Les défis d’une exposition universelle ? L’originalité, l’intelligence oule raffinement, là ou se bousculent modernité criarde, régionalismes ou manœuvres économiques. Les lignes directrices de Shanghaï 2010 ? Créer un débat autour de l’innovation urbaine verticale et du développement durable, sans oublier l’interculturalité, l’innovation technique ou le dialogue avec les campagnes…
Suisse: nature et technique Le surprenant pavillon suisse, conçu par les bureaux d’architectes ARGE Buchner Bründler Architekten et Element Design, constitue sans doute l’un des meilleurs plaidoyers pour une vie urbaine en accord avec la nature.Premier contact visuel: un grand treillis de 17 m de haut, épousant les contours «montagneusement» accidentés de la corniche du bâtiment, et constellé de 11 000 capteurs solaires portés par des pastilles rouges en fibre de soja. Elles restituent la lumière selon l’heure, le vent et les flashs des appareils photo, et se «biodégraderont» sagement quelques semaines après la fin de l’exposition. Par allusion au Ying et au Yang, le pavillon propose ensuite un parcours capable d’allier les contraires quesont la ville et la nature. On pénètre donc d’abord dans les éléments «urbains» du pavillon, vastes cylindres de béton brut contenant les salles d’exposition, dont les thèmes certes un peu clichés (la diversité de la population suisse, les Alpes…) sont autant de prétextes au déploiement de singulières prouesses high-tech. On remonte ensuite en spirale vers la lumière par un grand entonnoir de verdure, installé sur un télésiège, et en musique (zen), pour découvrir une vaste prairie fleurie installée au sommet de l’édifice, invisible du sol. Des employés de Zermatt ou de l’Engadine facilitent le «voyage» – même s’il ne dure que 6 petites minutes – à 3 500 personnes par heure, sans leur permettre toutefois de gambader sur ce Nature’s Playground, comme l’ont surnommé les Chinois…
France: de l’eau, de l’air et des plantes Jacques Ferrier, connu pour ses recherches sur l’environnement (projet de la Tour Hypergreen, Cité de la Voile Éric Tabarly de Lorient…), est parti d’un concept simple – forme carrée et patio intérieur – pour réaliser un bâtiment extraordinaire qui illustre, autour du thème de «la ville sensuelle», les notions de légèreté et d’élégance. Le volume principal est enveloppé d’une résille de poutrelles creuses en acier – tels de longs «S» étirés – nappées de béton blanc et de fibre de verre qui ne sont pas sans rappeler la pierre de Chambord. Touchant à peine le sol, cette résille met littéralement le pavillon en lévitation, alors que les plans d’eau, à sa base, accentuent encore la sensation de flottement.L’intérieur s’organise autour d’un vaste patio où miroite encore de l’eau. Sur le toit, un singulier «jardin à la française»: les buissons taillés, au lieu des courbes et contre-courbes baroques, s’apparentent aux circuits des puces électroniques, méandres décalés suivant une même direction, élégante allégorie d’une modernité qui ne pourra jamais se passer de ses bases vivantes. Ces massifs plongent ensuite vers le patio, devenant l’un de ces jardins verticaux dont la France s’est désormais fait une spécialité. Un quart du toit, recouvert de panneaux solaires, complète le message écologique et high-tech.Le patio se dissout doucement en contours apparemment multiples (bassin, bâtiment, frondaison végétale), bien qu’ils soient tous plus ou moins en forme d’hexagone, subtil rappel géographique de la France. Moins subtils, peut-être, paraissent les choix de la mascotte et du parrain du pavillon: Léon le Chaton (béret et salopette) et Alain Delon.
