Vera Michalski est née Vera Hoffmann à Bâle. Fille de, petite fille de, épouse de… elle est aujourd’hui à la tête d’un groupe éditorial helvético-franco-polonais de premier plan. Cette femme discrète et sauvage se livre peu, voyage tout le temps, crée une Fondation pour l’Écriture et la Littérature (à Montricher), soutient le Festival des Sommets Musicaux de Gstaad et participe aux rencontres de la photographie à arles. Entretien.
Lorsque l’on observe tout ce que vous entreprenez, on cherche l’unité, la cohérence. Où est-elle ? Vera Michalski: Elle est le fruit d’une histoire: celle de ma famille, celle de mon mari décédé trop tôt. Elle est le fruit des lieux: Bâle où je suis née, Arles et Genève où j’ai vécu, Paris et la Pologne où je séjourne et le pied du Jura vaudois où je vis. Elle est enfin le fruit de la spontanéité, de l’intuition et des coups de cœur, les maîtres-mots pour moi dans l’univers de la création.
Vous travaillez actuellement à la construction de la «Maison de l’Écriture» en Suisse, à Montricher. Quel en est le concept ? C’est d’abord un lieu, un paysage extraordinaire que mon mari aimait particulièrement, peut-être parce qu’il lui rappelait sa Pologne natale. C’est là que nous avions fondé les éditions Noir sur blanc dont nous fêterons les 25 ans en 2012. Il s’agissait de faire connaître la littérature de l’«Autre Europe» – comme on appelait alors le bloc de l’Est – au monde francophone. Les deux piliers du catalogue étaient la Pologne et la Russie. Nous avons publié des auteurs slaves classiques et contemporains en langue française et, inversement, fait traduire des Français en polonais tels que Jean Echenoz, Frédéric Beigbeder, Pierre Assouline, Nicolas Bouvier ainsi que des auteurs américains tels que Henry Miller ou Paul Auster. C’est enfin à Morges près de Montricher que Jan Ignacy Paderewski s’installa en 1897. Il lui avait été demandé pendant la Deuxième Guerre mondiale d’observer la neutralité helvétique et de se taire – ce qu’il ne fit pas. On le pria de quitter le pays et il partit pour les États-Unis où il mourut en 1941. L’épisode est peu glorieux pour la Suisse mais la haute figure de cet immense personnage de la politique et de l’histoire polonaises y laisse une empreinte.
Le chantier que vous entreprenez est gigantesque. Vous prévoyez une résidence d’écrivains, une bibliothèque, un auditorium, un lieu d’exposition. Comment coordonner l’ensemble ? C’est assez insolite, en effet. Vincent Mangeat et Pierre Wahlen, les architectes, ont imaginé une petite cité sous une canopée ajourée. Les écrivains qui viendront seront logés dans des cabanes suspendues créées elles-mêmes par de jeunes architectes qui concourront prochainement. Ils pourront ainsi s’isoler pour travailler, conduire un projet ou terminer un ouvrage. Vous savez, il arrive qu’il ne manque que deux ou trois semaines d’isolement pour terminer un livre. Les auteurs doivent toujours concilier l’alimentaire et la création – ce qui n’est pas évident. Pour certains, l’isolement est important; d’autres écriront dans le brouhaha d’un café. D’une façon générale, la solitude engendre la création littéraire. En outre, ils disposeront d’une bibliothèque de plus de 80 000 volumes, et de connexions Wi-Fi. La bibliothèque regroupera des livres de littérature européenne en traduction et langue originale. L’auditorium pourra recevoir une centaine de personnes pour des lectures, du théâtre et de la musique. Ce sera un lieu d’accueil et de travail qui répondra aux besoins des auteurs. Il est évident que nous y attendrons aussi du public.
Dans un lieu si retiré ? Il y a une gare pas loin, nous sommes à 30 minutes de Lausanne et à une petite heure de Genève. Le 20 lieu, reculé, n’est pas un endroit perdu on ne sait où et nous pensons que le public viendra visiter les expositions notamment, pourvu qu’elles soient de qualité.
