Tout le monde connaît le studio Harcourt et ses portraits en noir & blanc qui sculptent les visages et parfois les silhouettes. On vient s’y faire photographier pour un tirage 24 x 30; pour un visage face à l’éternité. Passage obligé des stars, le studio est ouvert à tous. On est dans l’univers du luxe, du chic, de l’atemporel.
L’histoire commence en 1934. Cosette Harcourt de son vrai nom Germaine Hirschefeld (1900-1976), crée le studio avec Jacques et Jean Lacroix, deux hommes de presse. Elle avait sans doute une âme de midinette et collectionnait les photos des vedettes de cinéma, photos dédicacées pour la plupart. Côtoyer les stars du cinéma était son idéal.
Très vite, la photographie devient un outil de promotion incontournable pour les artistes. Alain Delon a dix-huit ans quand il pousse les portes du studio à Paris, au 49 avenue d’Iéna. L’atmosphère y est celle d’un salon car les auteurs et les photographes s’y croisent, échangent leurs points de vue et les bons tuyaux. André Giovanni (qui créera plus tard Santé Magazine) y tient une revue et recrute des talents à la pige. Cette ambiance fera vite partie intégrante du culte voué au studio Harcourt. Les idées fusent, les vedettes s’y sentent bien. Vedettes, justement, devient le titre d’un magazine que Cosette et les frères Lacroix lancent pour vendre leurs portraits à la presse. Une agence de photo est née.
Très vite le catalogue se crée et parviendra à 500000 portraits dont 1500 célébrités. Mais Harcourt vend mal ou peu. Sa vocation n’est pas dans ce qu’on appellera plus tard une banque d’images. L’affaire fait faillite en 1986 et grâce au ministre de la culture de l’époque, Jack Lang, le fonds est sauvé – près de cinq millions de négatifs ! – et confié à la Réunion des Musées Nationaux. Le vrai métier du studio est de tirer le portrait des stars. Mais son savoir-faire propose aussi de réaliser un portrait qui fait de vous une star. Pas n’importe laquelle, pas n’importe comment.
Il y a une liturgie bien rodée de la séance de pose. Accueilli, le «client» pénètre au fond de la cour du 10 rue Jean Goujon où le studio est installé depuis 2003. Champagne ou café l’attendent. Puis, il est emmené au maquillage. Le salon est superbe. Les candélabres viennent du décor de Jean Cocteau pour la Belle et la bête. Le siège est celui de Catherine Deneuve dans Peau d’âne. Il ne faut pas manquer non plus un passage aux toilettes où se trouve une collection de clichés pour Chantal Thomass. C’est l’heure du coiffeur, du maquillage. Le photographe vient saluer, discrètement, pose une ou deux questions qui vont aiguiller son travail. Ici, on ne parle pas du studio mais du «plateau», en référence permanente au monde du cinéma. Au-dessus des portes qui ouvrent sur l’univers obscur, deux veilleuses indiquent «silence» comme s’il s’agissait d’un tournage ou d’un enregistrement. À l’intérieur, une demi-douzaine de personnes s’affaire. Le fond est gris.
L’une des caractéristiques des photos Harcourt est bien sûr l’éclairage continu: pas de flash donc mais une lumière savamment dosée (pas moins de huit projecteurs dont deux Mole-Richardson – référence au cinéma oblige) sur tous les reliefs du visage. Avec ce procédé, le photographe sait ce qu’il fait, voit exactement ce qu’il cherche pour une image nette, un portrait qui ne sera pas vaporeux comme le style hollywoodien. Quand tout est en place, vient la séance de pose. Musique ! Selon le caractère du photographe, l’ambiance est jazzy, classique ou autre. Assez rapidement, il tutoie son modèle, l’appelle par son prénom, l’encourage à se tourner comme ci, comme ça. Une vraie psychanalyse, car il faut que le sujet s’ouvre à l’objectif et donne ce qu’il est, au plus profond de lui-même.
Assis sur un cube noir, le client ne voit rien. C’est à peine s’il distingue les silhouettes des assistants. Il n’entend que la voix du photographe qui le guide. Un moment assez déstabilisant, il faut en convenir.
Si les artistes pressés n’accordent que dix minutes de temps à la pose, la plupart des clients restent plus d’une heure. La séance terminée, c’est l’heure du tirage et des retouches.
La retouche est encore un savoir-faire maison avec sa charte précise. Jadis, les retoucheuses travaillaient sur les négatifs 9 x 12 (format carte pos tale) puis sur le papier. Au pinceau, au stylet, elles supprimaient une tache ou accentuaient un défaut significatif comme l’arête du nez ou un sourcil broussailleux. La retouche reste un art malgré les logiciels comme Photoshop: ôter les ombres disgracieuses, modeler le visage. On laisse au cosmétique le soin de gommer les marques du temps notamment. Le retoucheur, au contraire, atténue ou amplifie, c’est selon. Certains sujets en exigent parfois trop. Certes, le client est roi mais, comme dans toute maison de luxe, la marque a son autorité, son savoir-faire et sa compétence.
Dans le tirage, le studio a aussi sa marque de fabrique. Depuis le début de son histoire, Harcourt soigne particulièrement le choix du papier, les bains également, de fixatifs et de révélateurs. Aujourd’hui, il serait inenvisageable pour l’environnement de rejeter les bains dans la nature ou le tout-à-l’égout. Avec le passage au numérique, les techniciens ont apprivoisé puis maîtrisé les jets d’encre et le papier. De nouveaux tests de vieillissement montrent clairement que l’espérance de vie n’augmente pas que chez les humains: les photos en bénéficient aussi, le papier ne contenant quasiment plus d’ammoniac…
Au-delà de la science du portrait, le studio Harcourt veut désormais développer sa marque comme un joyau du luxe «made in France». Francis Dagnan, son patron depuis 2007, poursuit avec son épouse Catherine Renard une nouvelle ambition. Ils ouvrent le studio à des événements, créent le champagne Harcourt, bientôt sur les tables des grands hôtels, multiplient la clientèle venue réaliser ce rêve de star et de princesse: le portrait. Dans l’art aussi, ils cherchent des projets comme celui de l’artiste belge Bertrand Lavier. Celui-ci a conçu une redondance, un pléonasme génial: faire photographier des statues du Musée Grévin par Harcourt.
Rêve de tout un chacun ? Des parents viennent immortaliser leur poupon, de vieux mariés fêtant leurs noces de diamant posent pour la postérité, un financier vient même se faire photographier nu dans l’exacte pose d’Yves Saint-Laurent (photo mythique), d’autres veulent immortaliser leur compagnon, un chat, un chien… Tous ont la certitude que la signature Harcourt, ses lumières et ses ombres sauront les éclairer un instant pour l’éternité.