Espagne: le retour du rotin Benedetta Tagliabue, veuve de l’architecte «déconstructiviste» catalan Enric Miralles (Parlement d’Écosse, bureaux de Gas Natural à Barcelone) signe son premier bâtiment en solitaire, après la disparition du génial architecte. Puisant aux origines de l’artisanat ibérique et chinois, elle réussit un coup de théâtre architectural: le come-back du rotin ! Celui-ci recouvre tout le bâtiment sous la forme de 8 500 panneaux tressés, marron ou orangés. Dans cette gigantesque forme ondulante et changeante, grosse vague échevelée où flotterait, après un naufrage, toute une cargaison de corbeilles, on reconnaît certes l’influence de Miralles, mais aussi de Frank Gehry. La matière filtre la lumière en maintenant l’édifice dans une relative fraîcheur.L’absence d’air conditionné exprime le refus d’un luxe, regretté toutefois amèrement par nombre de visiteurs…Les réactions sont partagées, entre éloges inconditionnels et comparaisons désobligeantes, évoquant une robe faite avec des chips plus ou moins cuites ou une montagne de vieux paillassons. On salue en tout cas l’originalité de la technique, indépendamment des imperfections esthétiques. L’intérieur très lecorbusien est un peu décevant, eu égard à l’originalité de l’extérieur. Le «panier espagnol» est en tout cas une réalisation exceptionnelle, résolument orientée vers l’économie d’énergie; c’est aussi l’un des pavillons les plus photographiés de l’exposition. Nous avons tous en nous un petit cœur de rotin…
Arabie Saoudite: architecture soutenue Pas de limite de budget pour ce pavillon, le plus grand et le plus cher des délégations étrangères. Pour que cela soit vraiment cher, pourquoi ne pas construire, par exemple, une coupole à l’envers ? Le résultat: une moitié d’œuf qu’une main candide aurait remplie de terre pour y mettre à germer quelques graines. En l’occurrence, cent cinquante grands palmiers-dattiers directement plantés dans la fleur de leur âge au sommet de ce «bateau lunaire» entouré de sable et d’eau.Deux jardins, celui de «l’amitié» à la base -essences arabes et chinoises – et l’oasis saoudienne tout en haut – tentes de bédouins comprises – donnent au pavillon sa touche «écologique». Mais avec sa colossale coque blanche et brillante, posée sur des colonnes d’acier poli, illuminée à grand renfort de projecteurs, il ressemble à un de ces gigantesques yachts en hivernage, hautaines silhouettes inaccessibles au commun des mortels, qui émaillent les ports chics de la Mé- diterranée… Foin des espaces de réflexion sur la diversité humaine ou les campagnes; on nous dit qu’il s’agit avant tout d’une vitrine pour «promouvoir les investissements en Arabie Saoudite et en Chine, pour le bénéfice du secteur privé». Nous voilà rassurés.Le clou du pavillon: l’écran IMAX 3D le plus grand au monde (1 600 m2), vaste comme un terrain de football. Une architecture sur pilotis plus «soutenue» que sustainable donc, dont on ose à peine imaginer le bilan carbone. Qu’avions-nous dit, déjà ? Développement durable ?
Chine : sagesse et déraison Une immense esplanade nous conduit au pavillon de la Chine, massive construction consistant en quatre piliers à section carrée soutenant une vaste structure pyramidale inversée de 56 tasseaux dougongs rouges (allusion aux 56 ethnies chinoises), entrelacs de poutres traditionnellement utilisées dans l’architecture chinoise, japonaise ou coréenne. Cette gigantesque version postmoderne des anciens palais impériaux nous fait bien évidemment songer au Palais de l’Harmonie Suprême au cœur de la Cité Interdite; on retrouve ici l’écrasant style chinois où l’individu est balayé au profit d’une finalité collective transcendante. La forme prétend suggérer «l’harmonie entre l’homme et le ciel», mais son tracé, généreusement évasé en haut vers de spirituelles préoccupations, semble plus menaçant vers le bas, pesant sur l’homme de tout le poids du pouvoir absolu.Dans la suite des contradictions thématiques, on nous invite à «explorer la sagesse chinoise dans le développement urbain » sur quelque 160 000 m2, dans un bâtiment haut de soixante-trois mètres, le double de la hauteur maximum autorisée pour les autres pavillons. Si le message de suprématie ne passait pas suffisamment, on nous apprend que le pavillon symbolise tout simplement une «couronne orientale» qui semble vouloir faire de Shanghaï la reine de l’Asie au détriment de Pékin. Enfin qu’en est-il du développement durable ? Penchons-nous sur le système d’éclairage: les 16 générateurs qui alimentent les projecteurs voués en grande partie à l’éclairage du ciel, ont coûté plus de 700 millions d’euros. Un pavillon éclairé, certes, mais pas très sage…