Disposerez-vous d’une collection permanente ? Non et oui (rire). Nous avons une œuvre, une seule ! La Fondation a acheté une œuvre de Thomas Hirschhorn The Nietzsche Car à ArtBasel en 2009. Il s’agit d’une voiture américaine couverte de pages et de livres de Nietzsche dans toutes les langues. Après cette acquisition et en attendant la fin du chantier, je l’ai proposée à divers musées. Et j’ai essuyé des refus. La voiture est en ce moment au garde-meuble. Nous avons demandé à Thomas Hirschhorn où il la voyait dans la Fondation. Il a répondu: «N’importe où! Sur le parking…» Façon de désacraliser une œuvre d’art !
Les expositions temporaires seront consacrées à l’écriture: des manuscrits, des expositions biographiques sur des auteurs, des dessins d’écrivains, des artistes calligraphes en partenariat avec des associations d’auteurs, des musées, des bibliothèques nationales…
Peut-on imaginer que des écrivains vous confient leurs archives, leurs manuscrits ? La question m’a déjà été posée. Je suis prudente voire réservée. On risque à terme de manquer de place et de se fossiliser dans le gardiennage d’archives ce qui n’est pas la vocation de la Fondation qui, je le répète, est un outil offert à des auteurs pour créer, pour écrire, un lieu vivant qui se projette dans l’avenir.
Et pourquoi pas des expositions de photographes ? N’êtes-vous pas aussi investie à Arles ? Tout est ouvert mais je ne suis pas investie à Arles comme vous le dites. J’y ai passé mon enfance et connais les Rencontres de la photo depuis leur origine. Ma sœur, Maja Hoffmann, est beaucoup plus ancrée dans ce paysage à travers la fondation Luma qu’elle a créée. J’aime la photographie, bien sûr, et nous venons de créer à Arles une maison d’éditions spécialisée en photographie du nom de Photosynthèses…
Collectionnez-vous des photographies ? Non, je n’appelle pas cela collectionner même s’il m’arrive d’acheter des œuvres qui me touchent ou de suivre des artistes comme Peter Beard qui a travaillé avec Karen Blixen, Andy Warhol, Francis Bacon. Nous préparons un livre avec lui. Encore une fois, il s’agit de coups de cœur et pas d’une véritable démarche de collectionneur avec ses codes très arrêtés.
Vos maisons d’édition, réunies dans le Groupe Libella, publient aussi des beaux livres avec, entre autres, des livres de photographes. Quelle est votre stratégie éditoriale ? Le coup de cœur, toujours. Actuellement, je pour suis Bob Wilson pour un ouvrage de mille pages retraçant l’ensemble de son œuvre, qu’elle soit littéraire (ce qu’on méconnaît), scénographique ou picturale sans parler de son activité de vidéaste ou de dessinateur. Je ne blague pas en vous disant que je le poursuis: Athènes, Manchester, Madrid où il monte des pièces ou des opéras… Pour moi, il s’agit de publier toute son œuvre depuis 1961. Bob Wilson est un artiste polymorphe. Il jouera Beckett à Paris prochainement. Nous venons de publier, chez Phébus, un livre des photos intitulé Jack London photographe. Il s’agit de montrer les photos réalisées par ce grand auteur pendant ses pérégrinations; voilà un document inoubliable. Phébus réalise un à deux beaux livres par an. Regardez Soleil rouge, chefs-d’œuvre de la peinture japonaise de Nelly Delay ! Ou encore le beau livre que Françoise Cloarec a consacré à Storr, architecte de l’ailleurs.
Qui ça ? Marcel Storr est né en 1911. Orphelin, il fut confié à des familles d’accueil. Certaines le maltraitèrent au point qu’il en devint sourd assez vite. Il se maria cependant avec la concierge de l’école primaire de Montmartre. Ils n’eurent pas d’enfants. Marcel était cantonnier de la Ville de Paris. Au fur et à mesure de ses déplacements, il dessinait son environnement, la ville puis la ville imaginée et enfin la ville du futur. Ses voisins, intrigués par ces dessins colorés qu’il ne montrait pas, se sont mués en collectionneurs et en propagandistes de son œuvre. Il est mort en 1976 et son œuvre a été exposée pour la première fois en 2001. Ce sont des dessins étranges, futuristes et grandioses d’un grand intérêt qui sont rassemblés dans l’exposition «Storr, Bâtisseur visionnaire» qui a ouvert le 15 décembre à Paris au Carré Baudouin. Le dessin a toujours eu une place importante dans notre production éditoriale à travers Les Cahiers dessinés qui fêteront bientôt leurs dix ans d’existence. Nous y avons publié entre autres Pierre Alechinsky, Alberto Giacometti, Cartier-Bresson, Apollinaire, André Girard ou Gébé… Nous avons publié un livre de dessins d’écrivains, en collaboration avec l’Abbaye d’Ardenne, siège de l’IMEC en accompagnement d’une exposition. Au départ des Cahiers dessinés, coexistaient une revue de grand format, Le Cahier dessiné, qui paraissait deux fois par an et des monographies consacrées à des artistes. La fabrication avait une telle qualité que le coût en librairie était dissuasif pour le public que nous visions. Nous allons relancer cette formule l’an prochain avec une revue de plus petit format prévoyant des débats sur le dessin.
