et Bulgari. Il n’en continue pas moins d’attribuer à l’humanisme la même valeur qu’à ses joyaux. Ainsi, parlant de ses parures, il dit avec modestie n’avoir rien inventé. «Les peuples primitifs en faisaient autant». Passionné par la vie, les hommes, leurs souffrances et leurs joies, empreint de générosité et de délicatesse, Gilbert Albert, ne cesse de célébrer la liberté et la Nature, les profondeurs océanes, le monde animal et son propre bestiaire. C’est précisément au Nautilus et à plusieurs de ses créations insolites – le scarabée coptolabrus, les coquilles d’oursins, les ors perlés sertis de pointes de porc-épic…–, porteur de mythes collectifs et de connaissances universelles, que Gilbert Albert a décidé de consacrer ses vitrines hivernales, transformées en «cabinets de curiosités».62 ARTPASSIONS 20/09Gilbert Albert – Joaillier d’Art1930 | D’origine franco-italienne, il naît à Genèvele 30 septembre.1959, 1960, 1961 | Trois des dix Oscars du Diamonds International Award pour Patek Philippe.1962 | Ouverture de son atelier.De 1968 à 1970 | Membre du Jury de l’Académie du Diamant, à New York et Tokyo.1973 | Ouverture de sa galerie et de son atelier, 24,rue de la Corraterie, Genève.1991 | Parmi les nombreuses expositions mondiales qui se succèdent jusqu’à ce jour, retenons celledu Musée du Kremlin à Moscou, qui invita à cetoccasion le premier artiste vivant.1999 | Ouverture des Ateliers d’art et du Musée desCabinotiers1, rue A.-Lachenal, Genève2009 | Au nombre des nouveautés, naissance dupendentif Nautilus.

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