Après Lyon et Barcelone, il y a une dizaine d’années, la Fondation Dina Vierny au moment du cinquantenaire de la mort du peintre, en 2003, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2008-2009, sans parler de Perpignan ou de Cambrai, c’est au Musée Paul Valéry de Sète, récemment rénové, qu’il revient de célébrer un des peintres les plus populaires de notre temps: Raoul Dufy (1877-1953).
Dans ce site baigné d’une lumière éclatante, ce peintre du bonheur est chez lui. En effet, après ses années d’apprentissage passéesdans sa ville natale du Havre, où il eut comme condisciples Raimond Lecourt et Othon Friesz qu’il retrouvera à Paris, Raoul Dufy se tourne vers la Méditerranée. Dès 1908, il travaille à l’Estaque, aux côtés de Georges Braque, de cinq ans son cadet et originaire du Havre comme lui. C’est le début des paysages cubistes, composés sous l’influence de Cézanne, qu’il avait découvert – comme tous les peintres de sa génération – à l’occasion de la grande rétrospective organisée en 1907, au lendemain de sa mort, dans le cadre du Salon d’automne. Cézanne, c’est notre père à tous, se plaisait à dire Picasso. En effet, aucun artiste important du XXe siècle n’a pu se soustraire à son emprise.Toutefois, les années «cubistes» de Dufy seront aussi brèves que ses années «fauves» ou les années «impressionnistes» qui les ont précédées. Dès avant la Première Guerre, il avait trouvé son style propre, celui dont témoignent les couleurs joyeuses, voire exubérantes du Jardin abandonné de 1913, par exemple.Ses débuts – après une bonne formation à l’École municipale des Beaux-Arts du Havre et à l’École des Beaux-Arts de Paris – étaient tout naturellement placés sous le signe de Boudin, le peintre des vastes plages normandes et des ciels tourmentés qui faisaient l’admiration de Baudelaire. Comme Boudin, Dufy peint souvent sur le motif, aux environs du Havre, sur la plage de Sainte-Adresse. Et comme lui, il pratique l’aquarelle et la gouache, une technique qu’il ne cessera de développer, car elle est particulièrement propice à sa manière rapide et spontanée, qui ne s’encombre ni de retouches ni de repentirs. Elle lui permet aussi dedissocier le dessin et la couleur et de rendre à cette dernière sa pleine autonomie. C’est au Salon des artistes français de 1901, puis au Salon des Indépendants, à partir de 1903, qu’il expose ses premiers paysages.Au Salon d’automne de 1905, Dufy découvre Matisse, Derain, Vlaminck, c’est-à-dire les «fauves». Ses couleurs deviennent plus affirmées, plus agressives, comme le montre le Port du Havre de 1906.
En 1909, Dufy illustre Le Bestiaire d’Apollinaire, dont certains textes avaient paru dans La Phalange; Picasso avait été sollicité en vain. La page de titre et quatre planches figureront au Salon des Indépendants de l’année suivante où elles allaient attirer l’attention du grand couturier Paul Poiret. Une rencontre qui devait avoir une influence décisive sur la carrière de Dufy. Séduit par le graphisme des bois de Dufy, Poiret proposa à celui-ci de travailler à la création de tissus et d’étoffes. Non pas occasionnellement, mais de façon systématique et suivie. D’où la création, par le peintre et le couturier, de «La Petite Usine» destinée à exploiter les créations de Dufy. L’art s’était mis au service de l’industrie et du commerce de luxe. Par la suite, Dufy sera également engagé par la maison de soieries lyonnaises Bianchini-Ferrier avec laquelle il travaillera jusque dans les années 1930.Pour Dufy, art, artisanat, commerce et industrie ne faisaient qu’un. Il était loin de penser que le grand artiste devait nécessairement se trouver en désaccord avec son temps. Il ne craignait pas d’être un «illustrateur», un «décorateur», quelqu’un qui essaie de donner à la page d’un livre, aux murs d’une pièce, à un environnement quelconque, un éclat particulier. Dufy s’efforce d’enchanter, voire d’embellir le réel, d’introduire un peu de poésie dans un monde qui en manque cruellement. Il en avait fait l’expérience durant la Première Guerre, pendant laquelle il s’était engagé dans le service automobile de l’armée, à Vincennes. Ne refusant pas de mettre son art au service de son patriotisme, il réalise, dans la tradition des images d’Épinal, une Pochette des Alliés (en soie) ainsi qu’un Petit Panorama des uniformes (dix gravures sur bois).
Ayant recouvré sa liberté, Dufy se met à voyager. Il se rend régulièrement en Italie, au Maroc, en Espagne, en Algérie. Ce qu’il cherche, c’est la lumière, et il la trouve tout autour de la Méditerranée, comme d’autres la trouvent en Orient ou au milieu de paysages montagneux. Il multiplie les vues de Nice, du port, du casino, de la promenade des Anglais. Sa production est très abondante, quelque trois mille toiles au total et plus de six mille gouaches et aquarelles. Sans parler de tout ce qu’il a abandonné, jeté, détruit. Car contrairement à Picasso, Dufy n’était pas obsédé par la conservation et l’archivage. L’art, pour lui, faisait partie de la vie sans se substituer à elle. Il le savait d’autant mieux que, dès l’époque de son plus grand succès – la création de La Fée Electricité pour l’Exposition Internationale de 1937 – il souffrait d’une polyarthrite qui lui rendait le travail de plus en plus pénible. Comme Renoir, comme Matisse, il a fini par s’établir dans le midi de la France. C’està Forcalquier, une des régions les plus ensoleillées de la Haute-Provence, que cet homme venu du nord s’est installé pour finir.Moins exigeant que Matisse, moins tourmenté que Picasso, Raoul Dufy fait partie de ces artistes naturellement doués et qui se jouent des difficultés. Excellant dans la peinture tout autant que dans l’aquarelle et la gouache, dans la céramique comme dans le dessin industriel, dans le décor de théâtre et dans la fresque, il a mis son talent au service de tous les genres avec la même jubilation. Refusant rarement les commandes, cédant parfois à la facilité, il exprime une joie de vivre qu’a immédiatement décelée Cocteau. Dès 1948, ce dernier a écrit un des meilleurs livres consacrés à ce peintre du bonheur dont il se sentait proche par la poésie, leur commune patrie.