Que recherchez-vous dans un dessin ? Une forme d’art négligée parce que spontanée. Pour moi le dessin est la base de l’art. Dans une esquisse, je cherche l’univers créé d’un trait, l’immédiateté. J’aime l’humour poétique en noir, blanc et rouge de Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau. Ou le dessin mordant d’André Girard.
Et puis, il y a la musique. Les éditions Buchet-Chastel sont connues pour leur intérêt pour la musique. Nous continuons sur cette lancée en publiant les Grands violonistes du XXe siècle acompagné d’un CD de 8 heures de musique qui sera suivi par les Grands pianistes. La musique est une sorte d’héritage familial. Ma mère était Daria Razumovsky, descendante du dédicataire des trois quatuors de l’opus 59 de Beethoven. Nous avons toujours baigné dans la musique de façon instinctive, encore une fois, sans pratique mais avec passion. Mon «beau-grand-père» était Paul Sacher, grand mécène et chef d’orchestre. Avec ma grand-mère, il avait hébergé Bartók pendant la guerre. Grâce à lui, j’ai rencontré des compositeurs comme Lutoslawski, Dutilleux, Boulez. Sa fondation, à Bâle, regroupe un corpus extraordinaire de manuscrits, d’autographes, de partitions. Cet homme ardent dirigea des centaines de concerts par passion. Pour la jeune fille que j’étais, côtoyer ces œuvres-là revenait à me les approprier.
Est-ce pour honorer sa mémoire que vous soutenez le Festival des Sommets Musicaux de Gstaad ? Pas uniquement. Ce festival récent est d’une grande qualité. Il permet de faire cohabiter pendant une semaine de jeunes artistes qui jouent l’après-midi avec des professionnels aguerris qui se produisent en concert le soir. C’est très stimulant et porteur. Il faut en tout cas le soutenir. J’ajoute que le mécénat est un devoir quand les crises financières affectent les États. C’est une façon de rappeler combien la culture est précieuse, fondamentale. Avec mon mari, Jan Michalski, nous avons misé sur l’édition parce que nous avions la conviction que la connaissance de la «production intellectuelle» des pays de l’Europe de l’Est s’imposait pour éviter les malentendus qui provenaient de l’ignorance. C’est sans doute un peu présomptueux de dire cela ainsi aujourd’hui mais cette énergie-là est nécessaire dans tous les arts. Et si primordiale de nos jours ! J’insiste sur ce devoir.
Revenons à votre ligne éditoriale. Votre groupe semble une mosaïque. Qu’est-ce qui y prédomine ? «Noir sur Blanc», né et toujours basé en Suisse, fait connaître la littérature de l’Est, depuis Lausanne. Inversement, «Oficyna Literacka Noir sur Blanc» publie des auteurs étrangers phares mais aussi de la littérature de voyage comme celle de Nicolas Bouvier ou de Blaise Cendrars et quelques auteurs polonais tels que S. Mrożek. «Wydawnictwo literackie» (WL), notre autre maison polonaise, le Gallimard polonais comme l’appellent certains, vient d’obtenir le Prix Nike considéré comme l’équivalent du Goncourt, pour un ouvrage de Marian Pilot. Tout en publiant de grands auteurs internationaux tels qu’Orhan Pamuk, WL fait la part belle à la littérature polonaise. Les Cahiers dessinés, animés par Frédéric Pajak, nous en avons parlé. Il y a aussi Buchet-Chastel qui existe depuis 1929 et qui a le vent en poupe en ce moment grâce à Pascale Gautier, une directrice éditoriale hors pair pour la littérature française. Une nouvelle collection de littérature française, «Qui Vive», vient d’être lancée. Jean-François Delage relance les essais. L’histoire de cette maison est intéressante. Edmont Buchet était Suisse. Il a écrit un ouvrage, Les Auteurs de ma vie, qui est moins un livre de mémoires que l’expression d’un élan littéraire. Pour lui, l’édition est le seul métier qui fasse coïncider le commercial et le créatif. Il a beaucoup travaillé sur l’évolution du livre. Je puis dire que je fais mien son credo. Il travaillait avec Jean Chastel qui s’occupait de l’intendance. On raconte parfois que le trait d’union entre les deux noms aurait dû être une barre oblique car les deux hommes avaient des relations parfois houleuses.
