Un certain art de la fuite

Mathieu Mercier, le commissaire, place le visiteur dans la situation d’une exploration qui ne garantit rien à l’avance. Le titre énonce l’incertitude sans dévoiler le contenu. Le bruit circule à peine qu’une discrète idée de «nature» aurait présidé à l’accrochage.L'espace de la Fondation d’entreprise Ricard a été redessiné. Jakob et Marcfarlane en sont les architectes. La clarté spatiale prédomine, afin que la plasticité du lieu permette, à chaque exposition, l’aménagement d’un espace spécifique. C’est l’artiste plasticien Mathieu Mercier qui a été sollicité pour concevoir l’exposition d’inauguration, au cours de laquelle l’un des artistes présentés se verra décerner le Prix annuel de la Fondation, récompensant un jeune artiste représentatif de la scène française. À cet effet, le commissaire a sélectionné onze travaux pour un accrochage très ouvert où prime le «travail» du visiteur.Mathieu Mercier conçoit le commissariat comme une pratique séparée de son travail d’artiste. Il s’est lui-même fait connaître grâce à des réalisations inspirées par la culture industrielle de loisir (Mathieu Mercier a notamment été lauréat du Prix Marcel Duchamp en 2003). Le commissariat est pour lui une pratique occasionnelle. On reconnaît cependant dans Dérive des traits caractéristiques des ses travaux: univers d’objets, propositions visuelles fortes et claires, dans lesquelles la complexité jaillit de la rencontre des codes enlacés. Le titre en revanche n’indique rien sur le type de cette «dérive». L’invitation nous est simplement, délicatement faite de tenter l’expérience.L’«idée» d’une exposition ayant trait à la «nature» aurait été à la base du projet, reconnaît Mercier. Mais une «idée» qui...

Mathieu Mercier, le commissaire, place le visiteur dans la situation d’une exploration qui ne garantit rien à l’avance. Le titre énonce l’incertitude sans dévoiler le contenu. Le bruit circule à peine qu’une discrète idée de «nature» aurait présidé à l’accrochage.
L’espace de la Fondation d’entreprise Ricard a été redessiné. Jakob et Marcfarlane en sont les architectes. La clarté spatiale prédomine, afin que la plasticité du lieu permette, à chaque exposition, l’aménagement d’un espace spécifique. C’est l’artiste plasticien Mathieu Mercier qui a été sollicité pour concevoir l’exposition d’inauguration, au cours de laquelle l’un des artistes présentés se verra décerner le Prix annuel de la Fondation, récompensant un jeune artiste représentatif de la scène française. À cet effet, le commissaire a sélectionné onze travaux pour un accrochage très ouvert où prime le «travail» du visiteur.Mathieu Mercier conçoit le commissariat comme une pratique séparée de son travail d’artiste. Il s’est lui-même fait connaître grâce à des réalisations inspirées par la culture industrielle de loisir (Mathieu Mercier a notamment été lauréat du Prix Marcel Duchamp en 2003). Le commissariat est pour lui une pratique occasionnelle. On reconnaît cependant dans Dérive des traits caractéristiques des ses travaux: univers d’objets, propositions visuelles fortes et claires, dans lesquelles la complexité jaillit de la rencontre des codes enlacés. Le titre en revanche n’indique rien sur le type de cette «dérive». L’invitation nous est simplement, délicatement faite de tenter l’expérience.L’«idée» d’une exposition ayant trait à la «nature» aurait été à la base du projet, reconnaît Mercier. Mais une «idée» qui n’a rien d’arrêté. Elle a plutôt agi comme un moteur pour l’imagination du commissaire. Jamais énoncée explicitement dans l’exposition, l’idée se manifeste comme l’horizon d’une interaction des œuvres entre elles, et celle que, dans leurs liens comme dans leur indépendance, elles proposent à l’approche du visiteur. Pas d’illustration donc, ni de pédagogisme.Avant tout, Mathieu Mercier vise à mettre en place la circulation fluide des visiteurs dans le travail du sens. La construction de l’accrochage est ici celle d’un propos sans lisibilité pré-établie, qui s’articule directement là où le spectateur établit des liens. C’est lui qui élabore, lui qui conduit le questionnement de l’exposition, de centrages en débordements, et génère un terme qui ne se fixera jamais en thème, car les pièces sont trop ouvertes. Mercier souhaite que l’exposition travaille dès les visuels de présentation. Que le visiteur puisse s’introduire dans la marge maîtrisée de la dérive. Il faut qu’il ait le temps de penser, car les œuvres sont complexes, et peuvent l’emmener dans plusieurs directions. Il faut que celles-ci installent leur propre temps.Voyons Fugazi, de Wilfrid Almendra, par exemple, proposition alliant plusieurs matériaux pour une forme à la fois unie et bigarrée: de très larges lames disposées sur le sol, alors qu‘au centre un promontoire de résine à antennes flottantes s’installe comme un pistil en digression. Plus loin, une roche en pivot, dans une paroi de l’exposition, comme une porte, pour Passe Apache, de Virginie Yasssef. C’est l’extrait d’un mont, l’éclat d’un conte ou, du point de vue du visiteur, un «passage vers». L’exposition comme lieu d’imagination et l’œuvre comme métonymie d’un environnement. Mais en contrepartie, comme pour ne jamais rien fixer, on trouve un paysage miniature: Down the uncanny valley, de Marc Etienne. Si nous sommes irrémédiablement étrangers à ce paysage-là – question d’échelle –, à quel paysage appartenons-nous ? Par ailleurs, tout devient accessible à l’observation en détail, et en surplomb. Perspectives de notre pouvoir de vision.

Le rapport à l’observation de la nature «verte», par l’œil nu ou par la science est problématisé avec Genau. Sur une planche botanique traditionnelle, Stéphane Calais superpose en étages quatre thèmes visuels abstraits. Appliqués à l’approche naturaliste, ils agissent comme des filtres, évoquant selon le cas l’iris, le rapprochement du microscope ou la disparition sous la construction. Sensation stable, agréable. Pourtant le parcours est syncopé, et la fuite reprend dans la proposition de Christophe Berdaguer et Marie Péjus: Dreamland / disparaître ici. Une silhouette beaucoup plus obscure et plus dure que les précédentes, peut-être un ensevelissement. Faite de carton plume léger mais âpre, la forme reprend celle des avions furtifs del’armée. Des jambes dépassent, de là-dessous. Le corps et les confins se retrouvent dans la furtivité, et, pièce après pièce, se confirme une propension au désir de fuite, récurrent dans l’exposition. Désir qui se donne ici une allure agressive. Protection peut-être. Il y a d’ailleurs un brouilleur d’onde, là, à côté.Quant à Régine Kolle, elle peint des ossements. Final Bones Rest, huile sur toile. De multiples fémurs disposés, à moins qu’ils ne soient précipités. Dans l’espace. Dans une direction prolongée par le Double Vega de Julien Bouillon, en point final de l’exposition: la vidéo présente un dé coloré qui, passant au premier plan, repart au loin, en boucle sidérale.

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