WESSELMANN UN POP PEU ORTHODOXE

Seascape #10, 1966 Plexiglas moulé et peinture gripflex, 113 x 148,6 x 4,4 cm © The Estate of Tom Wesselmann/ Licensed by VAGA, New York
Seascape #10, 1966 Plexiglas moulé et peinture gripflex, 113 x 148,6 x 4,4 cm © The Estate of Tom Wesselmann/ Licensed by VAGA, New York
Comprendre l’artiste américain en trente ans et vingt-cinq œuvres à Monaco «La promesse du bonheur », tel est le nom de la nouvelle exposition de l’artiste américain Tom Wesselmann actuellement présentée au Nouveau Musée National de Monaco. Un artiste américain n’est véritablement américain que s’il rappelle, à intervalles réguliers, qu’il appartient au meilleur pays du monde – comme ces romanciers qui au moins une fois dans leur carrière doivent publier un romanfleuve qui « balaie l’histoire des États-Unis » sous peine d’être rayés du monument national. Ici, le nom de l’exposition est un rappel explicite : si, certes, il prétend être tiré d’une phrase de Stendhal (« la beauté n’est que la promesse du bonheur »), il est difficile de ne pas y voir un clin d’œil à la Déclaration d’indépendance des États-Unis, qui proclame sacrées « la préservation de la vie, la liberté et la recherche du bonheur », soit un ascenseur supersonique dans la pyramide de Maslow, cette échelle des besoins façonnée par le sociologue éponyme. On évoque plaisamment – sans grand fondement scientifique – le fameux « syndrome de Stendhal », cette suffocation douloureuse provoquée par une overdose de beauté, et que l’écrivain français ressentit, dit-on, à Florence. Ce n’est pas, visiblement, ce que l’artiste recherche ici ; le Beau est une idée ringarde en Occident. Moyennant quoi, l’œuvre de Wesselmann pose une question brûlante : quand tout, autour de nous, est une injonction constante au bonheur, des couvertures de magazines jusqu’aux films, devantures de magasins et...

Comprendre l’artiste américain en trente ans et vingt-cinq œuvres à Monaco

«La promesse du bonheur », tel est le nom de la nouvelle exposition de l’artiste américain Tom Wesselmann actuellement présentée au Nouveau Musée National de Monaco. Un artiste américain n’est véritablement américain que s’il rappelle, à intervalles réguliers, qu’il appartient au meilleur pays du monde – comme ces romanciers qui au moins une fois dans leur carrière doivent publier un romanfleuve qui « balaie l’histoire des États-Unis » sous peine d’être rayés du monument national. Ici, le nom de l’exposition est un rappel explicite : si, certes, il prétend être tiré d’une phrase de Stendhal (« la beauté n’est que la promesse du bonheur »), il est difficile de ne pas y voir un clin d’œil à la Déclaration d’indépendance des États-Unis, qui proclame sacrées « la préservation de la vie, la liberté et la recherche du bonheur », soit un ascenseur supersonique dans la pyramide de Maslow, cette échelle des besoins façonnée par le sociologue éponyme.

On évoque plaisamment – sans grand fondement scientifique – le fameux « syndrome de Stendhal », cette suffocation douloureuse provoquée par une overdose de beauté, et que l’écrivain français ressentit, dit-on, à Florence. Ce n’est pas, visiblement, ce que l’artiste recherche ici ; le Beau est une idée ringarde en Occident. Moyennant quoi, l’œuvre de Wesselmann pose une question brûlante : quand tout, autour de nous, est une injonction constante au bonheur, des couvertures de magazines jusqu’aux films, devantures de magasins et gourous de tout poil : que peut l’art qui ne soit une simple redite ou variation sur ce thème ? Pour tenter d’y répondre, il faut se pencher instamment sur les vingt-cinq œuvres qui constituent l’exposition de ce plasticien né à Cincinnati dans l’Ohio en 1931 et mort à New York en 2004. Ayant commencé à dessiner des cartoons pendant son service militaire, il devient rapidement l’un des représentants principaux du pop art américain et rejette l’expressionnisme abstrait dont Clement Greenberg, le Torquemada de la pureté en peinture, fut le principal thuriféraire : la pureté de Rothko ou de Pollock devait avoir pour Wesselmann quelque chose de trop… puritain. Il n’est que de voir sa fascination pour la femme nue dans toutes les positions, la femme aux bas bleus, la femme sans yeux qui n’est qu’objet, la femme

Bedroom Painting #24, 1970 Huile sur toiles découpées, 190,5 x 236,9 x 63,5 cm Exposition Tom Wesselmann, La Promesse du Bonheur Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma Photo NMNM/Jeffrey Sturges, 2018 © The Estate of Tom Wesselmann/ Licensed by VAGA, New York

lascive dont les tétons caoutchouteux pointent comme les embouts de gonflage d’un jouet de piscine ou d’une poupée récréative. Difficile de faire moins puritain.