Nous travaillons actuellement à la vie du fonds qu’ils ont rassemblé. Grâce à Maurice Nadeau, la littérature étrangère y figure en majesté. Elle est aujourd’hui sous la responsabilité de Marc Parent. Nous allons d’ailleurs publier la correspondance entre Nadeau et Henry Miller… En février 2012, nous célébrerons le centenaire de la naissance de Lawrence Durrell, auteur du mythique Quatuor d’Alexandrie, ensemble de quatre romans qui ont marqué l’histoire de la littérature. Enfin, nous relançons le fonds sur la musique. Edmond Buchet, proche de Yehudi Menuhin, jouait du piano et recevait beaucoup d’artistes dans sa maison du Vésinet. Il a publié aussi des livres sur le yoga qui se vendent bien. Parmi nos fiertés récentes, le livre d’Olivier Bellamy sur Martha Argerich me réjouit. L’autre jour, je l’ai vu en piles spectaculaires dans la plus belle librairie du monde, El Ateneo, sur l’avenue Santa Fe de Buenos Aires. Imaginez mon plaisir… Buchet-Chastel dispose également d’une collection écologie.
J’ai parlé de «Phébus» pour les beaux livres mais cette maison publie (sous la houlette de Daniel Arsand) de la littérature étrangère. Notre collection de poche, «Libretto», dirigée par Lionel Besnier, liée à Phébus, sera désormais la collection de poche du groupe. Je crois qu’il est important de dynamiser le livre de poche au moment où le livre électronique prend de plus en plus de place sur le marché. À cela, il faut ajouter le «Temps apprivoisé», collection de livres de loisirs créatifs (animés par Valérie Gendreau) qui permettent au lecteur de réaliser lui-même des travaux manuels, de décoration ou de photo; la collection se trouve très en pointe sur les arts du fil, tels que la broderie.
À vous écouter, on a un peu le vertige: tant de lieux, d’activités, de projets. Comment vous situez vous ? Je suis là où l’on m’attend. Je me vois comme une fédératrice. Je veille à la pérennité des œuvres qui me sont transmises à travers l’équilibre entre la rigueur des coûts et la passion de la création. Vous avez remarqué que je m’appuie sur toutes les compétences, qu’elles soient architecturales pour la Fondation ou éditoriales pour les éditions. La vraie générosité n’est pas exempte de raison: elle relève du travail.
en quelques mots
Qu’est-ce qui vous émeut… …dans un objet ? La créativité qui a présidé à sa fabrication. …dans une peinture ? La couleur, la patte de l’artiste. …dans une sculpture ? J’aime beaucoup l’art précolombien, j’aime la sculpture qu’on a envie de toucher et la patine qu’elle acquiert avec le temps. …dans une photographie ? L’immédiateté de la situation, le moment capté. En même temps le montage très travaillé me fascine. …dans un livre ? La voix de son auteur, l’histoire, l’expression d’une individualité. …dans une musique ? L’universalité. La musique est l’art le plus à même de toucher en un temps donné des gens très différents. …dans une architecture ? La modification de l’espace, la ponctuation du paysage. Si vous deviez choisir une œuvre… …dans la peinture ? Paul Klee. …dans la sculpture ? La cariatide grecque qui sert de logo à Buchet Chastel. Elle a été redessinée. Un jour, à la Foire de Maastricht, j’ai été littéralement happée par un objet que j’ai immédiatement acheté. C’était précisément cette cariatide. Et il faut avouer qu’elle n’a rien perdu de sa magie. …dans la musique ? La Symphonie n° 4 de Mendelssohn. …dans l’architecture ? Le travail de l’agence Sanaa. …dans la littérature ? Le Projet Lazarus d’Aleksandar Hemon, lauréat du premier Prix Jan Michalski de littérature.
