L’UNIVERS DU CUBISME

Fernand Léger La Femme en bleu, 1912
Fernand Léger La Femme en bleu, 1912 Huile sur toile, 193,4 x 129,2 cm Kunstmuseum Basel – Schenkung Dr. h.c. Raoul La Roche
Le Kunstmuseum de Bâle, depuis le milieu du siècle dernier, entretient une longue histoire d’amour avec le cubisme. C’est en 1952, 1956 et 1963 que le banquier d’origine bâloise, mais installé à Paris depuis 1911, Raoul La Roche (1889-1965), a fait don au musée de quelque quatre-vingt-dix œuvres majeures de Fernand Léger, Georges Braque, Pablo Picasso, Juan Gris, Amédée Ozenfant, Le Corbusier. Le musée de Bâle est ainsi devenu Une maison pour le cubisme, pour reprendre le titre qui s’imposait de lui-même lors d’une présentation magistrale de cette collection en 1996 par Katharina Schmidt, alors directrice du musée, et par son adjoint, Hartwig Fischer, aujourd’hui directeur du British Museum. Plus de vingt ans après, le musée de Bâle redevient cette maison pour le cubisme grâce à une exposition exceptionnelle conçue en coopération avec le Centre Pompidou de Paris, où elle avait été présentée d’octobre 2018 à janvier 2019. ’est le très influent et redouté critique d’art Louis Vauxcelles (18701943), titulaire de 1903 à 1914 de la rubrique artistique dans le quotidien Gil Blas et inventeur trois ans plus tôt du terme de « fauvisme », qui, le premier, semble avoir parlé de « cubes », à propos des vingt-sept tableaux que Braque avait exposés chez Kahnweiler, en novembre 1908, après le refus de ses toiles par le jury du Salon d’Automne. « Il construit des bonhommes métalliques et déformés qui sont d’une simplification terrible. Il méprise la forme, réduit tout, sites et figures et maisons, à des schémas géométriques, à...

Le Kunstmuseum de Bâle, depuis le milieu du siècle dernier, entretient une longue histoire d’amour avec le cubisme. C’est en 1952, 1956 et 1963 que le banquier d’origine bâloise, mais installé à Paris depuis 1911, Raoul La Roche (1889-1965), a fait don au musée de quelque quatre-vingt-dix œuvres majeures de Fernand Léger, Georges Braque, Pablo Picasso, Juan Gris, Amédée Ozenfant, Le Corbusier. Le musée de Bâle est ainsi devenu Une maison pour le cubisme, pour reprendre le titre qui s’imposait de lui-même lors d’une présentation magistrale de cette collection en 1996 par Katharina Schmidt, alors directrice du musée, et par son adjoint, Hartwig Fischer, aujourd’hui directeur du British Museum. Plus de vingt ans après, le musée de Bâle redevient cette maison pour le cubisme grâce à une exposition exceptionnelle conçue en coopération avec le Centre Pompidou de Paris, où elle avait été présentée d’octobre 2018 à janvier 2019.

’est le très influent et redouté critique d’art Louis Vauxcelles (18701943), titulaire de 1903 à 1914 de la rubrique artistique dans le quotidien Gil Blas et inventeur trois ans plus tôt du terme de « fauvisme », qui, le premier, semble avoir parlé de « cubes », à propos des vingt-sept tableaux que Braque avait exposés chez Kahnweiler, en novembre 1908, après le refus de ses toiles par le jury du Salon d’Automne. « Il construit des bonhommes métalliques et déformés qui sont d’une simplification terrible. Il méprise la forme, réduit tout, sites et figures et maisons, à des schémas géométriques, à des cubes. Ne raillons pas puisqu’il est de bonne foi. Et attendons ».Ce n’était guère un compliment, mais d’autres critiques avaient été bien plus sévères encore. Apollinaire, en revanche, dans sa préface du catalogue de cette même exposition inaugurale, saluait un peintre d’une admirable audace, dans le sillage de Cézanne, Matisse, Derain et Picasso. « Il tend avec passion vers la beauté et il l’atteint, on dirait sans effort. Ses compositions ont l’harmonie et la plénitude qu’on attendait. Ses décorations témoignent d’un goût et d’une culture assurés par son instinct ».

Albert Gleizes Les Joueurs de football, 1912-1913
Albert Gleizes
Les Joueurs de football, 1912-1913
Huile sur toile, 225,4 x 183 cm
© National Gallery of Art, Washington,
Ailsa Mellon Bruce Fund

Les tableaux exposés chez Kahnweiler et dont plusieurs figurent dans la présente exposition étaient principalement ceux que Braque avait peints à l’Estaque durant l’été 1908, monochromes, très construits. Parmi eux la célèbre Maison à l’Estaque, icône et toile fondatrice de ce qu’allait devenir le cubisme. Kahnweiler était frappé par la ressemblance avec les toiles que Picasso venait de peindre à La Rue des Bois, près de Creil, dans les environs de Paris. Pourtant les deux peintres ne s’étaient en
core rencontrés que fugitivement et n’avaient pas encore travaillé ensemble. Il est vrai toutefois que Braque avait rendu visite à Picasso dans son atelier au Bateau-Lavoir durant l’hiver 1907-1908 et qu’il y a vu les Demoiselles d’Avignon. Leur premier séjour commun à Céret ne date que de 1911. Les deux artistes se lançaient alors dans une même course à la fois vers une simplification toujours plus grande de leurs portraits et de leurs natures mortes, en y introduisant, souvent par le biais de collages, des chiffres et des lettres, si bien qu’il est parfois malaisé de dire qui est l’auteur de quelle œuvre.

