C’est d’abord un livre sobre, à la couverture noire mate, au bas de laquelle chante la langue brésilienne: Coleção Ana Luisa e Mariano Marcondes Ferraz. À l’intérieur du livre, une sélection des œuvres rassemblées par ce jeune couple depuis maintenant une petite quinzaine d’années, et partout un parfum de Brésil dans les noms qui s’égrènent au fil des pages. Cette collection, comme l’explique notre hôte, est le fruit d’une passion,bien sûr, mais aussi une profession de foi, celle d’un homme convaincu de la vitalité de la scène artistique brésilienne, et de la capacité des artistes brésiliens à briller sur la scène internationale.Collectionner l’art, en particulier l’art moderne et contemporain, exige de l’argent, du temps, de la place et surtout un véritable engagement. Qu’est-ce qui vous a amené, concrètement, à collectionner des œuvres d’art ? Quelle satisfaction en tirez-vous ?Il est évident que lorsque l’on est mû par la passion, on dépasse les obstacles de temps, ceux d’ordre financier et même les problèmes d’espace, et l’on finit toujours par trouver de la place pour une nouvelle œuvre d’art. Collectionner est pour moi une philosophie de vie, cela fait partie de mon quotidien: l’art m’accompagne dans mes voyages, mes lectures, le travail, ma façon de regarder le monde, d’apprécier un lieu, une maison ou même de voir quelqu’un.
Si je compare les grandes photographies de Massimo Vitali, derrière vous, avec le travail de Jesus Rafael Soto, par exemple, ou celui de Bechara avec celui de Varejão, je constate la grande variété de votre collection… Dans une œuvre, quelles sont les aspects qui vous séduisent ? Comment avez-vous évolué dans vos goûts, votre manière d’aborder des créations nouvelles ?Notre collection a débuté il y a plus de dix ans. J’attribue à ma personnalité le fait qu’à cette époque j’aie commencé à collectionner de l’art concret: je suis organisé, discipliné, peut-être même un peu trop, et je voyais dans cette géométrie de formes droites, une netteté qui me plaisait… et puis, comme il se doit, on évolue, et soudain je me suis vu acheter des œuvres d’art, qu’à une époque je n’aurais jamais pensé avoir dans ma collection. Mais si vous êtes attentif, vous remarquerez que, dans la grande majorité des œuvres de ma collection, il y a toujours des traits géométriques.Vous avez axé votre collection sur les artistes brésiliens, et votre hantise est de laisser un blanc, un trou dans votre collection, de manquer quelque chose. C’est aussi un risque pour un collectionneur de vouloir être exhaustif. Comment assumez-vous le risque d’acheter des œuvres qui se révéleraient avec le temps sans grande valeur ou par lesquelles vous ne seriez plus attiré a priori ?Il y a 5 ou 6 ans j’ai en effet décidé de donner la priorité aux artistes brésiliens. Comme aujourd’hui le nombre d’artistes est trop grand pour que je puisse avoir la prétention de tous les connaître, c’est, je le pense, la meilleure façon de donner un caractère personnel à ma collection. En restant dans cette niche, je peux accompagner de plus près mes artistes préférés, connaître plus à fond toutes leurs phases et aussi acheter d’une façon plus structurée. Par ailleurs j’achète les œuvres qui me plaisent et me stimulent, je ne suis pas préoccupé de savoir si, avec le temps, elles se révéleront sans grande valeur.