Parcours
1954 | Naissance à Bâle
1960-1971 | École primaire et lycée en Camargue et à Arles
1972-1973 | Séjour à Madrid
1978 | Licence ès sciences politiques à l’Institut des Hautes Études Internationales à Genève
1983 | Mariage avec Jan Michalski
1986 | Fondation des éditions Noir sur Blanc à Montricher
1990 | Fondation d’Oficyna Literacka Noir sur Blanc à Varsovie
2000 | Acquisition des éditions Buchet-Chastel et création du groupe Libella
2002 | Décès de Jan Michalski 2004 | Naissance de la fondation Jan Michalski
2009 | Début du chantier de la «Maison de l’écriture» à Montricher
2011 | Vera Michalski se voit décerner le «Meritorious for Polish culture»
un Prix Littéraire international
Pour perpétuer la mémoire de Jan Michalski et son enthousiasme à faire connaître la littérature, le Prix Jan Michalski est décerné chaque année par la Fondation pour couronner une œuvre de la littérature mondiale.
L’originalité du Prix réside dans son aspect multiculturel, il est ouvert aux écrivains du monde entier et contribue ainsi à leur donner une reconnaissance mondiale. Le Prix récompense un ouvrage, quels que soient le genre abordé et la langue dans laquelle il a été écrit. Le lauréat ou la lauréate reçoit une somme de CHF 50’000.– ainsi qu’une œuvre d’art. Cette année, la Fondation a rendu hommage au peintre Olivier O. Olivier récemment disparu.
Le jury international est constitué de Vera Michalski- Hoffmann, présidente, Włodzimierz Bolecki, Nuruddin Farah, Georges Nivat, Ilija Trojanow et Fabienne Verdier. Dès janvier 2012, il sera complété par la nomination d’Isabel Hilton et de Yannick Haenel. Indépendants et bénévoles, les membres du jury proposent des ouvrages dans leurs langues respectives et s’engagent à les défendre. Les ouvrages présélectionnés sont traduits si nécessaire dans une langue compréhensible par tous les membres. C’est là que ce prix prend une ampleur qui le différencie des autres: seuls les livres publiés et présentés par les membres du jury entrent en considération pour l’attribution du Prix Jan Michalski de littérature. C’est dire que le jury international ne subit aucune pression d’éditeurs ou de critiques et que le choix relève d’un dialogue entre passionnés et d’un vrai échange entre cultures.
Cette année, parmi les sept auteurs sélectionnés, le jury international du Prix Jan Michalski de littérature a élu, par cinq voix sur six, György Dragomán pour Le Roi blanc. Né en 1973 en Transylvanie au sein de la minorité hongroise, György Dragomán vit à Budapest depuis 1988. Sa langue maternelle est le hongrois. Avec Le Roi blanc, il signe un chef d’œuvre innovant qui ouvre de nouveaux horizons aux littératures de l’Europe de l’Est. Le Roi blanc décrit, sous le regard naïf d’un garçon de onze ans, l’atmosphère sinistre d’un pays sous le joug communiste, peu après la catastrophe de Tchernobyl. Dans une langue à la fois précise et haletante, il en évoque l’effet insidieux, la soumission et les violences traumatisantes qui sévissent dans une société profondément dégradée.
Le jury a également distingué deux autres auteurs retenus dans la sélection finale. Le romancier, poète et parolier islandais Sjón, né en 1962, pour Le Moindre des mondes. Ce roman, déjà traduit en plusieurs langues, a reçu en 2005 la plus haute distinction des pays du Nord, le prix littéraire du Conseil Nordique. Le second finaliste est Miguel Syjuco, pour son premier roman Ilustrado écrit en anglais. Né en 1976 à Manille aux Philippines dans une famille de politiciens, il a déjà été distingué par plusieurs prix littéraires (Palanca Awards, Man Asian Literary Prize). Ilustrado a été traduit en plusieurs langues.
Avec ce prix, on est au centre des préoccupations de Jan et Vera Michalski: le dialogue, l’échange, la réflexion soutenue par la passion. Quand la mémoire quitte la commémoration pour se faire action internationale, on pense à Alfred Nobel, forcément, dans les pas duquel pourrait se situer ce prix.