La Fondation de l’Hermitage à Lausanne s’est engagée à mettre en avant la diversité de l’art du XIXe siècle dans ses expositions. Aujourd’hui, c’est la peinture anglaise qui est à l’honneur.
Aquelques exceptions près – Whistler, Turner… –, la peinture anglaise précédant le XXe siècle – qui ne connaît pas Freud, Bacon, Hirst, etc. – reste largement méconnue de ce côté de la Manche. Pourtant, les artistes ont été nombreux et l’art foisonnant, riche et varié. La Fondation de l’Hermitage met l’accent, en près de soixante tableaux, dont plusieurs n’ont jamais été exposés en Suisse, la peinture de l’époque victorienne, qui court de l’accession au trône de la reine Victoria à sa mort, en 1901.
Si la période victorienne marque l’âge d’or de la révolution industrielle et de l’empire britannique dont découle une prospérité nationale importante, mise en scène dans plusieurs tableaux exposés à la Fondation de l’Hermitage, elle ne profite pas à tout le monde. Des peintres comme Frederick Walker ou Augustus Mulready prêtent leur pinceau à cette réalité sociale, représentant les petites gens et leurs conditions de vie difficiles : pauvreté, misère, maladie, mort infantile – tout cela réalisé de façon poignante par Frank Holl dans le diptyque Chut ! et Plus aucun bruit. Solitude aussi, principalement des femmes – monsieur est parti sur un des nombreux bateaux faisant la gloire de la flotte et de l’empire britanniques. Le retour au bercail est, évidemment, incertain.
Le XIXe siècle est le grand siècle de la peinture de paysage, et l’Angleterre victorienne n’y échappe pas. La Fondation de l’Hermitage montre plusieurs exemples, notamment des John Campbell et Daniel Alexander Williamson, dont le souci d’exactitude topographique et géologique est très prégnant – la lecture des textes de John Ruskin n’y est pas étrangère –, alors que des John Brett et Walter Hugh Paton peignent des paysages beaucoup plus atmosphériques, parfois sublimes. Mais le peintre de paysage par excellence est bien évidemment Joseph Mallord William Turner, représenté par deux tableaux différents, dont le Paysage au bord de l’eau, tout droit venu de la Tate Britain à Londres. Même si cette huile sur toile est inachevée, elle est caractéristique de la nouvelle pratique picturale amorcée par Turner au début des années dix-huit cent quarante, avec une facture beaucoup
plus relevée – Turner peignait ses toiles en atelier, sur base de croquis très sommaires dessinés sur le motif. Nombreux sont ceux qui veulent voir dans le dernier Turner un précurseur de l’impressionnisme voire de l’abstraction – même si cette dernière hypothèse est exagérée.
Le XIXe siècle est également une période au cours de laquelle la science connaît des développements importants et prend une place de plus en plus grande dans la société, comme en atteste La science est mesure de toute chose de Henry Stacy Marks ou encore un tableau de James Poole mettant en scène la comète de Donati dans le ciel d’octobre 1858, proche des sept étoiles de la Grande Casserole. Cette comète, une des deux plus brillantes du XIXe siècle, a par ailleurs été la première à être photographiée.
De nombreux peintres de la période victorienne se sont tournés vers la littérature en quête de nouveaux sujets. La réconciliation d’Obéron et Titania de Joseph Noel Paton traduit la forte présence dans l’imaginaire anglais au milieu du XIXe siècle des pièces de théâtre de Shakespeare. Comme souvent dans des scènes inspirées du Songe d’une nuit d’été (pensons à Füssli, récemment mis à l’honneur au Kunstmuseum de Bâle), ce tableau fourmille de détails plus malicieux et saugrenus les uns que les autres. Arthur Hughes propose une version différente d’Ophélie, tableau très connu de John Everett Millais, en représentant la jeune femme avant qu’elle ne se noie. Les artistes préraphaélites se tournent également vers de la littérature plus récente, notamment la poésie de John Keats, comme John Everett Millais avec La Vigile de la sainte Agnès.
L’exposition est aussi l’occasion de découvrir sous un autre jour Jane Morris, cette jeune femme rousse et androgyne qui a tant plu aux préraphaélites, à travers une série de photographies prises par Parsons. Elles ont été commandées par Dante Gabriel Rossetti, qui voulait s’en servir comme études préliminaires pour ses peintures. La pho
to, justement, a vu le jour sous l’ère victorienne. Il n’est donc pas étonnant de retrouver une section entière qui lui est consacrée, avec un ensemble d’héliogravures où se trouvent Cameron, Emerson, Frith, Hill & Adamson, Robinson et Talbot, l’inventeur du procédé qui portera son nom et qui deviendra la base de la photographie argentique moderne : le talbotype – aussi appelé calotype.
Cette présentation se termine au sous-sol avec notamment Vivien de Frederick Sandys, le tableau qui se retrouve sur l’affiche de l’exposition, mais aussi avec James Abbott McNeill Whistler et John Singer Sargent, deux artistes d’origine américaine. Si le premier est surtout connu pour ses compositions nocturnes et ses tableaux inspirés de la musique, il est ici représenté par Marron et Or, l’un de ses autoportraits les plus saisissants, proche de la facture de grands maîtres, comme Velasquez, avec ce fond indéfini et ces mains à peine brossées si fréquentes chez l’Espagnol.
Décriée en son temps, la peinture victorienne se vend désormais à des sommes faramineuses…