Dans l’intimité des collectionneurs
Quand un joaillier se prend de passion pour son jardin, tout y est luxe, calme et volupté. Fantaisie aussi, mais contrôlée. Plus un soin exigeant apporté aux moindres détails.
Disons-le d’emblée, le terrain est de dimensions relativement modestes. Pourtant, il paraît vaste et dégagé, à cause d’un savant jeu de perspectives. Certains arbres, traités comme des bonsaïs, contribuent à l’illusion, d’autant plus que l’absence d’un point de vue privilégié rend l’estimation des distances et des surfaces difficile.
Tandis qu’un chemin ombragé fait le tour de la parcelle, un rideau de grands chênes, tout au fond, l’isole complètement du voisinage. Aucun bruit, aucune nuisance ne vient troubler la paix du lieu, pourtant proche de la ville.
À l’origine, il y avait un simple verger. Pour le transformer en jardin d’agrément et lui conférer l’aspect abouti qu’il offre aujourd’hui, il a fallu près de quarante ans ! En effet, innombrables furent les expérimentations, les repentirs, les modifications, les enrichissements. Heureusement ce travail inlassable, cet effort continu ne se laisse pas deviner, arbres et plantes paraissant pousser là par plaisir.
Un bosquet de bambous, très serrés, apportent une touche d’exotisme, qui s’accorde bien avec certains éléments japonisants: rocher isolé, allées de gravier ratissées de façon à former des vagues. Mais c’est l’Italie qui domine : oliviers (dans des jarres), pins parasols, cyprès, buis taillés, murs de pierres sèches. Posés au sol, deux ornements de toit qui proviennent d’un palais vénitien et pesant une tonne chacun.
Le maître des lieux, même s’il s’est fait aider par des gens de métier, a tout décidé lui-même, sans se laisser influencer. Et il n’hésite pas à manier le sécateur à son tour, quand il le faut. Comme personne, il sait tirer parti de tout obstacle. Le gazon refuse-t-il de verdir à tel endroit, il détourne une allée pour passer par-dessus. Un vieux pommier, vestige du verger originel, n’en finit-il pas de mourir, il tord ses branches pour l’incorporer à une treille. Lutte incessante, où il fait preuve de la même ténacité que dans les sports nautiques (régates), où il excelle.
Quant à l’inévitable piscine, elle n’a rien d’ostentatoire, d’hollywoodien. Conçue plutôt comme une pièce d’eau décorative, elle se découvre en marge du jardin, sur une légère éminence. Un gracieux pavillon, faisant office de serre, l’accompagne, et on y voit à l’intérieur une porte en bois, typique de l’Inde des maharadjahs. En outre, disposées sur les bords, une table en verre et une desserte en marqueterie de marbre invitent aux repas entre amis, quand l’été bat son plein. Des repas qui se donnent généralement le soir, pour qu’on puisse admirer l’illumination raffinée du jardin.
Cependant, l’originalité de celui-ci tient d’abord aux sculptures que le propriétaire a disposées de place en place. Musée en plein air, comme on en voit beaucoup aujourd’hui ? Certainement pas. Il s’agit seulement de peupler l’espace, de ménager des surprises au détour d’une allée ou par derrière un bosquet.
L’artiste le mieux représenté est Emanuele de Reggi. Né à Florence en 1957, il réside habituellement à Pietrasanta, comme beaucoup de ses confrères. Son grand bronze, intitulé Avvistatrice, représente une femme accroupie, qui pointe son bras droit en direction de quelqu’un ou de quelque chose, qu’elle seule est censée apercevoir. L’autre statue, dite Francesco, figure un garçon en pantalon, torse nu, dont les bras étendus servent de perchoir aux oiseaux, évidente référence à François d’Assise. Une troisième statue est l’œuvre du Polonais Wieslaw Domański. Son sujet ? Le Don, celui d’une pomme, qu’une jeune Ève, au corps étiré, élève au-dessus de sa tête. Du même artiste, on peut admirer une tête isolée, celle de la mythique Daphné, dont la chevelure flotte au vent de la course, ainsi que dans le fameux groupe du Bernin. Et, parmi les grands bronzes, on trouve encore celui du sculpteur français bien connu, Louis Cane: une femme nue, gracile et hiératique, conforme au canon esthétique de l’ancienne Égypte. Enfin, on ne saurait oublier la série de bustes en terre cuite de Paolo Sandulli, un personnage étonnant, qui a pour atelier une petite forteresse de la côte amalfitaine. Rangées sur un mur, comme des pots de géranium, ces œuvres faussement naïves introduisent dans le décor une note ludique, telle que les jardins baroques de Palerme en donnent l’exemple.