On appelle «groupe» une ronde-bosse à plusieurs personnages, souventplus de deux. L’Antiquité pratiquait ce genre très prisé. Mais rares sont les exemplaires de marbre, taillés dans un seul bloc, qui sont restés intacts. Un collectionneur belge a le privilège d’en posséder un, miraculeusement épargné par les restaurations abusives.
Quand Létô (en latin: Latone) se trouva enceinte de Zeus, elle eut à subir la jalousie d’Héra, l’épouse bafouée.Celle-ci interdit à toutes les terres sous le soleil de lui donner asile. Seule l’île rocheuse et stérile d’Ortygie passa outre et là, au pied du palmier sacré, Létô accoucha dans la douleur des jumeaux Apollon et Artémis. En récompense, l’île reçut le nom de Délos, la Brillante. Dorénavant, nul n’aurait plus le droit d’y naître, ni d’y mourir…En compagnie de ses enfants, Létô prit ensuite le chemin de Delphes, où elle se heurta à Python, un serpent monstrueux. Mais son fils Apollon, âgé d’à peine trois jours (!), le tua de ses flèches, prenant du même coup possession des lieux.
Bien entendu, Létô reçut un culte à Délos, où les Naxiens lui élevèrent un temple, le Létôon (540 av. J.-C.), précédé d’une large allée bordée de lions en pierre. Hormis ce sanctuaire originel, la déesse avait peu d’autres lieux de culte à son nom, les plus notables ne se trouvant pas en Grèce, mais en Asie Mineure, à Xanthos (Lycie) notamment.Une statue en marbre, plus petite que nature, représente le groupe de Létô, Apollon et Artémis. La déesse porte ses enfants hauts levés, un sur chaque bras. Ils n’ont pas l’aspect de nouveaux nés, mais d’adultes en miniature. Apollon, à droite, tient son arc prêt à tirer; Artémis, à gauche, semble au contraire mal à l’aise, se servant des deux mains pour se maintenir en équilibre. Le premier est vêtu d’une chlamyde, la seconde d’un himation. Quant à leur mère, elle porte un ample péplos à rabat, qui bouffe à la taille. Ses pieds sont pris dans des sandales.
La déesse a une allure encore juvénile. Sa belle chevelure, plaquée sur le crâne par un bandeau, forme à l’arrière un chignon, d’où s’échappent deux longues mèches, ondulant sur les épaules. Les trous dans le lobe des oreilles révèlent qu’elle portait à l’origine des boucles métalliques, faites à part.Mais ce qui retient l’attention, c’est le pas de côté que Létô exécute, un pas assez impétueux pour faire flotter son péplos comme par grand vent. Ce mouvement exprime la fuite, même si le visage netrahit aucune émotion. Pourquoi cette fuite ? À cause du serpent qui, après avoir passé sous le vêtement de la déesse, surgit entre ses jambes, menaçant. Ce reptile n’est autre que Python, dont son fils ne tardera pas à la débarrasser.Le socle ovale de la statue est pourvu sur le devant d’une longue inscription de deux lignes, rédigée en caractères grecs. Il s’agit d’une dédicace à Létô, par un certain Attalos, fils d’Apollonios d’Antioche. Le lieu de déposition n’est pas mentionné, mais on pense évidemment au temple d’Apollon à Daphné, faubourg de la ville (actuelle Antakya en Turquie).
Les sources antiques mentionnent plusieurs statues de Létô, certaines d’époque archaïque, les autres étant attribuées à des maîtres du classicisme, Polyclète, Scopas, Praxitèle, Euphranor. De ce dernier, Pline (Hist. Nat. XXXIV, 77) déclare qu’il a vu une Létô en bronze, exposée à Rome dans le temple de la Concorde. Il la décrit comme «Apollinem et Dianam infantes sustinens», c’est- à-dire portant ses enfants dans les bras.Ce chef-d’œuvre disparu serait-il à l’origine du groupe en marbre présenté ici ? L’hypothèse est séduisante, mais improbable, car elle ne tient pas compte de ce qu’on sait du style d’Euphranor, sobre et peu massif. Et cette objection vaut également pour deux autres petites sculptures du même sujet, l’une à Rome, dans la collection Torlonia, l’autre en Turquie, au musée de Burdur.Donc, rejetant la référence à Euphranor ou à un autre grand nom de la sculpture grecque, il vaut mieux postuler l’existence d’une création d’époque romaine, de caractère composite, dont on aurait tiré une série de variantes, en format réduit et à usage votif.Cette interprétation n’enlève rien à l’importance de la sculpture qu’on a sous les yeux. Baroque avant la lettre, elle imposait au sculpteur de maîtriser la technique, surtout l’emploi des tenons pour soutenir les parties fragiles. Il s’est livré aussi à un travail de finition exemplaire. Pour dater son ouvrage, il suffit de considérer le rendu des yeux, iris gravé et pupille creusée en lunule. Cet indice sûr indique la fin du IIe siècle après J.-C.