La plupart des artistes présents dans votre collection sont encore actifs, et pour la plupart, vous les connaissez. Quel rôle vous donnez-vous par rapport aux artistes que vous suivez ? Un rôle de soutien, de promotion ? Je sais que vous vous impliquez par exemple dans l’édition de catalogues concernant certains d’entre eux…C’est à mon avis la motivation de l’art contemporain: la possibilité de connaître les artistes, de suivre leur carrière, de discuter leurs différentes phases, leurs objectifs, d’acquérir une œuvre dont je peux connaître un peu plus personnellement l’histoire. Il me semble en effet que dans ce monde de l’art chacun a un rôle à jouer, l’artiste, le galeriste, le collectionneur, le curateur, le critique d’art, l’architecte qui crée un espace, etc. Et si, par mon rôle de collectionneur je peux aider à promouvoir un artiste, c’est assez normal et évident que je le fasse.Vous avez grandi entre Paris et Rio de Janeiro; Vous êtes engagé à la fois dans un soutien aux musées, tels que le Centre Georges Pompidou à Paris, l’un des plus beaux musées du monde selon vous, et au Brésil, dans des actions à destination des jeunes défavorisés notamment. Ressentez-vous, en tant que collectionneur relativement privilégié, une responsabilité qui vous pousse à vous engager ?J’ai déjà reçu quelques invitations à participer à divers comités, mais compte tenu des distances et de mon emploi du temps chargé, je n’aurais pas pu être utile, je n’ai donc jamais accepté. Mais récemment j’ai été invité à participer au nouveau Comité pour l’Amérique Latine du Centre Georges Pompidou et évidemment j’ai accepté. À mon avis, l’histoire entre la France et le Brésil est trop importante, les liens entre l’art et l’architecture sont trop serrés pour refuser cette invitation et j’espère pouvoir honorer un tel défi. Mon épouse Ana Luisa et moi avons créé il y a quelques années une fondation pour les enfants défavorisés au Brésil. Parmi nos projets pour cette fondation, il y en a un, plus culturel, celui de faire connaître les musées et centres d’art à des enfants. Je considère que c’est aussi une responsabilité sociale que de leur donner la possibilité de fréquenter un lieu d’art où des œuvres importantes sont exposées, de leur faire ressentir les émotions de l’artiste et percevoir comment il les exprime à travers l’art. Cette ouverture permet aux enfants de développer leur curiosité, tout en stimulant leur créativité. Ce qui les rendra plus sûrs d’eux-mêmes en grandissant et probablement les aidera à avoir plus de discipline personnelle.L’un des problèmes qui se posent avec l’art contemporain reste la propension des artistes à produire de très grandes pièces; vous citez l’exemple de Waltércio Caldas hésitant à vous céder une grande installation, parce que vous n’aviez pas encore de place pour elle. Sachant que, d’autre part, vous cherchez avant tout à bâtir une collection représentative de la scène artistique brésilienne, envisagez-vous, un jour, de créer un musée ou une fondation, quelque part en Europe, qui permettrait de faire dé- couvrir le talent des artistes brésiliens ?
Non seulement j’en rêve, mais je l’envisage très sérieusement comme un objectif que j’espère atteindre. Un espace ouvert au public, qui pourra recevoir le travail de quelques années. C’est presque un cadeau que j’aimerais faire aux artistes et à ma famille, pour les années de convivialité et de plaisir que l’art nous a apportées. Le lieu n’a pas encore été choisi, mais j’éprouve une forte attraction pour Lisbonne. Comme j’aimerais avoir un espace destiné principalement à l’art contemporain brésilien, et que le lien Brésil-Portugal est très fort, c’est une idée qui mûrit assez bien.Vous êtes particulièrement attaché à certains artistes, comme Waltércio Caldas, justement, ou José Bechara, qui sont relativement peu connus en Europe. Pouvez-vous nous parler d’eux ?Ce sont deux artistes de générations différentes: Waltércio des années 70 et Bechara des années 90, tous deux ayant de forts liens avec la meilleure tradition néoconcrète brésilienne. Waltércio a un parcours considérable: participations à d’importants événements internationaux tels la Documenta-Kassel, les Biennales de Venise et de São Paulo. Quant à Bechara, il fait partie des collections du Centre Georges Pompidou en France, du Culturgest au Portugal. S’ajoutent à cela ses participations à la Biennale de São Paulo et à celle du Mercosul. Cette année, pour célébrer ses vingt ans de carrière, il fera une exposition au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro. Ce sont des noms parmi d’autres, dans lesquels je place toute ma confiance quant à leur talent, ainsi qu’à leur engagement dans l’ensemble de leur œuvre.