Bien sûr, on avancera que cette représentation des corps en exalte les points chauds, ou du moins les plus symboliques – ceux chez lesquels s’ajoute, à la fonction naturelle, une sorte de halo de désir qui en augmente les valeurs (pour parler comme Gaston Bachelard) – que cette vision, donc, ne date pas d’hier. Les poitrines et les pénis démesurés ont en effet une histoire et se retrouvent dans mainte culture primitive ; on pense bien sûr à la Vénus de Lespugue aux formes voluptueuses, datant de 23 000 avant J.-C. et retrouvée en Haute
Garonne au début du siècle dernier. Néanmoins, il serait facile de céder à la stratégie de légitimation de maint artiste contemporain qui se dépeint en héritier d’une culture – rhétorique que beaucoup de critiques d’art ont reprise à leur compte – tout en avançant de l’autre main sa propre nouveauté, sa radicalité et donc sa nécessité absolues. C’est vouloir jouer sur les deux tableaux – ce qui, pour un peintre, fait tache. S’il y a nouveauté chez Wesselmann, s’il y a idiosyncrasie, c’est sans doute dans sa manière : il maîtrise la scie sauteuse comme personne, ce qui lui permet de réaliser des ouvrages qui se décomposent en différents plans, pensés pour être vus d’un angle et d’un seul ; on pense là aux installations en trompel’œil de Georges Rousse et autres Felice Varini, ces

Gina’s Hand, 1972-1982 Huile sur toile, 149,86 x 208,28 cm © The Estate of Tom Wesselmann/ Licensed by VAGA, New York
Bedroom Face with Lichtenstein (Artist’s Variation), 1988-1992 Huile sur aluminium découpé, 172,7 x 208,3 x 33 cm Exposition Tom Wesselmann, La Promesse du Bonheur Nouveau Musée National de Monaco – Villa Paloma Photo NMNM/Jeffrey Sturges, 2018 © The Estate of Tom Wesselmann/ Licensed by VAGA, New York

bandes de couleur placées de façon apparemment aléatoire sur des bâtiments, et dont on ne comprend l’harmonie que placé sur un point particulier. C’est aussi un friand du collage, grâce auquel plane sur ses productions un soupçon d’inquiétante étrangeté, un effet de télescopage qui est si risqué dans le domaine esthétique.

Bornée par les années 1963 et 1993, l’exposition a pour commissaire un compatriote, Chris Sharp – auteur américain basé à Mexico City – et pour coordinateur scientifique l’Italien Cristiano Raimondi. On y voit un Wesselmann expérimentateur, homme de techniques et de savoir-faire (il met notamment au point au début des années quatre-vingt-dix une opération de découpe au laser qui lui permet de restituer ses dessins sur des supports métalliques et dans les meilleures condi
tions possibles). Cependant, l’ostentation de la technique ne vient jamais occulter l’œuvre. Sur celle-ci plane un parfum perdu de liberté – peutêtre plus que de bonheur –, une liberté de jouissance et d’auto-détermination que le néo-puritanisme américain semble avoir de nouveau dans le collimateur. D’où, sans doute, la nécessité de se rendre au Nouveau Musée National de Monaco ces temps-ci : on y savoure un moment perdu, celui d’une promesse de satisfaction illimitée, dans des océans de chewing-gum acidulé et de corps concupiscents. Wesselmann s’en prend de plein fouet aux vrais tabous de notre époque, finalement, grâce à une sorte de contrecoup. La subversion est une des matières les plus périssables qui soient ; pourtant, il arrive qu’elle explose après une longue hibernation. Et c’est indéniablement ce qui se produit ici, sous le soleil de Monaco.

Clément Bénech

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