Sans le flair et la persévérance du grand galeriste Daniel-Henri Kahnweiler (1884-1979), le cubisme ne se serait pas imposé très rapidement un peu partout dans le monde – sauf en France – comme un des mouvements d’avant-garde les plus importants : celui qui a révolutionné la peinture en rompant avec cinq siècles de représentation perspectiviste. Kahnweiler, nous raconte Pierre Assouline, son biographe le plus autorisé, est né dans une famille aisée de la bourgeoisie juive, implantée à Mannheim depuis le XVIe siècle et active dans l’importation de denrées coloniales. À dix-huit ans, on l’envoie faire un stage à Paris, chez un agent de change. Il découvre alors le Louvre, le musée du Luxembourg, avec le legs Caillebotte et la salle des impressionnistes, le Salon des Indépendants, le Salon d’Automne. Il se passionne pour la nouvelle peinture.

Parmi les premiers collectionneurs qui se fournissent chez Kahnweiler, on trouve les Bernois Margrit et Hermann Rupf, qui lègueront une importante partie de leur collection au musée de leur ville, le Tchèque Vincenc Kramar, bientôt rejoint par Léo et Gertrude Stein et les industriels russes, Chtchoukine et Morozov. C’est ainsi, que le cubisme a pénétré bien avant la Première Guerre aux États-Unis, comme en Russie, en Allemagne et en Suisse. Certes, Kahnweiler n’était pas le seul galeriste à s’y intéresser, Wilhelm Uhde et Ambroise Vollard n’étaient pas en reste. Picasso n’a-t-il pas fait des portraits cubistes de ses trois marchands ?

La nouveauté des recherches de Braque, de Picasso, de Léger et de Juan Gris consiste à renoncer à toute imitation illusionniste, à libérer la représentation de la contrainte d’un angle de vision unique et à mettre ainsi à disposition des artistes des éléments pouvant entrer dans une infinité de combinaisons nouvelles. Ou comme le disait Apollinaire : « La vraisemblance n’a plus aucune importance. (…) le sujet ne compte plus ou s’il compte, c’est à peine. » Ainsi, à une première phase de cubisme cézannien chez Braque ou primitiviste chez Picasso, succédait une phase de fragmentation toujours plus poussée et qu’on désigne souvent comme cubisme analytique, avant que les papiers collés et les constructions ne prennent le dessus pour mener au cubisme analytique.

Henri Laurens Clown, 1915
Henri Laurens
Clown, 1915
Bois peint, 53 x 29 x 23 cm
© Moderna Museet, Stockholm

La guerre allait brusquement interrompre sinon l’aventure cubiste, du moins les échanges entre Braque et Picasso, le premier ayant été mobilisé. Quant à Kahnweiler, Allemand vivant avec une Française, il pensait que la guerre n’aurait pas lieu. « Je n’ai pas voulu y croire jusqu’au dernier moment ». Il s’était d’abord réfugié à Rome, puis à Berne, chez les Rupf. C’est là qu’il a composé son premier grand livre, Der Weg zum Kubismus, qui paraîtra en 1920, et qui sera traduit sous le titre, La Montée du cubisme. Quant à sa galerie, elle fut confisquée comme bien ennemi, puis vendue au cours de quatre ventes aux enchères, entre 1921 et 1923, à des prix souvent dérisoires. C’est à cette occasion que Raoul La Roche, conseillé par Le Corbusier, fit l’acquisition de nombreuses toiles. En 1923, La Roche fait construire par Le Corbusier une villa à Auteuil, square du Docteur Blanche. En 1928, la collection compte cent soixante œuvres, dont plus de la moitié finiront à Bâle, d’autres lots étant destinés au Kunsthaus de Zurich, au musée national d’Art Moderne de Paris et au musée des Beaux-Arts de Lyon. Aujourd’hui, la Maison La Roche abrite la Fondation Le Corbusier.

En 1912, la Femme en bleu de Léger fait scandale au Salon d’Automne. Cette fois-ci, Vauxcelles ne parle pas de cubisme, mais de « tubisme ». La
même année, Kahnweiler signe un contrat d’exclusivité avec le peintre. Le tableau finira lui aussi dans la collection de Raoul La Roche. Grâce à des fonds très importants, le Kunstmuseum obtient des prêts spectaculaires des musées du monde entier, dont les Joueurs de football d’Albert Gleizes, remarqués par Apollinaire au Salon des Indépendants de 1913 – « ce tableau représente un grand effort vers la lumière et le mouvement » – et conservés aujourd’hui à la National Gallery of Art de Washington. Un sujet qu’affectionnent également les peintres futuristes. Ou encore cette sculpture de Henri Laurens, Clown, du Moderna Museet de Stockholm, qui rappelle non seulement que le cubisme a expérimenté toutes les formes, mais aussi quelle place importante y occupe le monde du cirque. Une fois encore, le Kunstmuseum est fidèle à sa réputation d’être une maison pour le cubisme.

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