UN AUTRE REGARD ET TANT D’HISTOIRES

La Fondation Cartier met Paris au centre du monde. Voyage à destination d’un vaste univers artistique faussement naïf, celui des autodidactes tournés vers l’art actuel mondialisé. Histoire de voir, d’admirer, de comprendre, d’aller au plus profond de l’humain et de la création. L’architecture de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, mariage du verre et de l’acier, est un parfait vaisseau qui nous emporte dans l’exposition organisée cet été. Embarquement immédiat dans l’arche de Nouvel (Jean) ! Le lieu donc et le concept de l’événement permettent au grand public de faire un fabuleux voyage aux quatre coins du monde et d’entendre un salutaire dialogue entre les artistes autodidactes – en réalité très au fait des techniques de l’art contemporain – souvent considérés comme «naïfs» ou «singuliers» et les institutions dédiées à l’art contemporain où ils sont rarement invités. Tout est dit dans le titre: Histoires de voir. Show and Tell. Il s’agit bien de découvrir les œuvres présentées (peinture, dessin, sculpture, film) mais aussi de connaître le contexte de leur production, et, de façon plus générale, de découvrir leur créateur. Voyage dans l’espace-temps ! Le parcours de l’exposition, sur les deux niveaux du «bâtiment», est ponctué d’escales; à chaque artiste un espace spécifique assez important est en effet consacré. Disons-le franchement, il faut du temps pour effectuer ce périple ! Pour examiner les très nombreuses pièces exposées (plus de 400 !), pour lire «l’histoire» de chaque artiste, judicieusement inscrite sur des totems, pour visionner les documentaires (plus de 3 heures de...

La Fondation Cartier met Paris au centre du monde. Voyage à destination d’un vaste univers artistique faussement naïf, celui des autodidactes tournés vers l’art actuel mondialisé. Histoire de voir, d’admirer, de comprendre, d’aller au plus profond de l’humain et de la création.

L’architecture de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, mariage du verre et de l’acier, est un parfait vaisseau qui nous emporte dans l’exposition organisée cet été. Embarquement immédiat dans l’arche de Nouvel (Jean) ! Le lieu donc et le concept de l’événement permettent au grand public de faire un fabuleux voyage aux quatre coins du monde et d’entendre un salutaire dialogue entre les artistes autodidactes – en réalité très au fait des techniques de l’art contemporain – souvent considérés comme «naïfs» ou «singuliers» et les institutions dédiées à l’art contemporain où ils sont rarement invités. Tout est dit dans le titre: Histoires de voir. Show and Tell. Il s’agit bien de découvrir les œuvres présentées (peinture, dessin, sculpture, film) mais aussi de connaître le contexte de leur production, et, de façon plus générale, de découvrir leur créateur.

Voyage dans l’espace-temps ! Le parcours de l’exposition, sur les deux niveaux du «bâtiment», est ponctué d’escales; à chaque artiste un espace spécifique assez important est en effet consacré. Disons-le franchement, il faut du temps pour effectuer ce périple ! Pour examiner les très nombreuses pièces exposées (plus de 400 !), pour lire «l’histoire» de chaque artiste, judicieusement inscrite sur des totems, pour visionner les documentaires (plus de 3 heures de film), pour se laisser imprégner par le «charme», au sens magique du terme; enfin, pour se laisser aller à l’humanité.

Car il s’agit bien de cela, devant l’éventail des créations relevant de l’art dit primitif, populaire. Qu’importe l’appellation, seul compte le regard émerveillé que ces autodidactes, souvent «inspirés», portent sur le monde. Leur œuvre est, comme le souligne le conservateur en charge de l’exposition, Leanne Sacramone, «en lien étroit avec l’hypersensibilité du cœur». Le spectateur ressent de l’émerveillement face à la beauté et la diversité des pièces présentées, et prend conscience de leur spécificité, en dehors des canons de l’art traditionnel occidental, loin des codes académiques, des genres et des catégories. L’exposition – qui devient ainsi un véritable événement – révèle un vaste réseau de correspondances, de complicités secrètes entre des œuvres issues de pays et de cultures différents. Dialogue Nord-Sud entre l’Europe, l’Afrique (Congo, Sénégal), l’Amérique du Sud, les États-Unis, l’Inde, le Japon. Une exposition-monde, foisonnante et luxuriante, où les thèmes, les expressions, les supports et les matières se font écho. Certaines œuvres proposent des histoires «immédiates» dans leur traitement figuratif ou narratif, où les motifs sont ceux des paysages débordant de couleurs (et souvent de bonheur), de la faune et de la flore. Certaines même, comme l’étonnante série de dessins de la communauté Huni Kui, sont de véritables énigmes graphiques: elles «illustrent» des traditions et des rituels de l’Amazonie brésilienne; d’autres tendent vers l’abstraction.

Devant cette profusion, nos coups de cœur sont multiples. Le Japonais Tadanori Yokoo joue la carte de la parodie et du détournement en reprenant, de manière décalée et humoristique, un rien iconoclaste, les célèbres toiles du Douanier Rousseau. Les Haïtiens Jean-Baptiste Jean Joseph, avec ses œuvres textiles rehaussées de paillettes brodées, et Sibrun Rosier avec ses drapeaux perlés, fascinent et ouvrent un passage vers le monde du vaudou. Mamadou Cissé, né au Sénégal mais vivant en France, réinvente la ville dans ses dessins (feutre et encre sur papier), par un travail de quadrillage associant l’architecture et le cinétisme avec un effet tridimensionnel saisissant. L’Indien Jivya Soma Mashe propose trois grandes toiles étonnantes de finesse et d’étrangeté poétique, où la peinture acrylique blanche se marie à… la bouse de vache, sombre et puissante. Évoquons aussi l’œuvre d’un autre prince… chaman, le Mexicain Gregorio Barrio: ses sculptures masques, perles multicolores sur bois, ou «chaquira», comme autant de variations sur la tête du jaguar, parlent de rituels et de plantes sacrées et hallucinogènes, telles le peyotl. 

Toutes ces œuvres cohabitent, plus ou moins bien à notre avis, avec les sculptures et l’installation de La petite cathédrale recouverte d’une scintillante mosaïque en pâte de verre, d’Alessandro Mendini. Le designer italien signant aussi, comme un véritable metteur en scène, la spectaculaire scénographie de l’exposition. Les matériaux, les formes, les couleurs des panneaux semi-circulaires peints chacun dans une palette de couleurs pastel en espaces «réservés», tout concourt, dans une circulation aérée, à créer un univers délicat, en décalage par fois avec la force et le mystère de certaines œuvres. «Chacune des œuvres exposées se présente comme un document de vie… l’objectif est de rendre hommage à ces exceptionnelles “histoires de voir”, en mettant en évidence la magie de l’hyper-humanité», ajoute Alessandro Mendini.

Mariage de l’art populaire, primitif, issu des racines du monde, et de l’art actuel irrigué par la modernité, l’exposition nous invite à réfléchir à ces noces intriguantes. En effet, si les artistes exposés se sont tous formés en dehors des filières académiques, ils se révèlent proches des créateurs occidentaux contemporains. Ils connaissent les techniques d’avant-garde et le langage de l’art mondialisé actuel, pour ne pas parler de ses réseaux commerciaux. Si nous pouvons nous émerveiller devant l’inventivité, l’ironie, voire les «trouvailles» de telle ou telle œuvre, nous ne pouvons guère, pour autant, lui attribuer une «innocence primitive»… Cette nuance ne doit pas nous faire renoncer à découvrir les artistes de la Fondation Cartier: à chacun, maintenant, d’écouter des œuvres, de voir des histoires…

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