Dédié aux arts du feu, le Musée de l’Ariana s’est, assez logiquement, associé au cinquantenaire de l’Association Céramique Suisse. Parmi les multiples expositions organisées à l’occasion de ce jubilé, la vénérable maison de Gustave Révilliod a choisi de se laisser envahir par «la jeune génération», laissant la «Céramique Grand Format» à la Fondation Bruckner de Carouge et «La Suisse en céramique» au château de Nyon.
De Picasso à Barceló, nombreux sont les artistes majeurs à avoir fait un détour, parfois long et souvent fructueux, par la céramique. Pour autant si l’on y regarde de près, la céramique, dans un monde envahi par l’art dit contemporain, n’est guère présente. L’occasion est donc belle, pour l’amateur, d’aller se confronter à ce que cet art discret et exigeant peut apporter comme émotions et comme satisfactions.Aucun des sept artistes sélectionnés pour l’exposition de l’Ariana ne travaille la céramique depuis plus de huit ans. Comme le fait remarquer la commissaire de l’exposition, le choix, par ces jeunes artistes, d’un matériau millénaire, porteur d’une tradition artisanale et artistique parmi les plus anciennes de l’humanité, ne peut laisser indifférent, ceci d’autant que chacun d’entre eux explore une voie personnelle, ce qui prouve la vitalité de la céramique en ce début de XXIe siècle.Perrine Durgnat, et plus encore Simone Stocker, trouvent leur inspiration dans le cœur historique de l’art céramique, c’est-à-dire la vaisselle. Simone Stocker crée des coupes à fruits sobres et épurées dont les stries concentriques installent une sorte de bichromie presque hypnotique.Perrine Durgnat réalise, quant à elle, des plats sans rebords, larges et carrés, en terre blanche émaillée, dans lesquels ce que l’on imagine être des fruits aux formes arrondies, peut-être des pommes ou des poires, ont profondément inscrit leur empreinte. Ces deux artistes réalisent ainsi des pièces d’une beauté qui n’a d’égale que leur grande simplicité formelle.Relative simplicité des formes aussi chez Maurizio Ferrari, qui tourne des vases en porcelaine, aux silhouettes hautes et étroites, engobés dans des teintes pastel. Les vases sont profondément striés par tournassage, afin de créer un effet de flou, une vibration entre la surface du vase et l’espace qui l’entoure.
Laure Gonthier réalise ses Black hiatus en grès noir. Ces formes arrondies, massives, sont posées sur le sol comme de sombres cailloux venus d’un ailleurs étrange et lointain. Le feuilletage de plaquettes qui les recouvre entièrement accentue encore l’impression d’étrangeté radicale que dégage cette proposition, sans doute l’une des meilleures de l’exposition.Marianne Eggimann crée, dans la plus pure tradition de la porcelaine décorative précieuse, un petit monde de figurines grotesques, humaines ou animales, qu’elle enferme parfois dans des boules à neige pour en accentuer la dérision. Mini-installations formant de petites scènes burlesques et étranges, insectes évoquant irrésistiblement l’univers kafkaïen, la force ironique de cette parodie s’avère plus que réjouissante.Maude Schneider propose à l’Ariana Rainbow, qui vise aussi à une représentation parodique, celle des bords de mer et des vacances d’été. Cet arc-en-ciel de parasols miniatures – il y en a 1176 ! – n’est toutefois pas la réalisation la plus convaincante de l’artiste, si l’on en juge par ce que l’on peut voir sur son site Internet.Enfin Ursula Vogel expérimente la porcelaine comme matériau translucide, poussant la finesse de ses pièces jusqu’à l’extrême limite. Elle crée ainsi des sculptures qu’elle illumine ensuite de l’intérieur en donnant, au gré des épaisseurs de la structure, l’impression d’une sorte de coquille organique.En parallèle, occupant la totalité des soussols, l’Ariana propose une exposition «quasimonographique» de Philippe Barde. Ce céramiste conceptuel, minimaliste, reconnu dans le monde entier, enseigne aujourd’hui à Genève, après y avoir suivi en son temps les cours de Philippe Lambercy. Depuis toujours, Barde, qui cherche à effacer au maximum les traces de l’intervention de l’artiste, privilégie le moulage. Cette technique est rapidement devenue en soi porteuse de nouvelles potentialités artistiques; ainsi les pièces présentées par Barde à l’Ariana sont toutes issues d’objets trouvés aussi divers que des moulages anciens de bourgeons végétaux, ou une calotte de crâne humain. Les déclinaisons et les variations qu’il en tire, extrapolations de la forme première, sont autant d’explorations des multiples sens que cette forme peut revêtir, ou dont on peut l’investir.Bien que les deux expositions soient distinctes, un dialogue s’établit nécessairement entre les pièces de la jeunesse et celles de la maturité – où la maturité n’a pas forcément le dessus, d’ailleurs –, une dialectique de rupture et de continuité qui nous raconte un peu l’histoire de la céramique suisse. Ce qui, pour le Musée de l’Ariana est une très belle aubaine.