On a longtemps prétendu que l’art africain, qui est le fait de sociétés tribales, n’avait pas d’histoire. André Malraux, dans Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale, ne situe-t-il pas les arts africains «hors de l’histoire» ?
Sans vouloir épiloguer sur le sujet, rappelons que l’absence d’histoire pèse encore sur l’approche des arts d’Afrique noire. Par ailleurs, l’inexistence de l’écriture dans les sociétés africaines traditionnelles ne facilite pas une étude qui ne peut s’appuyer que sur la tradition orale. Parlerdes arts de l’Afrique subsaharienne se limite le plus souvent à parler de leur expression la plus courante, c’est-à-dire les objets cultuels en bois, masques et sculptures, dont l’ancienneté dépasse rarement la centaine d’années.L’absence de repères a largement contribué à ancrer l’idée qu’à part ces productions cultuelles tardives, l’Afrique était sans passé artistique. C’est évidemment faux ! L’analyse au carbone 14, entre autres, a révélé que la statuaire était présente au Mali au Xe siècle déjà, chez les Niongoms, au XIIIe siècle chez les Tellems et au XVe siècle chez les Dogons qui leur ont succédé. Citons encore les bronziers du Bénin, dont l’art s’est manifesté dès le XVIe siècle jusqu’au XIXe siècle, art de cour réservé aux obas (rois) ainsi qu’à leurs proches. Ce ne sont que quelques exemples parmi les plus connus. Nul doute qu’ils deviendront de plus en plus nombreux au fur et à mesure que se développeront les techniques de datation.Nouvelle venue dans le domaine des arts africains: l’archéologie. Elle se développe lentement, les sources d’information étant encore assez limitées, les fouilles systématiques rares, car l’Afrique a d’autres priorités et la conservation des ressources archéologiques ne préoccupe que peu ses dirigeants.Beaucoup de terres cuites apparues sur le marché occidental de l’art proviennent de fouilles «sauvages». On peut le déplorer, si l’on pense à la perte des informations scientifiques, mais en même temps on peut se consoler en songeant à la conservation, au sens le plus strict du terme, de fragiles témoins du patrimoine de l’humanité qui ne présentent d’autre intérêt, aux yeux des autochtones, que le prix qu’ils peuvent en tirer. N’en déplaise aux idéalistes ! N’oublions pas que là où l’Occidental voit une œuvre d’art, la majorité des Africains ne retient encore que l’aspect fonctionnel et pratique.
Par son importante exposition «Terres cuites africaines – Un héritage millénaire», à la scénographie remarquablement soignée, le Musée Barbier-Mueller nous invite à découvrirun univers méconnu, qui nous emmène aux racines premières de la culture africaine.Les récipients et sculptures de nature archéologique ont systématiquement été analysés et datés par thermoluminescence. Bon nombre de pièces majeures ont subi un examen complémentaire par scanner à rayons X.Il va sans dire que toutes les pièces exposées, des plus modestes aux plus prestigieuses, sont de qualité. Chacune mériterait que l’on s’y attarde mais leur nombre nous empêche de songer à une telle démarche. D’où le choix arbitraire de quelques pièces particulièrement remarquables.C’est notamment le cas d’une figure féminine Nok du Nigéria que la datation en laboratoire situe entre le IXe siècle avant notre ère et le IIIe siècle de notre ère. L’usage de ces sculptures reste encore difficile à identifier en l’absence de contexte archéologique. Il est cependant probable que leur fonction était en relation avec le culte rendu aux ancêtres ou encore avec les pratiques funéraires. De type classique, la sculpture qu’il nous est donné de contempler se situe parmi les plus grandes et les plus belles du genre.Que dire du pot Ga’anda du Nigéria censé contenir le principal esprit tutélaire, « le Mbirhlen’nda» ? Pour en souligner à la fois le caractère humain et la masculinité, la panse du pot a été dotée de bras, d’un nombril et d’organes génitaux mâles. Quant à la tête qui surplombe le récipient, elle arbore une barbe. Les petites protubérances qui la couvrent et descendent sur les épaules, soulèvent plusieurs hypothèses dont l’une est relative aux maladies de peau que l’esprit pourrait infliger à ceux qui n’obéiraient pas aux règles de la communauté Ga’anda.
Retenons encore ce bol Igbo Izzi du Nigéria qui séduit par sa sobriété. Les récipients passent facilement de l’espace domestique à celui du monde rituel. Comment dès lors leur donner une attribution formelle et une fonction certaine ? Celui qui nous occupe semble pourtant participer de ces deux domaines; la simplicité de la forme du récipient nous ferait pencher pour le premier, mais cette impression est corrigée par le sentiment que procure la vision du décor dont l’étrange beauté ne se livre que sous un certain angle.On ne peut oublier, car il s’impose, le pseudocalice funéraire en provenance du Niger, dont l’ancienneté remonte entre le XIVe et le XVIIe siècle. Ce haut calice ornementé de scarifications servait de support à une statuette ou peut-être à une tête dont il formait le corps. En d’autres termes, il s’agit de la partie inférieure d’une effigie funéraire. Cet objet est impressionnant non seulement par sa taille mais aussi par sa décoration très recherchée. Est-ce aller trop loin que de lui attribuer une connotation phallique ?Un coup de cœur particulier pour la tête féminine d’Ifé du Nigéria que la datation situe entre le XIVe siècle et le XVe siècle. En contemplant cette tête d’un naturalisme étonnant, on ne peut s’empêcher de constater sa ressemblance avec des pièces de même type en bronze. Pas étonnant dès lors qu’on ait émis l’hypothèse selon laquelle ces têtes auraient été réalisées à la même époque par les mêmes artistes, voire que des pièces en terre cuite auraient été utilisées pour en produire de semblables en bronze, selon la technique de la cire perdue.Enfin, bien qu’il ne relève pas du domaine de l’archéologie et que son ancienneté ne soit pas antérieure à la fin du XIXe siècle, mentionnons le pichet figuratif mangbetu de la République du Congo. Pourquoi ce pichet en particulier ? Parce qu’à son sujet les commentaires ne tarissent pas et les hypothèses contradictoires persistent quant à l’origine de l’art anthropomorphe des Mangbetus. Pour certains, il s’agit d’une invention récente suscitée par la présence des coloniaux; pour d’autres, ces récipients ornés d’une tête de femme dont le crâne artificiellement allongé est surmonté d’une coiffure en éventail, représentent le sommet de l’art mangbetu. Quant à savoir s’il s’agit de portraits véritables, la question est, elle aussi, largement débattue.